23e rencontres parlementaires sur l’épargne

la finance pour tous
Comportements financiers des Français, consentement à l'impôt et orientation et mobilisation de l'épargne en 2014, tels étaient les différents thèmes abordés lors de la 23e édition des rencontres parlementaires sur l'épargne, qui s’est tenue le 29 janvier dernier.

 » En France, l’encours d’épargne reste considérable mais il doit être dirigé vers les bons canaux de l’économie et doit progressivement se déplacer pour que sa structure demeure compatible avec celle des autres pays européens «  déclare Philippe Marini, sénateur de l’Oise et président de la commission des Finances, en guise d’introduction. Il regrette notamment la place trop importante accordée à l’épargne réglementée et dénonce la complexité de la fiscalité de l’assurance-vie.

Quels sont les comportements des Français aujourd’hui en matière d’épargne ? Comment davantage l’orienter vers le financement de l’économie ? Quelles mesures fiscales doivent y être associées ? L’ensemble du système doit-il être réformé ? 

Pour répondre à ces différentes interrogations, trois tables rondes étaient organisées.

Les Français et l’épargne

Pour introduire cette première table ronde, Alain Tourjman, économiste, présente différents constats qu’il retient de son analyse du comportement des Français en matière d’épargne.

Recul du taux d’épargne financière

Premier constat, si la France affiche l’un des taux d’épargne les plus élevés d’Europe (15,6 % du revenu disponible brut) son taux d’épargne financière est quant à lui en très net recul depuis trois ans :  » son niveau est actuellement inférieur de 40 à 45 % à celui constaté en 2010 et 2011 « . Deuxième constat, les Français se sont principalement dirigés vers des placements non bancaires ces deux dernières années alors même que ce secteur a plus que jamais besoin de liquidités dans un contexte économique perturbé. Enfin, malgré une croissance atone, le taux d’épargne des Français est resté stable, et ce, pour deux raisons :  » il existe une aspiration forte à l’épargne dans notre société car elle répond d’une part à une logique de constitution patrimoniale, et d’autre part, parce qu’elle est un facteur de sécurisation des parcours de vie « .

Pour Didier Davydoff, directeur de l’Observatoire de l’Epargne Européenne (OEE), quatre facteurs expliquent le recul des placements financiers français ces deux dernières années :

  • la baisse des prix de l’immobilier : » il n’y a plus autant de plus-values immobilières à réinvestir dans des produits d’épargne  » ;

  • l’environnement économique général :  » le revenu des ménages est en baisse. Il est de 14 % inférieur à celui des ménages allemands mesuré en parité pouvoir d’achat (PPA)  » ;

  • la fiscalité : elle pèse sur les placements financiers des Français et demeure supérieure à celle pratiquée dans les autres pays européens ;

  • la baisse du nombre de détenteurs de valeurs mobilières : entre 2008 et 2013, il a reculé de 30 %.  » Les marchés ont affiché de belles performances en 2013, mais en réalité peu d’épargnants français en ont bénéficié « .

 » En matière fiscale, l’objectif à long terme devrait être d’aller vers une assiette d’imposition des placements financiers plus large car il subsiste encore trop de niches fiscales tout en réduisant les taux qui sont aujourd’hui plus élevés que dans les autres pays européens « , conclut Didier Davydoff.

Baisse du prix des logements anciens

André Babeau, professeur des Universités et auteur d’un ouvrage intitulé  » Les comportements financiers des Français  » rappelle quant à lui que la relation entre le taux d’épargne et les autres variables macroéconomiques reste complexe mais peut être appréhendée au travers de trois éléments :

  • les placements financiers ;

  • l’investissement immobilier ;

  • les remboursements d’emprunt.

Sur le second point, André Babeau note que l’évolution du prix des logements anciens, en recul de 2 % à 3 % en 2013, pourrait constituer  » un phénomène favorable  » sous deux conditions :  » il faut éviter l’apparition d’actifs nets négatifs et l’apparition d’un écart trop important  entre le prix des logements neufs et anciens sous peine de décourager la construction « .

Par ailleurs, André Babeau insiste sur le fait que, contrairement à une idée largement répandue, les Français ne sont pas averses au risque dans la mesure où l’actionnariat salarié représente près de 10 % du patrimoine financier. Il estime ainsi que  » le succès du PEA-PME repose essentiellement sur la croissance de la France « .

L’épargne non réglementée, une fiscalité dissuasive ?

David Gutmann, professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne et membre du Cercle des fiscalistes, choisit d’orienter son propos sur la fiscalité de l’épargne non réglementée. Selon lui, elle repose depuis un an sur un principe :  » la fiscalité des revenus du capital doit être identique à celle des revenus du travail « . Aussi, la fiscalité de l’épargne peut apparaitre dissuasive aux yeux de certains investisseurs dans la mesure où elle peut engendrer des rendements très faibles voire négatifs.

Parallèlement, selon David Gutmann, ce système fiscal laisse encore apparaitre certains paradoxes. Pour l’illustrer, il prend l’exemple de l’existence d’un abattement de 40 % sur les dividendes qu’il juge injustifié pour les actionnaires qui ne travaillent pas directement au sein des entreprises :  » cet abattement ne doit être que pour l’actionnaire d’une PME qui y travaille « , conclut-il.

Epargne et consentement de l’impôt

Rétablir la confiance et créer du consensus

Pour Richard Yung, sénateur des Français établis hors de France, le consentement de l’impôt doit avant tout faire l’objet d’un consensus. Certes, le sentiment de « ras-le-bol fiscal » existe mais n’est pas le premier facteur intervenant dans la construction d’une épargne, et ce, pour des raisons culturelles. Depuis des décennies, l’accès à la propriété, la constitution d’une épargne retraite et de précaution constituent les principaux motifs d’épargne des Français :  » la fiscalité joue plus à la marge qu’on ne le pense  » ajoute t-il. Néanmoins, ce consensus de l’impôt est aujourd’hui fragilisé par l’environnement économique. Pour Richard Yung, il ne s’agit pas d’instaurer une révolution fiscale mais de  » rétablir la confiance pour assurer la stabilité du système […] et créer du consensus « .

En ce qui concerne la mobilisation de l’épargne vers le financement des entreprises, certaines mesures ont d’ores et déjà été prises. Richard Yung cite à cet égard la création d’un contrat d’assurance vie euro-croissance et la réforme du régime des plus values mobilières.

Réconcilier la fiscalité et la croissance

Philippe Bruneau, président-fondateur du Cercle des fiscalistes, revient quant à lui sur  » le défi majeur auquel le pays est aujourd’hui confronté : l’endettement « . Pour le résorber, les pouvoirs publics disposent de plusieurs moyens : le désendettement public ou privé, l’inflation, la fiscalité, le défaut public ou privé et  » la voie royale qu’est la croissance mais elle est aujourd’hui atone « .  » Parmi ces différents moyens, la France a choisi la voie du désendettement en privilégiant non pas la baisse des dépenses mais la hausse des impôts. Résultat, elle affiche aujourd’hui l’un des taux d’imposition les plus élevés d’Europe […], supérieur à 46 % [du PIB. La loi de finance 2014 fait état d’un taux de prélèvements obligatoires de 46,1 % pour l’année 2014, en hausse de 0,15 points par rapport à 2013, ndlr] « . Pour Philippe Bruneau, se pose ainsi la question de la ligne rouge fiscale. Il cite à cet égard le concept de la courbe de Laffer qui montre qu’au delà d’un certain taux d’imposition, le rendement de l’impôt baisse. Pour autant, même s’il note que cet effet n’a jamais pu être vérifié, quelques constats récents peuvent venir appuyer cette théorie : l’exil fiscal, la démotivation générale des agents économiques et la résurgence du travail non déclaré.  

Par ailleurs, Philippe Bruneau considère que l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, évoqué par David Gutmann, est une  » erreur «  qui pénalise l’investissement.

Pour sortir de cette  » crise de légitimité de l’impôt « , la solution repose ainsi selon lui sur une remise à plat du système fiscal et sur une réorientation de l’épargne vers des secteurs innovants de l’économie :  » il faut réconcilier la fiscalité et la croissance, remettre la première au service de la deuxième et non pas le contraire […] et avoir un système fiscal moderne stable, lisible, équitable et efficace « .

Détruire l’édifice de la fiscalité

Pour Edouard Tétreau, professeur à HEC et éditorialiste aux Echos, il faut  » détruire l’édifice de la fiscalité « . Selon lui,  » le système fiscal, économique et politique français n’attire plus les capitaux étrangers « . À cet égard, il cite le rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) faisant état des flux d’investissements directs étrangers (IDE) dans le monde en 2013. Sur l’ensemble de la masse des IDE qui s’élève à 1 500 milliards de dollars, un tiers s’est dirigé vers les pays développés l’année passée. L’Allemagne confirme sa place de leader européen en captant près de 30 milliards de dollars de ces flux d’investissements mondiaux. À l’inverse,  » la France, qui pèse 5 % du PIB mondial, n’a capté que 0,38 % des investissements directs étrangers en 2013 «  soit une chute de 77 % par rapport à 2012 :  » la crise est derrière nous […] les investisseurs mondiaux sont intéressés par l’Europe mais il y a un bug français  » conclut-il.

Construire un système fiscal lisible, équitable, stable et cohérent 

Selon Jean Berthon, président de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (FAIDER),  » une remise à plat totale de la fiscalité de l’épargne «  est nécessaire. L’une des conditions supplémentaires à la reconstruction d’un nouveau modèle fiscal est la cohérence. En effet, Jean Berthon considère que les dispositions fiscales actuelles n’incitent pas les investisseurs à réorienter leur épargne vers des placements risqués. En cause, les conditions avantageuses dont bénéficient les produits d’épargne réglementée tels que le Livret A ou le LDD.

Orientation et mobilisation de l’épargne en 2014

Orienter l’épargne vers le financement de l’économie

En guise d’introduction, Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, rappelle qu’en France, l’encours de l’épargne représente près de deux fois la valeur du PIB. Aussi,  » si on utilise efficacement cette épargne, on arrivera à financer l’économie et à soutenir l’investissement en France comme à l’étranger « . Sur le financement de l’économie, il note qu’à la fin du mois de novembre 2013, les flux de crédit ont progressé de 0,3 % :  » il n’y a donc pas de credit crunch en France « , précise t-il. Néanmoins, les crédits de trésorerie sont en baisse, d’où la nécessité de réorienter l’épargne vers le financement des entreprises. Sur ce point, il  rappelle que plusieurs actions ont d’ores et déjà été menées par le gouvernement :

Investir dans des projets à long terme : le rôle de la CDC  

Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe du groupe Caisse des dépôts, revient quant à elle sur les propos énoncés par Jean Berthon qui considère que les conditions fiscales avantageuses de l’épargne réglementée pénalisent l’investissement. Or, en collectant l’épargne liquide des Français, la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) permet de financer des projets à long terme (logement social, projets innovants, infrastructures de transport, hôpitaux , universités, etc), un rôle d’autant plus nécessaire dans un contexte conjoncturel déprimé :  » il est important de disposer d’un opérateur et de modes d’interventions contra-cycliques qui permettent dans des moments de tensions de disposer de ressources liquides pour faire face à des besoins publics de long terme « .

Inciter les épargnants à prendre des risques

Pour Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération Bancaire Française (FBF),  » l’épargne est encore insuffisamment orientée vers le financement de l’économie « , un  tiers seulement de son encours se dirige vers des placements risqués. Selon elle, il faut davantage  » inciter les épargnants à prendre des risques et simplifier et stabiliser la fiscalité de l’épargne « . Certes, des mesures ont déjà été entreprises par les pouvoirs publics, en particulier par la création du PEA-PME, mais la dynamique doit se poursuivre.

Par ailleurs, Marie-Anne Barbat-Layani tient à souligner que  » le modèle de transformation [transformer des dépôts de court terme en prêts à long terme, ndlr] est aujourd’hui contraint par les nouvelles normes de régulation établies par le Comité de Bâle « . Un avis partagé par Rémi Weber, président du directoire de la Banque postale, qui dénonce sur ce point  » un excès de règles «  qui risque de fragiliser le financement de l’économie, notamment celui des entreprises.

Reconsidérer le rôle de l’épargne immobilière et de l’assurance-vie dans le dynamisme de l’économie

Selon Patrick de Lataillade, président de l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC),  » l’immobilier est un actif risqué utile au financement de l’économie, à l’encontre du discours dominant « . Par la gestion de  SCPI et d’OPCI, l’épargne immobilière bénéficie aux entreprises et devrait continuer à se développer sous des conditions fiscales  » stables et efficaces « . Un argument repris par Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), qui considère que si  » l’assurance vie finance l’ensemble des classes d’actifs, majoritairement les entreprises […], le logement en fait également partie car la logique de l’assurance-vie est celle de la diversification « . Parallèlement, il estime que les mesures entreprises par le gouvernement vont dans le bon sens :  » l’euro-croissance est l’innovation fiscale et juridique la plus importante depuis des années  » conclut-il.