Débat sur La protection des consommateurs de services financiers

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D’année en année, les Journées de l’économie de Lyon rencontrent un succès croissant. Pour la troisième édition qui s’est déroulée du 9 au 11 novembre 2010, quelque 6 000 personnes, enseignants, lycéens, étudiants et simples citoyens ont participé à plus de 40 conférences.

JECO

Les éclairages et la confrontation des analyses d’économistes et de responsables politiques ou sociaux sur les grands enjeux économiques de notre société offrent une véritable pédagogie de l’économie. La rencontre que l’Institut pour l’Education financière du Public a organisée avait pour thème « la protection des consommateurs de services financiers, faux semblant ou vrai priorité ?».

Didier Davydoff, Directeur de l’Observatoire de l’épargne Européenne, Ariane Obolensky, Directrice générale de la Fédération bancaire française, Fabrice Pesin Secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et Maurice Roullet, administrateur National de l’UFC Que choisir ont échangé leurs pointsde vue, dans ce débat animé par Pascale Micoleau-Marcel, déléguée générale de l’Institut.

On n’a certes pas attendu la crise pour organiser la protection des consommateurs de services financiers, a souligné d’entrée de jeu Pascale Micoleau-Marcel. Des lois déjà anciennes protègent par exemple les déposants contre les effets d’éventuelles faillites bancaires et de compagnies d’assurances. Mais la crise a été un révélateur. La confiance des consommateurs est essentielle. Des dispositifs nouveaux sont mis en place : contrôle de la commercialisation par les autorités de régulation, nouvelle loi sur le crédit à la consommation, engagements des banques concernant les problèmes de tarifications etc… Est-ce suffisant et bien adapté ? Faut- il privilégier le niveau européen ou le niveau national ?

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Davydoff Pour Didier Davydoff (OEE), la protection des consommateurs est un sujet européen. Lancé il y a une dizaine d’années, un grand plan d’action visait à intégrer le marché européen des services financiers.

Dix ans après, le bilan pour le consommateur est mitigé. D’une part, si le marché européen est bien intégré pour les acteurs financiers entre eux, c’est beaucoup moins le cas pour les services financiers aux particuliers. D’autre part, la suppression du monopole des bourses ou la constitution d’un vrai marché européen des OPCVM a certes permis de faire baisser les coûts mais le consommateur final en profite peu. Cela dit, souligne-t-il, la protection des consommateurs a passé l’épreuve du feu de la crise financière : l’intervention des Etats auprès des banques a permis aux épargnants de ne pas subir de perte en capital (autre que celle liée à la baisse des marchés).

Des améliorations sont donc selon lui possibles et souhaitables notamment dans trois domaines majeurs.

  • En ce qui concerne les pratiques de vente de produits financiers, la directive MIF a fixé des obligations de questionnement préalable des clients sur leur surface financière, leur compréhension du risque et des produits financiers. Mais il reste encore des progrès à faire pour mieux comprendre l’attitude du client face au risque.

  • Selon qu’un particulier achète directement des SICAV actions ou qu’il le fait indirectement dans le cadre d’une assurance vie, les protections ne sont pas exactement les mêmes, par exemple en matière d’information. C’est anormal.

  • Le crédit responsable est encore peu harmonisé au niveau européen. Il existe certes une directive au sujet du crédit à la consommation, qu’il faudrait étendre à l’ensemble des crédits, et notamment des prêts immobiliers, pour tenter de réduire les problèmes de surendettement. En Europe, un emprunteur sur dix n’a pas été en mesure de respecter au moins une échéance de prêt. On se demande également pourquoi certains établissements font du « crédit responsable » un argument marketing alors que « le crédit devrait être toujours responsable » souligne Didier Davydoff qui regrette que, dans les débats concernant les directives européennes, les lobbys des consommateurs finaux soient trop faibles par rapport à ceux des intermédiaires financiers.

De manière volontairement un peu provocatrice, Didier Davydoff s’est interrogé sur la capacité de l’éducation financière à améliorer la situation des consommateurs. En effet, a-t-il dit, on a pu constater, dans certains pays qui pratiquent l’éducation financière, des comportements particulièrement inadaptés des consommateurs, du fait d’un excès de confiance. Ce n’est certainement pas une condamnation de l’éducation financière mais un plaidoyer pour une bonne éducation financière.

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Obolensky Ariane Obolensky (FBF) a souligné que le service à la clientèle est au cœur du travail des banques. « C’est notre capital et notre terrain de concurrence. Les entreprises bancaires recherchent la satisfaction de leur client. C’est une condition même de leur existence ». Protection des consommateurs et services à la clientèle sont donc intiment liés, le sujet étant traité à la fois collectivement (par exemple dans le cadre du CCSF ou au plan individuel de chaque banque. En France, a-t-elle rappelé, chaque client réalise en moyenne 250 opérations par an, lesquelles sont traitées par les 40.000 agences et les 250.000 personnes qui travaillent dans ce secteur. Le taux de satisfaction est dans notre pays de 85 %.On note également que la France est l’un des pays détenant le plus fort taux d’inclusion bancaire : 99 % des Français détiennent un compte bancaire.

En matière de services financiers pour les particuliers, le marché européen n’existe pas. L’harmonisation est extrêmement difficile à établir et les réalités nationales restent prédominantes, Le récent rapport sur la tarification des services bancaires de MM. Pauget et Constans met en lumière les spécificités du dispositif français qui le distinguent des autres modèles européens. En particulier, le modèle français de banque universelle qui offre toute une gamme de produits à ses clients et est fondé sur une relation de long terme, est très différent du modèle anglais où les clients achètent des produits financiers « comme dans un supermarché ». .. Il relève également que le niveau de formation des agents est supérieur à la moyenne européenne. Enfin, le rapport note que la recette moyenne en France est la moins élevée d’Europe. Le fonctionnement du compte représente 0,57 % du budget des ménages. Certes, pour tout ce qui relève du fonctionnement du compte (carte bancaire, incidents, …), la France est légèrement au-dessus de la moyenne, mais elle reste moins chère sur le coût du crédit.

Les banques ont pris de nouveaux engagements, permettant de mieux comparer les offres de services et de crédit. Il est également mis en place des systèmes de paiement spécialisés pour les clientèles fragiles avec la création d’alertes sur les incidents de paiement. Le respect de ces engagements sera contrôlé.

En ce qui concerne la directive MIF, Ariane Obolensky considère qu’il ne faut pas aller trop loin dans le questionnement préalable des clients. « On a tellement peur de vendre des produits qui ne seraient pas adaptés au profil de risque des clients que l’on aboutit à un détournement de l’épargne au profit des produits de placement essentiellement sécuritaires, ce qui n’est pas bon pour l’économie ».

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Maurice Roullet Maurice Roullet (UFC Que Choisir) souligne le lien entre la protection des consommateurs et le renforcement de leur culture financière. Nous nous occupons des « trains qui arrivent en retard » et nous constatons que beaucoup de litiges sont liés à des malentendus et des incompréhensions liés à des lacunes des consommateurs en matière de connaissances financières. A commencer par le fonctionnement des comptes. Ces problèmes s’aggravent aussi car la relation bancaire avec son chargé de compte a évolué. Le turn-over des conseillers rend difficile une relation pérenne. Ensuite, le lexique financier (unités de compte, fonds dynamiques, …) reste compliqué.

Le vrai problème de la banque au quotidien, c’est l’engrenage des frais et sanctions, avec notamment les commissions d’intervention. Plutôt que la banque envoie un relevé annuel de ce qui a été facturé au titre du fonctionnement du compte, il préfèrerait que les clients reçoivent une facture préalable de ce qui va être facturé pour bien prendre conscience du coût de leurs opérations.

Pour les produits de placement, la situation est pire encore selon Maurice Roullet dans la mesure où « c’est souvent à la fin de l’investissement, par exemple au terme de cinq ans, que l’incompréhension survient : on croyait avoir acheté un fonds offrant une performance annoncée qui n’est pas au rendez-vous ». Il met en cause la publicité souvent trop accrocheuse et le fait que les chargés de clientèle « qui sont essentiellement des vendeurs avec des produits de « tête de gondole », présentent des placements pas forcément en adéquation avec les besoins du client. La question de leur rémunération (sont-ils intéressés sur ces ventes ?) est donc selon lui une vraie question.

De même en matière de crédit à la consommation, dans un nombre très important de cas, on vend au consommateur des crédits pas adaptés et à des coûts élevés.Maurice Roullet juge positives les améliorations apportées récemment à la fois à l’initiative du CCSF et suite au rapport Pauget- Constans, notamment la présentation uniforme de 10 tarifs bancaires de base et l’uniformisation de l’information sur les tarifs de services mais il regrette que l’on n’ait pas adopté la voie réglementaire et que s’agissant des cartes de crédit, celles-ci ne soient pas obligatoirement séparées des cartes de paiement.

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Pesin Fabrice Pesin (ACP) a rappelé que les services financiers ne sont pas des produits comme les autres en raison de l’asymétrie d’information et de connaissance entre le vendeur et le client. D’autant plus que la complexité croissante des produits financiers rend leur compréhension difficile. En vingt ans, on est passé d’un univers assez simple (Livret A, épargne logement, assurance vie en euros, …) à une palette de placement très élargie (unités de compte, fonds à formule, crédit à taux variables complexes, …)

L’innovation financière a de bons côtés, mais le grand public a du mal à comprendre parfois sa complexité. Il risque de réaliser des investissements inappropriés. Face à cela, le législateur a pris ses responsabilités tant au niveau national (loi Scrivener par exemple, en matière de crédit) qu’européen (directive MIF, directive crédit à la consommation). Ces enjeux existent depuis un certain temps déjà. Mais la crise des subprimes a montré l’ampleur des dangers et de leurs conséquences.

A la suite de la crise, la nouvelle Autorité de contrôle des banques et des assurances (ACP) a toujours pour tâche le contrôle des règles prudentielles des institutions mais elle a la responsabilité nouvelle et explicite de contrôle des pratiques commerciales des banques et des assurances. Cette mission est également renforcée s’agissant de l’AMF pour la part qui lui revient (actions, fonds commun de placements) et une coordination est instituée entre les deux Autorités. Un site internet et un numéro d’appel (0 811 901 801) ont été mis en place pour donner au grand public un accès unique.

« Nous veillerons à la bonne application des réglementations existantes concernant les devoirs de conseil, d’information et de mise en garde. Nous opèrerons également une veille sur les pratiques publicitaires, et pour observer le marché et l’introduction de nouveaux produits. Nous devrons également suivre la montée croissante de la réglementation » a-t-il conclu. Il existe en effet des problématiques nouvelles, comme la vente sur Internet, les courtiers, mutuelles, … Les canaux de distribution sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. Contrôler tous ces canaux, vérifier le discours commercial des intervenants représente un défi important pour l’ACP auquel seront consacrés des moyens significatifs (budget de 260 millions d’€ annuels).