Une action de concert, qu’est-ce que c’est ? Retour sur l’affaire Eiffage-Sacyr

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La presse s’est largement fait l’écho d’une décision rendue par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) le 26 juin 2007 dans l’affaire EIFFAGE-SACYR. Le groupe espagnol SACYR a, selon l’AMF, agi de concert avec plusieurs autres sociétés espagnoles, sans le dire, avec pour conséquence l’obligation pour Sacyr de lancer une offre publique d’achat

OPA)->mot27] sur Eiffage, alors que Sacyr avait lancé une Offre Publique d’échange (OPE). Ceci mérite quelques explications.

Les faits

Depuis le début de l’année 2006, le groupe espagnol était monté dans le capital de la société française EIFFAGE. Ayant assez rapidement atteint plus de 30 % du capital d’Eiffage, il souhaitait obtenir plusieurs représentants au sein du conseil d’administration (CA) d’Eiffage. Mais le CA d’Eiffage, et en particulier son président Monsieur ROVERATO, ne l’entendait pas ainsi : SACYR s’invitait dans le capital d’EIFFAGE sans y avoir été convié, la société voyait, dans la tentative de Sacyr de prendre progressivement le contrôle de son capital et de son management, l’intrusion d’un concurrent et non d’un partenaire possible. Bref, les points de vue paraissaient difficiles à réconcilier. Qui allait gagner cette bataille ? Sacyr allait-il poursuivre ses achats de titres Eiffage jusqu’au seuil du tiers du capital, qui déclenche une offre publique obligatoire

? Ou allait-il se retirer ?

L’assemblée générale d’EIFFAGE du 18 avril 2007 fut le lieu inattendu d’un nouveau combat. Le bureau de l’assemblée décida de priver de leur droit de vote un certain nombre de sociétés espagnoles très récemment inscrites en qualité d’actionnaires, au motif qu’elles agissaient, sans le dire, de concert (c’est-à-dire en se concertant, en se mettant d’accord) avec Sacyr. De fait, agir de concert avec un autre actionnaire sans le dire est puni par la loi (notamment par la privation des droits de vote). Grâce à quoi, Sacyr n’a pu obtenir la nomination des cinq administrateurs demandés.

Aux côtés d’un autre actionnaire espagnol, Grupo Rayet, Sacyr a contesté cette décision du bureau de l’assemblée devant le tribunal de commerce de Nanterre. Dans la foulée, Sacyr a lancé une OPE sur Eiffage. Elle proposait de donner aux actionnaires d’Eiffage des titres Sacyr en échange de leurs actions Eiffage. Mais pour les actionnaires français d’Eiffage et notamment le management et les salariés réunis dans la SICAVAS, recevoir des titres de la société espagnole (qui par ailleurs s’engageait à être cotée sur le marché français), ce n’était pas vraiment la même chose que continuer à contrôler la société Eiffage ou recevoir du « cash ». L’AMF, comme c’est obligatoire, devait se prononcer sur l’OPE. Par ailleurs, elle avait été saisie par le tribunal de commerce de Nanterre sur la question de savoir si Sacyr avait agi de concert avec les autres actionnaires espagnols.

La décision de l’AMF du 26 juin répond à ces questions.

Quelques points de droit. Le concert, qu’est ce que ça change ?

Le concert est défini par le code de commerce

article L. 233-10)->http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnArticleDeCode?commun=CCOMME&art=L233-10]. Comme on l’a vu plus haut, c’est en résumé le fait d’agir de connivence et d’une seule voix. La loi oblige à déclarer le concert. Mais il peut arriver que des sociétés agissent de concert sans le dire. C’est semble-t-il ce qui est arrivé dans cette affaire, comme l’AMF en fait la démonstration dans sa décision.

Le concert a un certain nombre d’effets, et notamment en matière d’OPA. En effet, la loi (en l’occurrence le règlement général de l’AMF) impose une offre publique si une société, agissant seule ou de concert, franchit à la hausse plus du tiers du capital d’une société. Cette règle est destinée à protéger les actionnaires minoritaires. C’est cette obligation de lancer une OPA qui explique que des sociétés peuvent avoir intérêt à cacher leurs liens, car il est évidemment tentant d’exercer le contrôle sur une société en ne détenant que 20 ou 30% du capital au lieu d’avoir à racheter l’ensemble des titres en circulation.

L’AMF a fait le lien entre différents actionnaires espagnols qui étaient montés au capital d’Eiffage au cours des derniers mois et Sacyr et a ainsi établi qu’ils avaient agi de concert.

Mais après tout, Sacyr avait lancé une OPE… Alors, quelle différence ça fait ?

En fait, l’offre doit être, au moins en partie, en numéraire, c’est-à-dire en « cash » ou en espèces (donc pas en titres) si l’initiateur de l’offre (ici Sacyr et ses éventuels co-concertistes) a acquis au cours des 12 derniers mois plus de 5% du capital de la société visée. Sacyr ne l’avait pas fait. Sauf si l’on ajoutait à ses achats ceux d’une autre société espagnole agissant de concert avec elle. Par conséquent, a dit l’AMF, il faut faire une offre au moins en partie en espèces, ce qui change tout, car cela veut dire trouver immédiatement les fonds pour dédommager les actionnaires.

Et cela change d’autant plus les choses que, dès lors que l’offre est obligatoire, le prix doit être au moins égal au prix le plus élevé payé par l’initiateur agissant seul ou de concert.

Du fait des achats massifs de titres Eiffage par des sociétés espagnoles amies de Sacyr, le cours avait considérablement monté au cours des semaines précédant l’assemblée générale, jusqu’à atteindre des niveaux jugés très supérieurs au prix « normal » d’Eiffage. Le prix du dernier concertiste identifié à ce jour est de 127,29€.

Ayant constaté le concert – non déclaré – à la date de l’AG du 18 avril 2007, l’AMF a très logiquement déclaré l’OPE irrecevable et imposé une OPA, à un prix au moins égal prix atteint par le dernier « concertiste » identifié.

Elle a en outre, mais c’est un autre sujet sur lequel nous pourrons revenir plus en détail dans une autre de nos actus, déclaré que Sacyr devait également faire une offre sur APRR, société d’autoroute récemment rachetée par Eiffage et un fonds australien, et qui constitue un actif stratégique d’Eiffage.

Et la suite ?

La société Sacyr va très certainement faire appel de la décision de l’AMF déclarant l’OPE irrecevable et imposant une OPA. Début septembre, le tribunal de commerce statuera sur la demande de Sacyr d’annuler l’assemblée générale. Sur le fond, il devrait, s’appuyant sur la décision de l’AMF, donner raison à Eiffage.

C’est la Cour d’appel (et pourquoi pas la cour de cassation) qui tranchera ces questions.

Par ailleurs, lorsque le rapport d’enquête sera terminé, le collège de l’AMF décidera s’il y a ou non lieu d’envisager de prendre des sanctions administratives dans cette affaire. Le dossier sera alors transmis à la Commission des sanctions qui statuera au bout de quelques mois.

Pour en savoir plus, décision sur le site de l’AMF.