Exclusion bancaire

la finance pour tous

Georges Gloukoviezoff, directeur du bureau d’étude 2G recherche, membre de l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale analyse l’exclusion bancaire à laquelle il vient de consacrer un ouvrage important.

 

Cette interview a été réalisée en 2011.

Il revient notamment sur les causes de ce phénomène, les apports et les limites des dispositifs mis en place. Assez sceptique quant à la création d’un fichier central des dettes des particuliers qu’il ne considère pas comme un remède miracle, Georges Gloukoviezoff évoque les voies qu’il faudrait, selon lui, chercher à emprunter.

Définition et causes

Plus de 99 % de la population en France a un compte en banque. Mais, selon Georges Gloukoviezoff, définir l’exclusion bancaire d’après ce seul critère est trop restrictif. Les exclus bancaires seront déjà plus nombreux si l’on prend en compte ceux qui n’ont pas accès à une carte de paiement ou aux services bancaires nécessaires pour mener une vie normale. De plus, ceux qui ont accès aux produits bancaires doivent pouvoir en faire un usage adapté.

Pour Georges Gloukoviezoff, l’exclusion bancaire doit être définie comme « le fait de rencontrer des difficultés bancaires qui empêche de mener une vie normale ». 5 à 6 millions de personnes seraient concernées.

Il identifie trois degrés d’exclusion :

  • la domination bancaire : les conditions d’accès et d’utilisation des produits bancaires se révèlent inappropriées, et entrainent par exemple des surcoûts ;

  • la disqualification bancaire: le statut des personnes dans leur relation avec le « banquier » est mis en cause ;

  • enfin l’exclusion au sens étroit du terme : les personnes concernées n’ont plus accès aux services bancaires.

Pour agir contre l’exclusion il faut comprendre l’ensemble du processus et des difficultés rencontrées.

Besoin social et contraintes de rentabilité

Les services bancaires constituent un besoin social, souligne Georges Gloukoviezoff. Ils sont indispensables pour vivre normalement : on a besoin d’un compte pour percevoir son salaire et ses prestations sociales ; on a souvent besoin de crédit pour faire face à des petites difficultés passagères etc. Du côté de l’offre, les banques qui répondent à ces besoins sont aujourd’hui des entreprises commerciales soumises aux contraintes de rentabilité. La rencontre des intérêts des uns et des autres ne s’opère pas toujours, notamment lorsque les personnes maitrisent mal les produits bancaire, qu’elles ne représentent pas un intérêt commercial significatif et qu’elles ne peuvent accéder qu’à des produits qui vont leur créer des difficultés – par exemple, le crédit revolving.

Les dispositifs mis en place

 

En matière de de mesures à prendre pour combattre les effets de l’exclusion bancaire, la France a été parmi les premiers pays d’Europe à rendre indispensable le compte bancaire pour mener une vie normale, et la première nation à instaurer le droit au compte, en 1984, soit la possibilité pour tout citoyen n’ayant pas de compte bancaire d’accéder à un compte courant gratuit.

Le dispositif a été enrichi en 1998 et 2001 d’un service bancaire de base, avec une carte bancaire et différents services gratuits pour que le compte puisse être utilisé. Il y a donc une base légale qui devrait permettre un accès de tous les citoyens à ces services. Ce n’est pas le cas. Avec 99% de la population titulaire d’au moins un compte bancaire, la France n’est qu’au sixième rang européen. Dans la pratique l’exercice de ce droit se révèle complexe. Les gens concernés y ont finalement peu recours. D’autres dispositifs ont été introduits en ce qui concerne la limitation des frais bancaires, pour s’assurer que l’accès au compte bancaire ne se révèle finalement nuisible pour certains.

En matière de crédit, dans le cadre de la procédure de surendettement, des commissions de surendettement prennent en compte les situations de personnes qui « se noient », et stoppent les poursuites afin de négocier une restructuration des dettes avec l’ensemble de créanciers. La procédure a été enrichie par le dispositif de rétablissement personnel qui efface les dettes et permet à ceux qui ne peuvent pas du tout rembourser leurs dettes de repartir à zéro. Dans la pratique un tiers des dossiers sont redéposés ce qui semble indiquer un taux d’échec non négligeable de la procédure. Mais il n’existe pas d’évaluation de ce dispositif permettant d’apprécier son efficacité.

S’agissant des actions de prévention, la principale mesure adoptée est l’obligation d’information des clients. Les publicités, les documents doivent satisfaire un certain nombre de normes fixées par la loi pour s’assurer que l’accès aux services bancaires est aussi approprié que possible. Georges Gloukoviezoff jugent ces régulations excellentes au regard de la situation de pays où elles n’existent pas. Mais elles ont leurs limites. On part du principe que si les clients sont bien informés, ils choisiront les produits qui correspondent le mieux à leurs besoins.

Cela supposerait qu’ils ne sont pas en situation d’urgence et qu’ils possèdent toutes les compétences nécessaires à ce type de choix – ce qui souvent n’est pas le cas. Et il faudrait que le prestataire leur propose des produits correspondants à leurs besoins – ce qui là encore n’est pas toujours le cas. Par exemple, explique Georges Gloukoviezoff, pour nombre de personnes en difficultés financières, le plus adapté serait des petits prêts personnels sur le modèle du micro crédit. Pourtant, ce produit n’est pas proposé par la plupart des banques.

Créer un fichier positif ?

 

Parmi les solutions préconisées pour combattre le surendettement et l’exclusion bancaire, la création d’un fichier positif– c’est-à-dire la mise en place d’un registre national regroupant tous les crédits en cours souscrits par une même personne- fait l’objet de débats qui divisent aussi bien les associations que les prestataires de crédits. Pour les partisans de cette mesure, elle aurait pour effet d’obliger les prestataires à distribuer les crédits de façon plus « responsable ». Georges Gloukoviezoff dit douter qu’il s’agisse de « l’arme ultime». En Belgique, où il a été mis en place de la manière la plus adaptée, il n’a pas entrainé une baisse du nombre de nouveaux dossiers de surendettement. Il semble cependant avoir entrainé une diminution du nombre des crédits et de l’ampleur des dettes des personnes surendettées.

Georges Gloukoviezoff juge cet effet non négligeable, mais il est nécessaire de prendre en compte les risques de dérives qui pourraient être notamment liées à une utilisation commerciale du fichier, limitant l’accès des personnes à d’autres services.

 De nouvelles régulations ?

 

Il n’existe pas de remède miracle, affirme Georges Gloukoviezoff. Tout ce que l’on fait a une pertinence. Il ne s’agit pas de supprimer tel ou tel dispositif existant. Il faudrait néanmoins mettre en place des régulations nouvelles permettant aux banques et autres établissements de crédit de voir leur contrainte de rentabilité pondérée, pour permettre à l’inclusion bancaire d’exister et pour que soit mieux respectée la finalité des banques consistant à fournir des produits appropriés.

Georges Gloukoviezoff préconise trois éléments : d’abord une évaluation des pratiques des banques : il s’agirait de donner de la visibilité à ce qui se passe dans les différents établissements bancaires et de crédit en matière d’accès aux services bancaires de base (compte et carte de paiements..), de montant moyen de frais prélevés sur les incidents pour les populations fragiles… et de mesurer les résultats des banques vis-à-vis de ces objectifs. Bien entendu, cette évaluation devrait tenir compte des caractéristiques des populations clientes des différents établissements bancaires. Ceux qui ont le plus de clients en situation financière difficile factureront davantage de frais d’incidents. Il ne s’agit pas de les décourager de le faire. Mais il s’agit de mieux évaluer la qualité des réponses bancaires à ces clientèles.

Puis sur la base de cette évaluation, il s’agirait de mettre en place des objectifs et des mécanismes de sanctions pour inciter à leur réalisation.

Attention, souligne Georges Gloukoviezoff, il ne s’agit pas que les clients puissent faire n’importe quoi et que leurs responsabilités soient remises en cause. Mais il s’agit d’éviter que les banques maintiennent des pratiques qui produisent de l’exclusion, parce que, de fait, ces pratiques peuvent s’avérer rentables pour les banques. Des dispositifs comme le micro crédit personnelles points passerelle, les parcours confiance ou les associations Crésus ont été mis en place avec le partenariat d’établissements bancaires.

Selon Georges Gloukoviezoff, ils constituent des exemples de bonnes pratiques. Ils montrent que de nouvelles manières de faire sont possibles et apportent des réponses. Par exemple, s’agissant des micro crédits personnels, le taux de risque de défaillance constaté est à peu près le mêmes que celui constaté pour le crédit à la consommation. Cela signifie que les taux de risque ne dépendent pas seulement des clients, mais aussi des produits proposés et de la qualité de la relation bancaire.

Selon lui, ces expériences, aujourd’hui trop limitées, doivent être considérées comme des sortes de laboratoires de recherche et développement pour de nouvelles pratiques bancaires.

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