Rencontres 2011 : Finance solidaire, investissement responsable, microcrédit… La finance durable a-t-elle un avenir durable ?

la finance pour tous

Dans le cadre des rencontres organisées par l’Institut d’éducation financière du public (IEFP), s’est tenu le 9 mars 2011 un débat-conférence sur le thème de la finance durable. Un sujet toujours d’actualité, notamment sur les questions d’investissement responsable et de transition écologique.

 

Tous les ans, nous choisissons un thème d’actualité. Après les rencontres de 2010 (« Un nouveau modèle bancaire après la crise ? »), nous avons choisi, pour l’édition 2011, de nous pencher sur les notions de finance durable.

La conférence de cette année avait donc pour thème « Finance solidaire, investissement responsable, microcrédit… La finance durable a-t-elle un avenir durable ? ». Animée par Pascale Micoleau-Marcel, déléguée générale de l’IEFP, elle a réuni cinq intervenants :

  • Jean-Louis Bancel, président du crédit coopératif, banque spécialisée dans l’économie sociale et solidaire,

  • Geneviève Guénard, Directrice administrative et financière de Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement(CCFD),

  • Emmanuelle Javoy, Directrice générale de Planet Rating (groupe Planet Finance), organisation de solidarité internationale spécialisée dans la microfinance,

  •  Emmanuel de la Ville, fondateur d’EthiFinance, agence de notation extra financière, spécialisée dans l’évaluation des la responsabilité sociale de l’entreprise et

  • Jezabel Couppey Soubeyran, maître de conférence à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et conseillère scientifique au Conseil d’Analyse Économique.Pascale Micoleau Marcel En introduction au débat, Pascale Micoleau-Marcel s’est essayée à une définition de la « finance durable », terme sous lequel elle a regroupé l’investissement socialement responsable, la microfinance et la finance solidaire, avant de revenir sur les origines et les enjeux de ce regroupement en partant du constat que la crise financière de 2008 a eu entre autre comme conséquence de provoquer un débat sur l’irresponsabilité, le court-termisme et l’aveuglement des financiers.

    Les chiffres montrent la croissance récente de l’ISR, du microcrédit et de la finance solidaire. Mais alors, sont-ils vraiment à même d’apporter des réponses aux enjeux qu’ils soulèvent ? Quelles sont la place, les limites et les perspectives d’une finance « responsable » ?

    Chaque intervenant a ensuite présenté son secteur et son métier afin d’éclairer le terme de finance durable à la lumière de l’action menée au quotidien par ceux qui la font et ceux qui l’évaluent.

Voir la présentation de Pascale Micoleau-MarcelJean Louis Bancel Jean-Louis Bancel a tout d’abord souligné le rôle que joue le Crédit Coopératif en tant que « banque utile à tous ceux qui veulent faire bouger leur monde ». Cet établissement existe depuis la fin du XIXe siècle. Il était à l’origine, la banque des anciennes coopératives ouvrières de production (actuelles SCOP : sociétés coopératives et participatives) avant d’étendre son activité aux coopératives de consommateurs depuis disparues et surtout aux coopératives de commerçants (Leclerc par exemple) qui travaillaient dès l’après-guerre dans une logique de désintermédiation. C’est ensuite auprès des mutuelles sanitaires et sociales et enfin, d’un certain nombre d’associations que le Crédit Coopératif a étendu son activité. Il touche donc l’ensemble de ce que l’on nomme l’Economie sociale, dont la place dans l’économie reste mineure.

Il insiste sur le fait qu’on oublie trop souvent les contextes nationaux : par exemple, en France, où le taux d’épargne est élevé, on considère que c’est l’épargne qui va créer le crédit tandis qu’en Amérique du nord, c’est l’inverse. Ceci a une influence notable sur la finance durable.

Il a ensuite clairement décrit et expliqué les trois principaux segments de la finance durable, à savoir le micro-crédit, l’épargne solidaire et l’ISR.

Le Microcrédit

 

L’Epargne solidaire

 

ISR

 

Voir la présentation de Jean-Louis BancelGenevieve Guenard Geneviève Guénard a présenté les origines, les développements et le fonctionnement du CCFD : le comité s’est lancé dans la finance solidaire il y a 28 ans. Il s’agissait de la 1ere ONG qui s’est intéressée à la finance en partant du principe que pour prendre en compte les questions de développement, il faut s’intéresser à la sphère économique.

Elle définit alors de manière large la finance solidaire : c’est s’intéresser à ce que produit l’investissement pour la société, davantage qu’à sa rentabilité.

D’un coté, 80 % de la population mondiale est exclue du financement bancaire tandis que d’autre part le Nord possède une épargne abondante. Comment faire le lien pour permettre que l’épargne des uns finance les projets des autres ?

C’est dans ce cadre que le CCFD s’est lié à un certain nombre de fonds de partage qui, en reversant une partie des profits qu’ils génèrent, lui permettent de financer des projets solidaires.

Par exemple, le SIDI (Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement) est un fonds composé d’actionnaires individuels et institutionnels qui agit en finançant des projets (prise de participation, prêts et garanties) et surtout, en accompagnant les projets afin que les entrepreneurs soient guidés dans la mise en œuvre et la pérennisation de leur entreprise.

Le financement uniquement sur la base des intérêts des prêts ou des bénéfices réalisés ne suffit pas : c’est pourquoi le CCFD a créé il y a 20 ans un fonds de partage avec le Crédit Coopératif : Faim et Développement: 50 % du revenu du fonds revient aux épargnants et 50 % au CCFD afin qu’il finance des projets. Autre exemple, le CCFD a créé le Fonds Ethique et Partage, investi à 98 % en actions. C’est un fond au travers duquel le Comité pratique l’ISR (choix des valeurs, interpellation des entreprises sur leurs politiques sociale et environnementale).

Elle prévient toutefois qu’investir dans ce fonds de partage ne rend pas nécessairement l’investissement « propre ». Cependant, cela permet de faire pression sur les entreprises afin qu’elles respectent certaines règles de durabilité.

 L’ensemble des fonds gérés par le CCFD représente plus de 112 millions d’euros. C’est, dit-elle, « une goutte d’eau qui peut quand même faire bouger les choses. »

Voir la présentation de Geneviève GuénardEmmanuelle Javoy Emmanuelle Javoy commence par présenter le cadre de son activité : Planet Rating est une agence de notation qui travaille uniquement dans la microfinance et qui a été créée par Planet Finance en tant qu’entreprise à vocation sociale. Planet Finance est une association qui a pour but d’aider au développement de la microfinance. Ce sont des outils qui visent à rechercher la transparence sur la performance financière et sociale des entreprises de microfinance.

Le microcrédit est né dans les pays en voie de développement du constat d’une forte exclusion bancaire en matière de crédit, liée à :

  • l’absence de garantie des demandeurs,

  • la difficulté, voire l’impossibilité de rembourser des crédits consentis à des taux très élevés (justifiés par le cout élevé pour un banquier de très petits crédits peu sûrs)

    La révolution du crédit, consiste à revenir sur ces éléments en :

  • incitant à rembourser : c’est la qu’interviennent des réflexions comme celles du professeur Yunus (le « père du micro crédit », prix Nobel de la paix) qui viennent conceptualiser les groupes solidaires, le remboursement solidaire et le crédit incrémental (mieux le crédit est remboursé, plus on prête)

  • en comprenant la réalité des gens ayant peu de moyens : sans le microcrédit, l’accès au crédit se fait de toute manière par des voies informelles : » il vaut mieux payer 70 % d’intérêt à une institution de microcrédit que 150 % à un usurier »

  • En créant alors les structures nécessaires pour formaliser la microfinance. Elle insiste sur l’importance de ces structures administratives pour pérenniser ce type de prêt.

    Il existe plusieurs types d’approches à l’intérieur de la microfinance :

  • Développer uniquement le crédit

  • Développer toute la gamme des services financiers auxquels les gens n’ont pas accès.

  • Développer par ailleurs des actions de sensibilisation L’approche la plus riche permet d’intégrer les contractants dans un système qui va au-delà du simple financement.

    Selon Emmanuelle Javoy, on se trouve à la croisée des chemins, entre miracle et désastre.

  • D’un côté le microcrédit a permis de combler un vide du marché en offrant une opportunité à des populations pauvres et précaires pour qui le microcrédit est un signe de confiance et un moyen d’émancipation.

  • De l’autre côté, des dérives nuisent au secteur : un nouveau marché a été servi et on a pu assister sur des périodes courtes (5 à 10 ans), au passage d’une situation d’exclusion à celle d’un surendettement fort. Qui plus est, les taux d’intérêt pratiqués restent très élevés et un certain nombre de marchés dysfonctionnent ou sont dévoyé : le microcrédit devient dans certains cas un simple crédit à la consommation émis par des créanciers qui pratiquent des déboursements laxistes et des procédures de recouvrement musclées. En guise de conclusion, Emmanuelle Javoy soumet l’idée que le développement progressif de la notation sociale et les discussions en termes de labellisation de la microfinance sont des moyens efficaces de réglementation du secteur.

    Voir la présentation d’Emmanuelle JavoyEmmanuel de la Ville Emmanuel de la Ville vient expliciter le rôle des agences de notation extra financières :

  • Elles fonctionnent sur un modèle particulier : par exemple, Ethifinance est une société coopérative d’intérêt collectif. Ce choix de statut répond à une volonté d’indépendance.

  • Ces agences sont peu rentables : En France le pionnier est Arese devenu Vigéo qui comme Ethifinance est à peine à l’équilibre. ERIS, équivalent de Vigéo aux Etats-Unis, et leader mondial du secteur, a un chiffre d’affaires annuel de « seulement » 5 millions d’euros

  • Aujourd’hui ces agences connaissent une embellie car de plus en plus de groupes s’intéressent aux critères ESG (Environnement, social, gouvernance). Et les investisseurs socialement responsables ont besoin de sources d’information que viennent leur fournir les agences de notation extra financières

  • Le métier premier d’une agence, c’est d’accompagner les analystes et les gérants financiers.

  • Aujourd’hui, il existe une multiplication des fonds qui se disent socialement responsables (307 au 28 février 2011 selon Novethic). Cependant, sur ces derniers, et toujours selon Novethic, seuls 140 fonds ont obtenu le label « socialement responsables », c’est-à-dire qui prennent en compte l’intégralité du triptyque ESG. C’est pour cela qu’un fonds « vert » n’est pas nécessairement labellisé ISR.

  • Dans le vaste mouvement de promotion des critères de responsabilité financière, de nouvelles initiatives viennent amplifier le phénomène comme celle des PRI (Principes for a Responsible Investment) lancée par Kofi Annan, dont les signataires s’engagent à respecter les critères ESG pour tout investissement. Dans les 10 premiers signataires figure le fonds de réserve pour les retraites. Aujourd’hui, il y a 150 signataires, ce qui représente une part non négligeable – entre 15 et 18 %- de la capitalisation mondiale.

  • L’agence Ethifinance a construit un référentiel qui est une grille de critères se basant sur les standards internationaux. Elle adapte la grille de critères selon la taille de l’entreprise et son secteur ; compare l’entreprise dans son secteur et l’évalue à partir de 4 thèmes d’analyse qui recouvrent les critères ESG. L’agence applique alors 3 principes pour juger :

Quelle est votre politique, à quoi vous engagez-vous (le discours) ?

Que faites-vous vraiment ?

Quels indicateurs utilisez-vous pour mesurer votre action ?

Voir la présentation d’Emmanuel de la VilleJezabel Couppey Soubeyran Jezabel Couppey Soubeyran a développé un point de vue plus critique sur le domaine de la finance éthique. Elle a fondé son intervention sur son ouvrage de vulgarisation La finance est un jeu dangereux paru en 2010. Elle revient sur le chapitre « L’éthique quête de la finance » en se posant la question suivante : la finance éthique est-elle différente de la finance traditionnelle ?

Non dit-elle, car, au moins en ce qui concerne les fonds ISR, leur sélection et leur composition sont identiques à celle des fonds traditionnels.

J. Couppey Soubeyran s’interroge : Est-ce une éthique en toc ?

Elle cite La Rochefoucauld : « le nom de la vertu sert à l’intérêt aussi utilement que les vices ». L’ISR, dit-elle, recherche avant tout de la performance drapée de valeurs morales. Selon elle il existe un ensemble de valeurs différentes dans la finance éthique qui peuvent se contredire. Les valeurs morales permettent de faire de la finance éthique un puissant outil marketing qui peut avoir des bons et des mauvais côtés :

  • Danger : que la finance éthique devienne un faire-valoir pour les banques. La morale ne doit pas se substituer à la réglementation. La finance éthique n’est pas un instrument de régulation. Elle ne stabilisera pas le monde de la finance. Il faut des garde-fous réglementaires pour endiguer l’instabilité financière.

  • Espoir : la finance éthique peut servir à canaliser et à donner du sens à l’épargne de long terme dont l’économie a besoin surtout au sortir de la crise. La finance éthique offre aux financiers la possibilité de bien adapter leur offre aux épargnants, de leur montrer dans quoi ils investissent, de leur donner des moyens d’agir. Pour conclure, elle rappelle que la finance éthique n’est pas un instrument de régulation, et qu’elle ne stabilisera pas le monde de la finance. Il faut des garde-fous réglementaires pour endiguer l’instabilité financière. En revanche, poursuit-elle, la finance éthique peut être un outil utile à la restauration de la confiance des épargnants dans le secteur bancaire. Elle peut donc aider à restructurer l’épargne en faveur d’une épargne financière et de plus long terme donc favorable à l’investissement de long terme donc à la croissance et à l’emploi. Enfin, finit-elle, pour les banques, cela permettrait de collecter des ressources plus stables et de mieux gérer les problèmes de liquidité.

Voir la présentation de Jezabel Couppey-SoubeyranLe débat qui a suivi ces présentations a permis de répondre à certaines questions clés.

A la question de savoir si la finance éthique a été plus épargnée par la crise, Geneviève Guénard a expliqué que cela dépend des fonds, de leurs critères de sélection, de leur fonctionnement, de leur dilution. Nombre de fonds éthiques se sont « fait avoir ». Quand on choisit un fonds, il ne faut pas se suffire de « c’est éthique ». Il faut savoir quels critères éthiques on recherche, comment on les vérifie, les note, les adapte.

Ensuite, l’intérêt de la finance éthique c’est d’être un lobby auprès des entreprises. La 1ère caractéristique de la crise de 2008 fut qu’on est moins sorti des fonds éthiques que d’autres types de fonds parce qu’il s’agissait d’investissements sur la durée.

A la question du contrôle – en tant qu’épargnant – de la destination des fonds, E. de la Ville a indiqué que les conseillers des agences bancaires sont eux-mêmes très mal informés sur ce sujet, ce qui lui paraît refléter le fait que :

  • Les fonds éthiques ne sont pas structurés,

  • Les banques sont plus ou moins convaincues par ces fonds.Il faut savoir qu’un fonds d’investissement « classique » possède entre 30 et 80 lignes de valeurs ; la banque vous communique généralement seulement les dix premières. Un fonds labellisé ISR doit communiquer la totalité du portefeuille offert.

    Pour lui, en toile de fond et face à la complexité du système financier, la faible culture économique des Français est un enjeu majeur auquel des associations comme l’IEFP tentent de répondre et sur lequel il faut se pencher.

    A la question de savoir si la finance éthique, n’est pas finalement un faire-valoir au service du « laisser faire, laisser aller », J-L Bancel a répondu que la réglementation, dans un pays très Colbertiste comme la France a tendance à entrainer une absence de diversité des offres de services bancaires et financiers. Il faut laisser vivre les espaces de diversité des offres, tout en étant absolument intransigeant pour empêcher les fausses promesses et les fausses informations.

A la question de savoir si le label ISR n’est pas trop facilement attribué (Total par exemple est prêt à se conformer aux critères du CCFD pour être labellisé par cet organisme), E. De la Ville semble d’accord et répond que si 38/40 entreprises du CAC 40 sont dans l’indice l’ASPI c’est qu’il n’y a plus une grande entreprise qui n’ait pas de politique de développement durable mais que dans le même temps ASPI rend compte des éléments communiqués publiquement par les entreprises sur leur développement durable. Dès lors, il ne peut y avoir que de bonnes notes.

Pour Geneviève Guénard, afin de lutter contre le phénomène du manque d’information, il faut introduire comme critère la réactivité de l’entreprise : le temps qu’elle met pour répondre à une interrogation et délivrer une information.

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