Les hedge funds, entrepreneurs ou requins de la finance ?

la finance pour tous

aglietta jpg

Le présent d’une illusion

Vous trouverez cette idée de base développée sur notre site: plus un investisseur veut obtenir un rendement élevé et plus ses placements seront risqués.

Mais, comme l’a écrit Paul Ricœur, « la faim d’or est insatiable ; une sorte de mauvais infini habite ce toujours plus qui n’en a jamais assez ». C’est pourquoi l’illusion du graal d’un placement à plus forte rentabilité avec un moindre risque fait bien souvent son trou. Dans la période récente, la forme frauduleuse à la Madoff n’en a pas été la seule, ni la plus importante. Un secteur entier de la finance, celui des hedge funds, a réussi un développement spectaculaire dans les années 1990 et 2000 jusqu’à la crise des subprimes en prétendant avoir trouvé cette martingale miraculeuse.

Le livre de Michel Aglietta, Sabrina Khanniche et Sandra Rigot en décrypte avec précision l’histoire et le fonctionnement. L’ouvrage est né d’un rapport sur la réglementation des hedge funds commandé par l’AMF au centre de recherche EconomiX de l’Université de Paris- Nanterre où Michel Aglietta est professeur. Le rapport a été présenté à l’AMF en juillet 2008. L’ouvrage est enrichi des recherches universitaires en cours sur les hedge funds de Sandra Rigot et de Sabrina Khanniche. Un assez large public pourra y accéder relativement facilement, mis à part certains développements techniques.

Selon les auteurs, les hedge funds se présentent comme des gestionnaires de fortunes privées, alors qu’ils ont maintenant pour clients de grands investisseurs institutionnels, c’est-à-dire indirectement la grande masse des épargnants. Ils prétendent être capables de réaliser des rendements élevés en toutes circonstances, alors qu’ils ont lourdement chuté durant la crise financière. S’ils ne sont pas eux-mêmes à l’origine de cette crise, ils agissent avec des effets de levier considérables et en étroite symbiose avec les banques d’affaires. Ils constituent des sortes de banques de marché fantômes, se comportent en « meutes mimétiques », adoptant des stratégies similaires et contribuent à la propagation des crises.

Quelle réglementation ?

C’est pourquoi pour les auteurs, les hedge funds, doivent faire l’objet d’une réglementation appropriée. La régulation s’exerçant jusqu’ici indirectement via le contrôle des banques d’investissement et des investisseurs institutionnels ne saurait suffire.

Les hedge funds se comportant comme des banques non régulées, une amélioration de la réglementation devrait d’abord porter sur des interdictions ou des limites à l’effet de levier, et sur des exigences de capital réglementaire et de liquidités. La réglementation indirecte devrait elle aussi être renforcée via les banques d’investissement (exigence de fonds propres, séparation des activités…) et la réglementation des marchés dérivés (organisation de la compensation…). Il s’agirait également de modifier les règles d’enregistrement et de rémunération des gérants actuellement très asymétriques entre les gains et les pertes. Un autre volet devrait enfin concerner le comportement des investisseurs institutionnels clients des hedge funds. Les auteurs souhaitent « leur réveil » après la grande passivité naïve dont ils ont fait preuve avant la crise. Ils devraient devenir en quelque sorte des investisseurs exerçant pleinement leurs responsabilités vis-à-vis des gérants et être placés dans la capacité de le faire grâce à la divulgation obligatoire par les hedge funds d’informations suffisamment précises et détaillées au lieu de l’opacité actuelle.

À la suite des recommandations énoncées par le G20 de Londres, l’Europe et les États-Unis ont élaboré des projets de réglementation de ces fonds. L’Union Européenne a semblé vouloir donner l’exemple en proposant une directive qui s’attaque à la prise de risque excessive. Mais il y a actuellement un lobbying intense notamment sur les conditions liées à l’obtention d’un passeport européen et le débat a été repoussé à l’après élections législatives du Royaume Uni de mai 2010.

Quel rôle à l’avenir ?

Est-ce à dire que les auteurs veulent la mort du pêcheur ? Certes, la réforme de la régulation qu’ils réclament aurait pour conséquence de rendre inopérantes ou insuffisamment rentables nombre de leurs stratégies. Mais dans des règles du jeu assainies, les hedge funds pourraient, selon eux, « découvrir des niches dans lesquelles ils pourraient prospérer parce que leur activité sera en accord avec les changements structurels du nouveau régime de croissance. Bien encadrés par les plus gros investisseurs sur les marchés financiers, les hedge funds pourraient alors se comporter en entrepreneurs de la finance ». En tout cas ils ne misent pas sur un changement volontaire de leurs comportements tirés des leçons de l’expérience : « Il est permis de croire aux miracles, mais il n’est pas permis de fonder sur cette croyance le financement des économies » écrivent-ils en conclusion de leur ouvrage.

Michel Aglietta, Sabrina Khanniche, Sandra Rigot Perrin Editions Janvier 2010

 

Aller plus loin :

Mot de la finance hedge funds

Débat sur la définition des hedge funds

Conférence de Michel Aglietta : « Où va l’industrie des hedge funds ? »

0 commentaire

Commenter