Impôt sur le revenu : Une proposition de réforme

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Cette interview a été réalisée en juillet 2011. Les propos tenus doivent donc être considérés en se plaçant dans le contexte de l’époque.

Professeur à l’école d’économie de Paris, Thomas Piketty a publié en janvier en collaboration avec Camille Landais et Emmanuel Saez, « Pour une révolution fiscale, un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle ». Il en présente les principales propositions et revient sur différents points de controverses que ce livre a suscitées.

Le diagnostic

 

Selon Thomas Piketty l’impôt sur le revenu est en faillite. Impôt au taux progressif supposé monter jusqu’à 41%, il ne rapporte que 50 milliards d’euros soit près de deux fois moins que la CSG (Contribution sociale généralisée), impôt proportionnel sur le revenu dont le taux est seulement de 8%.

La cause de ce paradoxe, explique-t-il, est la multiplication des niches fiscales qui aboutissent à ce que le taux de 41% ne s’applique pratiquement à rien. L’impôt sur le revenu est devenu d’une extraordinaire complexité. « Quand on a un niveau global de prélèvements obligatoires très élevé, quasiment la moitié du revenu national, nous dit-il, il faut que le système soit juste, perçu comme juste et transparent. Il devrait respecter des principes du type à revenu égal, impôt égal. »

Dans la réalité, cet impôt n’inspire plus confiance puisque « chacun a l’impression que son voisin s’en sort un peu mieux que lui » et il n’assure même pas le minimum de progressivité, c’est-à-dire de taux effectif d’imposition croissant avec le revenu, qu’on serait en droit d’attendre.

Refonder à partir de ce qui marche

Il s’agit donc, explique Thoma Piketty, de refonder véritablement l’impôt sur le revenu à partir de ce qui marche dans notre système, à savoir la CSG.

Celle-ci a le défaut d’être strictement proportionnelle mais elle fonctionne sans niches fiscales et avec un prélèvement à la source. Chaque mois les salaires sont perçus après déduction de 8%. Le même prélèvement est effectué à la source sur les intérêts ou les dividendes versés sur le compte bancaire des investisseurs.

Ce système beaucoup plus efficace permet de s’adapter aux évolutions de revenus des uns et des autres. Tous les pays qui nous entourent l’ont adopté. Mais pas en France. Selon Thomas Piketty, les raisons invoquées sont en fait de « bonnes excuses » pour conserver un prélèvement morcelé avec d’un côté la CSG et de l’autre l’impôt sur le revenu. Cela rend le système inefficace et injuste.

Les propositions

 

Il s’agit de partir de l’actuel assiette de la CSG (Contribution sociale généralisée) explique Thomas Piketty mais avec un barème qui ne serait plus de 8 % quelque soit le revenu mais avec un barème progressif en fonction du revenu.

Nous proposons un taux d’imposition de 10 % pour un revenu mensuel brut de 2000 €, de 13 % pour un revenu de 5000 €. La progression est linéaire : le taux est de 11% pour un revenu de 3000 € et de 12 % pour 4000 € de revenu. Avec un barème de ce type le nouvel impôt rapporterait autant que la CSG et l’impôt sur le revenu actuels dont les tranches de taux marginaux, censées monter jusqu’à 41 %, s’appliquent en réalité sur des assiettes très étroites.

A revenu égal impôt égal

 Selon Thomas Piketty un tel système serait à la fois simple très lisible par les contribuables et techniquement facile à mettre en œuvre. Il repose explique-t-il sur une philosophie très simple : A revenu égal impôt égal.

« On prend tous les revenus actuellement soumis à la CSG : salaires, revenus non salariés, dividendes, loyers, intérêts, et on leur applique le même barème. » Tous les revenus sont traités de la même manière. En fait les pays de l’OCDE ayant expérimenté des systèmes d’imposition différents selon les sources de revenus évoluent dans le sens d’une uniformisation. Plusieurs raisons selon lui le justifient.

Dans la pratique la distinction entre revenu du capital et revenu du travail n’est toujours évidente, par exemple s’agissant des entrepreneurs. Si les taux d’imposition entre catégories de revenus sont différents, cela engendre des comportements d’optimisation fiscale qui certes donne du travail aux conseillers fiscaux mais qui sont des sources de distorsion et d’inefficacité économique.

Il s’agirait donc de construire un système d’imposition qui soit neutre par rapport aux types de revenu, y compris par rapport au choix de placements financiers. Selon lui, utiliser la fiscalité pour favoriser certains placements ou certains investissements aboutit en fait à un empilement de régimes dérogatoires qui finit par ne pas avoir de sens ni de cohérence. « Le meilleur service que puisse rendre la fiscalité à l’efficacité économie, dit-il, c’est la simplicité et la transparence ».

Les controverses

 

L’individualisation de l’impôt ne menace-t-il pas les couples ?

Le quotient conjugal, consiste à être imposé au niveau du couple. On ajoute les revenus des deux personnes qui vivent mariés ou pacsés. On divise ce revenu par deux avant d’appliquer le barème de l’impôt sur le revenu puis de multiplier par deux le montant obtenu.

Ce système n’apporte pas davantage si les conjoints ont des revenus comparables. Mais cela permet d’être imposé à des tranches d’imposition plus basses lorsque les revenus des conjoints sont très inégaux. Plus la situation de revenus du couple est inégalitaire, plus cela fait économiser des impôts nous dit-il. Cela incite les couples inégalitaires à le rester.

Selon Thomas Piketty, ce système qui n’est plus adapté à la société ni aux objectifs d’égalité professionnel hommes-femmes que l’on cherche par ailleurs à promouvoir. L’individualisation de l’impôt vise à davantage de neutralité et d’être moins intrusive par rapport aux choix de vie privée qui ne regardent pas l’administration fiscale. Il ne s’agit pas, dit-il, de surtaxer les couples « inégalitaires » par rapport aux couples « égalitaires » mais de les taxer autant.

La question quotient conjugal devant être dissociée des politiques familiales. La moitié des enfants naissent de couples non mariés ou pacsés, souligne–t-il. On devrait donc, selon lui,. mieux s’intéresser aux enfants plutôt qu’au lien juridique qui lie les parents.

La suppression du quotient familial ne menace-t-elle pas les familles ?

Il ne s’agit pas explique Thomas Piketty d’enlever un euro à la politique familiale qui marche plutôt bien en France mais de viser un renforcement, une simplification et une pérennisation.

Le montant global de ce qui est accordé via le quotient familial serait maintenu. Mais avec dans le système actuel, l’allocation correspondant à la baisse d’impôt liée au mécanisme actuel du quotient familial est fortement progressive avec le revenu.

Il s’agirait de la remplacer par une diminution d’impôt forfaitaire par enfant indépendante su revenu des parents, avec une majoration qui pourrait être maintenue à partir du troisième enfant. Cela s’inscrit clairement dans une inspiration de politique familiale universelle.

Dans le modèle proposé, en additionnant allocations familiales et réduction d’impôt, cela représenterait une aide d’environ 200 euros par enfant. Pour Thomas Piketty, ce serait un système plus juste et aussi plus lisible, car souligne–t-il les jeunes parents ne savent pas vraiment combien leur rapporte le quotient familial et combien il leur rapportera chaque année.

Les controverses

 

L’épargne et l’investissement ne seront-ils pas pénalisés?

La réforme proposée part de l’assiette actuelle de la CSG. Le livret A n’est pas soumis à ce prélèvement et il resterait donc ce qui est justifié selon Thomas Piketty par le taux de rendement réel sur le livret A en général proche de zéro.

Actuellement, explique-t-il, certaines formes d’épargne sont taxées beaucoup plus fortement que d’autres. L’information des épargnants est loin d’être toujours suffisante et beaucoup d’épargnants s’y perdent, certains tombant dans la bonne case, d’autres non. Le système proposé vise la simplification. L’impôt payé ne dépendra que du niveau de revenu global. Concrètement, avance-t-il, avec le barème proposé, beaucoup d’épargnants y gagneraient. Ce sont ceux dont le revenu brut mensuel est inférieur à 6000 euros. C’est-à-dire, 90 à 95 % de la population, y compris souligne-t-il de nombreux cadres et créateurs d’entreprises.

On y gagnerait également du point de vue de l’efficacité économique, car la neutralité fiscale entre revenu du travail et revenu du capital est selon lui ce qu’on peut espérer de mieux. A condition toutefois d’éviter d’alourdir la fiscalité. C’est pourquoi la proposition de refonte formulée par Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez est « à recette constante », c’est-à dire au niveau actuel de 45-50% de prélèvement fiscal et social sur le revenu national.

Les controverses (3)

 

Quelle fiscalité pour les bas revenus ?

Au niveau du SMIC les auteurs proposent un taux de prélèvement de 2 % sensiblement inférieure aux 8 % actuel de la CSG.

En contrepartie, explique Thomas Piketty, la prime pour l’emploi serait supprimée. Selon lui celle-ci est « le comble de l’absurdité » et concerne quelques 9 millions de personnes. Le système actuel consiste en effet à prélever chaque mois sur les salaires correspondant au SMIC ou un peu supérieur à celui-ci 8 % de CSG – ce qui annuellement correspond à un mois de salaires – et à verser un an plus tard, au titre de la prime pour l’emploi, un chèque qui peut être de l’ordre de ½ ou ¾ de mois de salaire.

La proposition de refonte fusionnant CSG, l’impôt sur le revenu et la prime pour l’emploi répond donc selon lui à un souci de simplicité et d’efficacité, permettant à chacun de savoir où il en est du point de vue de ses revenus.

L’imposition des très hauts revenus ne sera-t-elle pas excessive ?

S’agissant des très haut revenus jusqu’à 100 000 € de revenus individuels mensuels les auteurs proposent de monter jusqu’à 60% d’imposition alors qu’actuellement le taux d’imposition pour ces niveaux de revenu est de l’ordre de 50 % (41 % au titre de l’impôt sur le revenu + 8 % de CSG).

Pour Thomas Piketty, cela est raisonnable. Il s’agit souligne-t-il de niveaux de revenus correspondant à 100 SMIC mensuels. Il en resterait 40. On peut toujours proposer des taux inférieurs, mais si l’on veut conserver le même niveau de recettes, il faudra augmenter la pression fiscale pour d’autres catégories sociales. Le test peut en être fait sur le site www.revolution-fiscale.fr

Aller plus loin : Le site www.revolution-fiscale.fr sur lequel sont expliquées les principales conclusions du livre « Pour une révolution fiscale, un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle ».

Sur les controverses suscitées par la refonte proposée par Thomas Piketty Camille Landais et Emmanuel Saez et pour d’autres propositions de réformes de la fiscalité du revenu voir notamment « Crise et croissance : une stratégie pour la France », rapport de Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen et Mathilde Lemoine pour le Conseil d’analyse économique publié en juin 2011.

    5 commentaires sur “Impôt sur le revenu : Une proposition de réforme”
    1. Bonjour,
      mais alors ,Mélenchon, avec ses 14 tranches d’imposition n’est nullement un révolutionnaire…même pas radical!
      Bonne journée

    2. Bonjour,
      Les propositions de Thomas Piketty concernant la réforme fiscale n’ont pas été suivies d’effet à ce jour.
      Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, préconisé par Th. Piketty. pourrait être la seule proposition qui puisse se concrétiser à moyen terme.
      Meilleures salutations.

      L’Equipe de Lafinancepourtous.com

    3. Bonjour,
      Passionnant article grâce à Thomas Piketty. Je remarque que cet article date de 2011. Que devient aujourd’hui cette proposition de réforme fiscale si intéressante ?
      Respectueusement, Baptiste.

    4. Bonjour.
      J’ai lu votre article avec grand intérêt. Je vous rejoins sur beaucoup points. Votre article est plus que jamais actuel à l’heure de la « remise à plat » du système fiscal français. Merci.

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