Rencontres parlementaires sur l’épargne et la fiscalité

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Les Français épargnent beaucoup, mais mal. C’est, dans les grandes lignes, ce qui ressort de la 22e édition des rencontres parlementaires sur l’épargne et la fiscalité, qui s’est tenue le 6 février dernier.

Si le volume de l’épargne en France reste élevé, c’est son orientation qui pose problème. L’épargne doit avant tout être orientée vers le long terme, c’est-à-dire sur des supports comme les actions ou les obligations qui permettent de financer l’économie.

Pour en débattre, deux tables rondes ont été organisées sur les thèmes suivants : « Epargne durable, épargne utile ? » et « Epargne et croissance ».

Rencontres parlementaires sur l epargne et la fiscalite

Le sénateur de l’Oise, Philippe Marini, a introduit les débats en rappelant le contexte actuel et les mesures fiscales de la loi de finances 2013 qui fait passer les revenus du patrimoine au barème de l’impôt sur le revenu.Selon lui, deux visions de l’épargne s’affrontent. L’une considère l’épargne comme du patrimoine qui dort et qui doit être taxé. L’autre voit dans l’épargne un outil qui permet de financer des projets.Il regrette que le gouvernement ait favorisé les placements sans risques et liquides comme le Livret A et le LDD. Pourtant, le rapport Gallois avait rappelé la nécessité d’orienter l’épargne vers les placements longs. Le sénateur considère que la fiscalité de l’épargne est trop « dure ». Il avance les chiffres des dépenses fiscales par produit d’épargne, ces fameuses « niches fiscales », prévues par la loi de finances initiales 2013.

Principales dépenses fiscales (PLF 2013)

Produits

Montant en millions d’euros

Livrets réglementés

665

Assurance-vie

1 210

Epargne logement

580

Epargne salariale

1 440

Avantages Madelin

243

PEA

220

Investissements locatifs

1 700

Investissements outre-mer

690

Source : Annexe PLF 2013, Evaluation des voies et moyens, tome II

Voir les annexes de la PLF 2013

Au total, ce sont plus de 7 milliards que l’État renonce à percevoir pour favoriser certains produits d’épargne.

Dominique Lefèbvre, député du Val d’Oise chargé, avec Karine Berger, d’un rapport sur la réforme de l’épargne financière, poursuit en précisant qu’il ne s’agit pas de vouloir augmenter le taux d’épargne des Français qui est déjà très élevé, mais de trouver une allocation optimale de l’épargne. Il faut corriger la concentration du patrimoine par la fiscalité.En effet, les écarts de patrimoine sont deux fois plus importants que les écarts de revenus.

Épargne durable, Épargne utile ?

Le professeur André Babeauregrette quant à lui le niveau « modeste » d’investissement en France et le fait que l’épargne nationale n’arrive pas à couvrir les besoins de financement. Résultat : le recours à l’emprunt est inévitable.Pour comprendre l’approche originale d’André Babeau, se référer à la fiche de lecture consacrée à son ouvrage « Les comportements financiers des Français ».

La constitution d’épargne a deux principales motivations. La première correspond au bien-être individuel (remboursement des prêts, retraite, volonté de transmission, etc.) et la seconde au bien-être collectif (contribution à la croissance et stabilisation de la société). Or, selon André Babeau, on s’interroge aujourd’hui sur le rôle que l’épargne aurait à jouer dans le bien-être collectif :

  • Les particuliers doivent-ils contribuer à financer la dette publique ?

  • Doivent-ils directement ou indirectement financer le logement social ?

  • Quel est le niveau de risque que doivent supporter les différentes catégories d’épargnants ?

Favoriser l’épargne longue

Gérard Bekerman, président de l’Association Française d’Épargne et de Retraite (Afer), insiste quand à lui sur« la nécessité d’une politique fiscale pour la France » et dénonce le « matraquage fiscal » dont est victime l’assurance-vie depuis 1981 (près de 20 mesures fiscales successives) qui concerne près de 14 millions de personnes en France.Selon lui, « la taxer une nouvelle fois, en augmentant les prélèvements sociaux par exemple, serait rendre un mauvais service à la France […] Cela ne ferait qu’aggraver la décollecte. Les compagnies d’assurances seraient alors obligées de commencer à vendre des OAT pour avoir de la liquidité »

« S’il y a bien une épargne longue, c’est l’épargne retraite » pour Christian Carrega. Le directeur général de la Caisse nationale de Prévoyance de la Fonction publique (Préfon) considère qu’il faut encourager les dispositifs qui permettent de sécuriser l’épargne longue car elle œuvre pour l’économie. La fiscalité est actuellement le principal levier incitatif mais il est inutile pour plusieurs catégories de personnes, notamment pour tous les foyers non imposables.

Bertrand Corbeau, directeur général de la Fédération nationale du Crédit Agricole (FNCA), rappelle néanmoins que « 100 % de l’épargne reçue par les banques sert au financement de l’économie ». Cependant, les dernières mesures prises par le gouvernement (relèvement du plafond du Livret A par exemple) tendent à encourager l’épargne de court terme : « Il faut favoriser l’épargne longue ». En effet, les exigences des régulateurs internationaux et nationaux relatives au renforcement des fonds propres bancaires contribuent, selon lui, à réduire la liquidité bancaire et mécaniquement l’octroi de crédit, ce qui freine le financement de l’économie.

Épargne et croissance

Ramon Fernandez, directeur général du Trésor énonce les différentes mesures de régulation européennes et nationales actuellement en cours (Bâle III), Solvabilité 2… :« Nous sommes dans une phase de transition […] Cette série de réformes va avoir un impact à court terme sur l’économie, mais contribuera à long terme à la croissance ». Pour ce dernier, il ne s’agit pas de remettre en cause le modèle de la banque universelle mais d’assurer la capacité des entreprises à soulever des fonds par d’autres moyens et à renforcer le rôle dans l’économie des investisseurs de long terme.

Jean Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, poursuit le raisonnement : l’épargne doit être transformée en investissements de long terme. Il faut néanmoins prendre en compte deux éléments :

  • Le vieillissement de la population duquel résulte un ralentissement de l’innovation et du progrès technique ;

  • Le déséquilibre entre épargne et investissement. L’épargne est inférieure à l’investissement depuis plus d’un demi-siècle.

« Il faut favoriser l’épargne par tous les moyens : développer le crédit impôt recherche, soutenir la rentabilité des entreprises… ».

Marietta Karamanli, député de la Sarthe, constate quant à elle la complexification de l’offre de l’épargne notamment la sophistication croissante des produits. Résultat : les épargnants n’ont pas épargné de manière productive et l’offre n’est pas assez adaptée à leurs divers profils de risque :« Il faut simplifier et unifier l’offre d’épargne et développer de nouveaux instruments qui tiennent compte du risque ».

L’épargne au service de l’économie

Le président du directoire de la Banque Postale, Philippe Wahl, rappelle qu’un excès d’épargne est facteur de bulle. Il faut orienter l’épargne mais pour cela la régulation prudentielle des activités financières a plus d’influence que la fiscalité. C’est l’ensemble de règles de l’épargne qu’il faut revoir en donnant la priorité à l’innovation, à la création d’entreprise et à la Recherche et Développement.

Le député de la Marne, Charles de Coursond défend l’épargne risquée : « Si on veut stimuler la création de richesses, il faut encourager le risque, il faut rendre attractive l’épargne risquée, notamment les actions ». Le député formule diverses propositions notamment :

  • Un abattement progressif avec la durée de la détention des actions plus élevé que celui existant dans la loi de finances 2013. (NDLR : La loi de Finances pour 2013 intègre un abattement de 20 % à 40 %  en fonction de la durée de détention);

  • Un allongement de la durée de détention de l’assurance-vie pour bénéficier de l’exonération des gains n contrepartie du financement de l’activité productive.

Bernard Sptiz, président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), considère qu’on ne peut pas reprocher aux Français de ne pas prendre de risque dans un tel contexte économique. Il revient sur les arguments précédemment développés par Gérard Berkerman sur la nécessité d’une politique fiscale stable et lisible pour les épargnants, notamment en ce qui concerne l’assurance vie qu’il qualifie de« poumon de l’économie française ».

Enfin, Pierre de Lauzun, de la Fédération bancaire française (FBF) défend les actions. Elles sont pour lui, l’instrument d’épargne le plus « maltraité » en France. Pourtant, notre pays a besoin d’investisseurs institutionnels, de fonds de pension qui investissent massivement dans ces produits. Il conclut les débats en affirmant la nécessité de « recréer une classe d’actionnaires en France car l’économie a besoin de fonds propres pour relancer l’investissement ».

L’épargne courte peut être aussi utile

Pour François Marc, sénateur du Finistère et rapporteur général de la commission des Finances, l’idée que la fiscalité française est la plus lourde en Europe est fausse. Selon lui, la plupart des mesures fiscales prises par le gouvernement se sont traduites par une« baisse d’impôts pour la majorité des français ». Par ailleurs, l’épargne courte apporte une dynamique indispensable à l’économie (par exemple le financement des logements sociaux) :« Oui c’est court, oui c’est liquide, oui c’est sécurisé, mais c’est indispensable ».