Rapport Berger-Lefebvre : ce qu’il faut retenir

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Initialement prévue fin 2012, la remise du rapport Berger-Lefebvre sur l’épargne longue a eu lieu  le mardi 2 avril en fin d’après-midi au Ministère de l’économie et des finances. Analyse des principaux points à retenir parmi les quinze mesures présentées.

Réformer l’épargne longue

Commandé par Jean-Marc Ayrault aux députés socialistes Karine Berger et Dominique Lefebvre, ce rapport se veut ambitieux et affiche un objectif clair : celui de réformer l’épargne longue : « cette mission s’inscrit dans le cadre de la vaste réforme du financement de l’économie française entreprise par le Gouvernement afin de le rendre plus efficace et de le mettre au service de l’économie réelle. […] les propositions formulées à l’issue de cette mission s’intègreront dans la réforme fiscale du Gouvernement qui vise à aligner la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail. » précisait la lettre de mission du Gouvernement en date du 9 octobre 2012.

En novembre 2012, le rapport Gallois introduisait déjà l’idée d’inscrire davantage l’épargne longue dans l’investissement de long terme de l’économie française : « le renforcement des fonds propres des entreprises est évidemment essentiel pour soutenir l’investissement dans une période de crédit plus rare […],il constitue un complément indispensable au « choc de compétitivité ». Le rapport proposait ainsi d’allonger la durée des contrats d’assurance-vie de façon à réorienter l’épargne vers des placements longs et risqués qui seraient eux-mêmes réorientés vers le secteur industriel.

Un objectif globalement repris par le présent rapport avec la réorientation de près de 100 milliards d’euros d’épargne financière vers le « financement productif » des entreprises, dont un quart vers les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) et les Petites et Moyennes Entreprises (PME). Quinze mesures ont ainsi été présentées pour atteindre cet objectif d’ici à 2017.

Créer un nouveau contrat d’assurance-vie « Euro Croissance »

Particulièrement attendue par les professionnels du secteur de l’assurance, l’une des mesures phares du rapport concerne la création d’un nouveau contrat d’assurance-vie dit  « Euro Croissance » sur le principe des contrats « euros diversifiés ».

Ce nouveau contrat allierait des investissements en actions et en obligations et afficherait un rendement supérieur aux contrats en euros. Néanmoins, le capital de ces contrats serait uniquement garanti à terme contrairement aux contrats en euros dont le capital est garanti à tout instant :« le développement de nouveaux contrats « Euros-Croissance » […] permettra de concilier le souhait des épargnants d’une certaine sécurité de leurs placements tout en préservant un rendement suffisant et la capacité des assureurs à financer l’économie et en particulier à apporter aux entreprises des financements en fonds propres et en dette ».

« Inciter à une plus grande prise de risque »en aménageant la fiscalité de certains produits

Le rapport précise également que les contrats d’assurance-vie en euros déjà existants pourraient être transformés en contrats en euros diversifiés sans aucune perte d’antériorité fiscale.

Enfin, la fiscalité des contrats en euros s’appliquerait uniquement jusqu’à un seuil de 500 000 euros d’encours. Au-delà, elle pourrait être maintenue sous réserve d’investir dans un contrat en unités de compte (UC) ou dans un contrat « Euro Croissance ».Sur ce point, les deux auteurs précisent : « cette mesure […] ne devrait concerner que les contrats au-delà de 500 000 € d’encours par ménage, ce qui correspond à des contrats détenus par les 1 % des ménages les plus riches ».

La transformation des contrats en euros en contrats « Euro Croissance » permettrait ainsi de dégager 20 milliards d’euros  pour les entreprises auxquels  s’ajoute la réorientation des flux futurs  d’épargne vers ce nouveau type de support : 50 milliards d’ici à la fin du quinquennat selon les deux rapporteurs. Au total, ce serait près de 70 milliards sur les 100 milliards prévus par le rapport qui seraient captés par la mise en place de cette seule mesure.

Ces mesures avaient déjà été pressenties quelques jours avant la parution du rapport et les réactions ne s’étaient pas fait attendre du côté des professionnels du secteur :« il ne faudrait pas ajouter de la complexité à une offre qui est déjà complète et cohérente », avait expliqué Eric Le Baron, directeur général de Swiss Life Assurance et Patrimoine en précisant :« C’est un produit séduisant sur le papier (le contrat « Euro Croissance », ndlr), mais qui oblige la clientèle à bloquer une somme pendant une durée relativement longue. Cela ne me semble pas correspondre à une attente forte. Beaucoup d’épargnants se servent du fonds euros de leur assurance-vie comme d’une réserve de liquidités » (Les Echos, mars 2013).« Les épargnants sont très attachés aux caractéristiques actuelles des contrats, à savoir leur liquidité à tout moment, et, pour les fonds en euros, la garantie du capital et l’effet cliquet, qui permet de garder les intérêts acquis », avait ajouté le président de la filiale d’assurance-vie du Crédit Mutuel, Bernard Le Bras.

Mettre en place un PEA dédié aux PME

Pour stimuler la réorientation de l’épargne vers le financement de l’économie réelle, le rapport suggère la mise en place d’un « PEA – PME à destination des particuliers et l’ouvrir aux «agrégateurs » institutionnels de l’épargne ».

Sur ce point, le rapport précise que des évolutions de la fiscalité pourraient s’appliquer aux particuliers investissant dans des PME ou ETI « tout en reconnaissant que la nature relativement risquée de ces investissements nécessite quelques dispositions protectrices de l’épargnant ». Gain estimé : entre 3 et 4 milliards d’euros selon les deux rapporteurs.

« Consolider la confiance des Français dans l’épargne populaire »

Autre objectif affiché du rapport : « consolider la confiance » des épargnants français dans l’épargne populaire.

Le rapport réaffirme avant tout la nécessité de maintenir les avantages fiscaux et sociaux adossés aux  produits d’épargne salariale et de retraite et de poursuivre l’objectif de doublement du plafond du Livret A, déjà entamé par le gouvernement. Ces ressources supplémentaires permettraient ainsi de dégager entre 10 et 20 milliards d’euros pour financer de grandes infrastructures et « un droit de refinancement jusqu’à 10 milliards d’euros pourrait être ouvert dès 2013 pour le financement des entreprises ».

Des mesures qui visent finalement les hauts revenus

De l’aveu de Karine Berger dans un entretien à Challenges réalisé en mars, l’ensemble des mesures proposées concernera surtout les hauts revenus : seuls ces ménages peuvent se permette « une dose de risque » dans un contexte économique déprimé.

Pas de refonte majeure du système

Que les banquiers et les assureurs se rassurent, le rapport ne propose aucun grand bouleversement mais des réaménagements fiscaux et structurels afin d’inciter les particuliers à orienter leur épargne vers des placements plus risqués  pour contribuer au financement des PME et ETI françaises :« Il serait au demeurant tout à fait inapproprié, dans le contexte de croissance faible que nous connaissons en France et en Europe et eu égard à la situation des finances publiques, de peser davantage sur la demande intérieure en développant de nouveaux produits et de nouvelles incitations fiscales visant à relever le niveau d’épargne des Français » indiquent les deux rapporteurs.

Pas question, donc, de modifier la fiscalité de l’épargne en profondeur mais plutôt d’assurer sa stabilité, « vecteur de confiance » des épargnants français.

Ces mesures devraient être examinées et discutées par le gouvernement cet été avant d’être débattues à l’Assemblée Nationale dès l’automne 2013.