Le printemps de l’économie

la finance pour tous

Printemps de l economie

L’IEFP était présente le jeudi 4 avril 2013 à deux conférences organisées au lycée Turgot dans le cadre du « printemps de l’économie » autour des sujets suivants : Quel avenir pour l’industrie française ? Et la croissance est-elle encore possible ?

Ambiance studieuse au lycée Turgot où les  intervenants ont procédé à un exercice de réflexion  devant un auditoire composé en majorité de jeunes lycéens, et étudiants en BTS et classe préparatoire attentifs et motivés.

L’avenir de l’industrie française

Au cours de la  première conférence, Louis Gallois posait la question de l’avenir pour l’industrie française.

Le Commissaire général à l’investissement n’est pas un homme pessimiste, il croit profondément que l’industrie française présente des atouts majeurs. Il a rappelé que la France restait leader dans l’industrie du luxe, de l’énergie nucléaire et aussi en matière de recherche de haut niveau. Mais l’industrie française perd des emplois et surtout la France présente un solde négatif de sa balance commerciale de produits manufacturés (hors énergie).

Bien sûr le modèle gagnant aujourd’hui semble être l’Allemagne. D’ailleurs, leur problématique n’est pas la même que celle de l’industrie française. Prenons l’exemple de l’industrie automobile. Alors que les enseignes allemandes « se battent entre elles » pour se partager le marché mondial, les voitures françaises se heurtent à la concurrence des pays émergents. En fait, les industriels allemands profitent d’une compétitivité hors prix : la «deutsche qualität », la qualité allemande.

Louis Gallois le dit. L’industrie française n’a pas réussi sa reconversion vers des produits haut de gamme. Elle se retrouve prise dans un cercle vicieux où pour vendre, les entrepreneurs baissent leurs prix. Moins de marges commerciales, moins d’investissement, moins d’innovations qui ont pour conséquences des  pertes de compétitivité prix et hors prix.

Louis Gallois identifie  quatre points de faiblesse du tissu industriel français :

  • Une articulation trop faible entre l’appareil de recherche et l’industrie française. Mais aussi, avis aux enseignants, une nécessité de reconsidérer les programmes scolaires afin de former les jeunes à devenir citoyens mais aussi  futurs salariés. « Il faut développer l’employabilité des jeunes diplômés » « Rentrez dans les ateliers de production… travaillez dans l’industrie, c’est passionnant ! »  lance Mr Gallois aux jeunes présents.

  • Des placements d’épargne qui ne vont pas vers l’industrie. La France présente l’un des taux d’épargne les plus élevés du monde (16 % du PIB) mais orienté vers la pierre et les placements en livrets. Pour M. Gallois, il faut encourager, par des mesures fiscales, les épargnants à prêter aux jeunes entrepreneurs soit directement soit par l’intermédiaire de l’assurance vie.

  • Faiblesse des filières françaises : Le tissu industriel n’est pas homogène, il manque d’entreprises de taille intermédiaire. Quant aux grandes entreprises, elles ne développent pas suffisamment de partenariat avec leurs sous-traitants. C’est un facteur de fragilité qui entraine un manque de réactivité et d’adaptabilité dans l’industrie.

  • Incapacité à établir un dialogue social qui repose sur la confiance et la complémentarité.

La conclusion de cette conférence où de nombreuses questions ont ensuite été posées, se présente en deux points : Oui, l’Allemagne a une culture industrielle qui lui a permis de développer un modèle fort, envié par beaucoup d’Européens. Mais Non ! Tout n’est pas perdu. Il n’y a pas les « laissés pour compte » d’un côté de l’Europe et les « gagnants » de l’autre. Il est toujours possible de retrouver une position mondiale dominante. Il suffit de voir l’exemple de l’industrie coréenne qui, par son dynamisme et la mobilisation de toute une population, se retrouve aujourd’hui leader mondial dans l’informatique et l’automobile.

La croissance est-elle encore possible ? Et l’austérité obligatoire ?

La soirée s’est poursuivie par une table ronde qui rassemblait Philippe Askenazy, Patrick Artus et Dominique Plihon autour du thème du retour à la croissance  : la croissance est-elle encore possible ? Reviendra-t-elle par l’austérité ? Les trois économistes donnent un tableau  pessimiste de l’économie européenne : des taux de  croissance  proches de zéro, des gains de productivité nuls, des taux de chômage en forte augmentation, une explosion des dépenses publiques, des investissements productifs insuffisants.

Philippe Askenazy, chercheur au CNRS et membre du Conseil d’Analyse Economique, qui a introduit le débat, constate que la productivité stagne en Europe, ce qui est, selon lui, à la fois une mauvaise nouvelle (ce moteur de la croissance est complètement à zéro) et une bonne nouvelle (sans cette stagnation de la productivité, il y aurait une explosion du chômage).  

Il appelle à la construction d’une stratégie commune de développement pour le continent européen. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natexis et professeur à Paris 1 et Polytechnique, estime que, contrairement à ce que prétendent les institutions internationales, la situation de la zone euro est en train de se dégrader. La stratégie suivie depuis 2009 pour sortir de la crise est un échec : la volonté européenne de réduire les dépenses publiques et de regagner en compétitivité en comprimant le coût du travail bloque la croissance. Pourquoi ? Parce que les prix ne baissent pas automatiquement, c’est le cas de l’Espagne. Cela entraine deux effets pervers : la baisse de la compétitivité et celle du pouvoir d’achat des ménages. 

Pour l’économiste, il faut en premier lieu convaincre les Allemands que cette politique ne marche pas. Il faut aider au désendettement de tous. Désendetter les Etats. Pourquoi la BCE ne pratiquerait-elle pas la même politique de rachat de la dette que la FED aux USA ? Baisser les taux d’intérêt pour restaurer un niveau d’endettement soutenable des ménages. Il rappelle que les  américains  ont retrouvé des niveaux équivalents à ceux de 2002. Assainir les bilans des banques en difficulté.

A plus long terme, il faut affronter la question de la disparition du progrès technique en Europe : de 3 % par an dans les années 60, les gains de productivité sont à 0 aujourd’hui. En Allemagne, il y a deux secteurs très différents : d’un côté le secteur des services avec des emplois très peu qualifiés, de l’autre l’industrie dans laquelle il y a des gains de productivité très élevés (+ 5 %).

Comme Philippe Askenazy, Patrick Artus estime qu’il faut favoriser la solidarité entre les pays européens. A défaut, un déséquilibre important risque de se faire entre les pays du nord  et les pays du sud, accentué par des flux de migration massive du sud vers le nord.

Dominique Plihon, professeur à Paris XIII, prend la relève. Les politiques européennes globales  sont des échecs d’autant plus qu’ont été sous-estimés les effets multiplicateurs des mesures engagées. On tablait sur un multiplicateur de zéro, on estime aujourd’hui qu’il est compris entre 0,9 et 1,7. Ainsi la politique d’austérité imposée à l’ensemble des pays de la zone euro, comprime le pouvoir d’achat et donc la demande qui est pourtant l’un des moteurs  de la croissance économique. L’Universitaire souligne aussi  la politique opportuniste et non coopérative de l’Allemagne qui pratique le dumping social et fiscal aux dépens des autres pays européens. Pour lui, Il faut revenir à des politiques différenciées par pays de la zone euro mais coordonnées.

Quant à la faiblesse de la croissance en Europe, pour Dominique Plihon, elle est inévitable ! Tout simplement parce qu’il  existe plusieurs obstacles à la reprise : l’essoufflement des gains de productivité, la fin du dividende démographique et le tarissement des ressources naturelles. Il faut donc envisager de nouveaux modes de vie dans une économie à faible croissance. Pour lui, les pays excédentaires comme l’Allemagne doivent recentrer leurs activités vers le marché domestique.

Le débat s’est poursuivi sous forme de questions-réponses dans la salle. Quelques points sont à relever : L’Allemagne réalise les 2/3 de ses exportations dans la zone euro. Est-il envisageable dans ces conditions de demander aux autres pays européens de réaliser les mêmes performances ? Oui, l’industrie allemande est compétitive mais le marché du travail allemand aujourd’hui compte de nombreux travailleurs pauvres. Est-ce réellement ce modèle social que l’Europe veut ? Enfin, l’Europe ne pourra fonctionner que le jour où l’intergouvernementalité respectera les différences entre les pays de la zone euro. Mais les pays européens sont-ils prêts à redéfinir de nouveaux mécanismes de solidarité ?