Évasion fiscale : définition, causes et impact sur l’activité économique

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Coût de l’évasion fiscale par an en France : 60 à 80 milliards d’euros (évaluation 2012)

Évasion fiscale, fraude, optimisation, autant de termes qui apparaissent récemment dans les médias sans qu’ils soient pour autant compris par tous… et pour cause, chacun de ces termes revêt différents aspects qu’il est nécessaire d’éclaircir. En dehors de sa définition, l’évasion fiscale suscite bien d’autres interrogations : dans quelles mesures constitue-t-elle un manque à gagner pour l’administration fiscale française ? Qu’en est-il en Europe ? Enfin, quels sont les moyens légaux mis en œuvre pour la résorber ?

Évasion fiscale, fraude, optimisation : de quoi parle-t-on ?

On associe souvent le terme « évasion » au terme « optimisation » ou « fraude » fiscale. Les trois sont intimement liés mais revêtent néanmoins différents aspects.

La fraude consiste à contourner volontairement la législation fiscale à la différence de l’optimisation où cette même législation fiscale est utilisée dans le but d’échapper à l’impôt par différents moyens légaux (régimes dérogatoires, utilisation de niches fiscales…). Contrairement à la fraude, l’optimisation est légale même si sa légitimité ou son efficacité peut être contestée. En effet, cette stratégie peut être juridiquement considérée comme illégale dans la mesure où elle constitue un abus de droit (utiliser des mécanismes légaux pour échapper à l’impôt) mais le démontrer en pratique reste difficile pour l’administration fiscale. C’est en particulier le cas lorsque des particuliers ou des entreprises assujettissent leurs revenus ou leurs bénéfices dans un pays différent de celui où ils ont leurs intérêts économiques, à des taux d’impôt très faibles, voire nuls, comme dans les « paradis fiscaux ».

L’évasion fiscale relève à la fois de l’optimisation et de la fraude. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, il s’agit de « l’ensemble des comportements du contribuable qui visent à réduire le montant des prélèvement dont il doit normalement s’acquitter. S’il a recours à des moyens légaux, l’évasion entre alors dans la catégorie de l’optimisation. À l’inverse, si elle s’appuie sur des techniques illégales ou dissimule la portée véritable de ses acteurs, l’évasion s’apparente à la fraude ». Cette définition peut être représentée schématiquement de la manière suivante :

Evasion fiscale

L’évasion fiscale en chiffres

L’évasion fiscale en France

Le dernier rapport qui réalise une évaluation globale de l’incidence de l’évasion fiscale en France date de 2012. Selon le sénateur Eric Bocquet qui a mené ces travaux,elle représenterait un manque à gagner annuel de 30 à 36 milliards d’euros pour l’administration fiscale française. Selon, le rapport du syndicat Solidaire-finances publiques,l’évasion fiscale pourrait même atteindre un montant de 60 à 80 milliards d’euros par an si l’ensemble des facteurs était pris en compte, soit l’équivalent du déficit de l’Etat français (70 milliards d’euros en 2016), dont près de 40 % au titre de l’impôt sur les sociétés… 

Pertes fiscales par impôt en 2012, en milliards d’euros

Impôt sur le revenu

TVA

Impôt sur les sociétés

Impôt sur le patrimoine

Autres *

Total

Estimation basse

15

15

23

4

3

60

Estimation haute

19

19

32

6

4

80

(*) impôts locaux, autres impôtsSource : rapport du syndicat national Solidaires-Finances publiques, évasion et fraudes fiscales, contrôle fiscal, janvier 2013.

L’évasion fiscale en Europe

En Europe, l’évasion fiscale est tout aussi significative. Les travaux réalisés par la Commission européenne fin 2012 évaluaient à plus de 1 000 milliards d’euros l’économie souterraine au sein de ses 27 membres, soit 19,2 % du PIB.

C’est principalement la fraude à la TVA qui est mise en cause en Europe. En 2014, la Commission européenne estimait l’écart entre les recettes théoriques de TVA et celles qui étaient effectives à 14 % en moyenne, soit 160 milliards d’euros de manque à gagner.

Recettes TVA en 2010

Evasion fiscale dans le monde

L’organisation Tax Justice Network évalue entre 21 et 32 billions de dollars de fortunes personnelles localisées dans les paradis fiscaux. C’est entre 1 et 1,6 billion de dollars qui transiterait illégalement chaque année. A titre de comparaison, le PIB mondial s’élève en 2015 à 73,5 billions de dollars.

C’est déjà difficile de s’y retrouver dans ces chiffres faramineux mais c’est sans compter sur les erreurs de traduction ! Car en anglais, les billions français deviennent des trillions tandis que nos trillions se transforment en quintillion en anglais. Voilà un petit tableau pour parler gros sous autant dans la langue de Shakespeare que celle de Molière.

Traduction chiffres anglais francais

Tax Justice Network a élaboré un Indice du Secret Financier (Financial Secrecy Index)  qui couple une note sur l’opacité à partir de 15 critères (secret bancaire, présence de trusts et fondations, secret de l’identité des propriétaires des entreprises,…) et le poids du pays dans les services financiers « offshore » (à destination de clients non domestiques). Il ressort que les paradis fiscaux ne sont pas seulement constitués d’îles ou de principautés mais également de pays développés.

Pays

Indice FSI 2015 

Note Opacité (sur 100)

% des services financiers « offshore » dans le monde

1

Suisse

1466

73

5,6

2

Hong Kong

1259

72

3,6

3

USA

1255

60

19,6

4

Singapour

1147

69

4,3

5

Iles Cayman

1013

65

4,9

6

Luxembourg

817

55

11,6

7

Liban

760

79

0,4

8

Allemagne

702

56

6,0

9

Bahreïn

471

74

0,2

10

Dubaï

441

77

0,1

11

Macao

420

70

0,2

12

Japon

418

58

1,1

13

Panama

416

72

0,1

14

Iles Marshall

406

79

0,1

15

Grande-Bretagne

380

41

17,4

16

Ile Jersey

354

65

0,2

17

Ile Guernesey

339

64

0,2

La responsabilité fiscale des multinationales

Il reste encore difficile d’évaluer dans sa totalité le coût de l’évasion fiscale tant ses facettes sont multiples, notamment celle relevant de multinationales. Pour l’OCDE et la Commission Européenne, la moitié des transactions internationales résulterait de transactions intragroupes qui aboutissement à héberger une part importante de leurs bénéfices dans des «  paradis fiscaux ». Ces montages financiers complexes qui s’appuient sur l’expertise en ingénierie fiscale de cabinets de conseils juridiques leur permettent de diminuer de façon significative leur contribution fiscale. En témoigne le décalage entre les taux d’imposition des grandes et des petites entreprises françaises.

Taux de contribution effective par taille de l’entreprise en 2007 (en %)

Effectif

Nombre d’entreprises

Taxe effective

Moins de 250 salariés

1 104 600

47,4

De 250 à 499 salariés

6 500

21,5

De 500 à 1 999 salariés

9 300

11,8

2 000 salariés et plus

12 100

4,1

Source : rapport du Sénat, l’évasion fiscale des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, juillet 2012.

Selon un rapport de l’OCDE de 2015, cette perte liée à l’optimisation fiscale représenterait entre 4 et 10 % des revenus de l’impôt sur les sociétés dans le monde, soit 100 à 240 milliards de dollars.

En juin 2013, l’organisation intergouvernementale CCFD-Terre solidaire a réalisé une enquête portant sur la responsabilité fiscale des entreprises européennes. Seulement 60 % des 50 premières multinationales implantées en Europe donnent une liste exhaustive de leurs filiales. Autre élément révélé : chacune d’entre elles détiendrait en moyenne 117 filiales dans des paradis fiscaux (Pays-Bas, État du Delaware, Luxembourg, Îles Caïman…). Le rapport souligne également le fait que les pays en développement constituent les premières victimes de cette évasion fiscale à grande échelle. Elle les priverait de près de 250 milliards d’euros de recettes fiscales par an soit six fois le financement mondial nécessaire à la lutte contre la faim précise le rapport. 

Évasion fiscale : dispositions législatives prises en France

Ces dernières années, le thème de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale a été relativement présent dans le paysage politique et médiatique français. Plusieurs mesures destinées à renforcer cette lutte ont vu le jour comme :

  • la création d’une « liste noire » des territoires non coopératifs : elle dénombre 7 entités dans l’arrêté du 8 avril 2016 (Bostwana, Brunei, Guatemala, Îles Marshall, Nauru, Niue, Panama) contre 18 en 2010. Le Panama qui était sorti de la liste en 2012, l’a réintégrée en 2016 après l’affaire des « Panama Papers »,

  • le développement de la signature d’accords bilatéraux d’échange de renseignements fiscaux,

  • l’augmentation des taux de pénalité, en particulier pour les sommes placées à l’étranger et non déclarées,

  • l’adoption par le Parlement de deux mesures phares en matière fiscale : le reporting pays par pays, qui oblige les multinationales à transmettre à l’administration fiscale des informations précises pour chaque pays où elles sont présentes, et la « Google Taxe », qui vise à mieux imposer les « bénéfices détournés » des multinationales numériques comme les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), en présumant que ces entreprises ont un « établissement stable » en France. A elles de prouver l’absence de filiale officielle dans un pays où elles réalisent pourtant parfois plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais ces deux lois ont été censurées en décembre 2016 par le conseil constitutionnel et ne peuvent donc pas s’appliquer pour l’instant. La première car il a estimait qu’elle était une atteinte à la liberté d’entreprendre et la seconde car l’Etat ne peut pas avoir le pouvoir de choisir les contribuables qui doivent ou non entrer dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés.

Ces efforts et nouvelles règles fiscales portent leurs fruits puisqu’en 2015, les redressements fiscaux en France atteignaient 21 milliards d’euros, soit 6 milliards supplémentaires depuis que la lutte contre l’évasion fiscale est devenue prioritaire. Plusieurs procédures contre des multinationales étaient en cours en 2016 pour des montants de plusieurs centaines de millions d’euros.

Droits et penalites des redressements fiscaux

Fraude fiscale : qu’en est-il en Europe et dans le monde ?

En Europe, la question de la lutte contre la fraude fiscale s’est également accentuée. La législation fiscale européenne concerne notamment les multinationales.

Par exemple, l’obligation pour les sociétés cotées et non cotées du secteur extractif (pétrole, gaz, forêt) de publication des paiements fiscaux.

Et l’Union Européenne a déjà adopté l’obligation de transparence comptable pays par pays pour le secteur bancaire et a adopté une directive en 2016 pour l’étendre à toutes les grandes entreprises implantées en Europe.

A l’appel du G20 au sommet de Mexico de 2012, l’OCDE mène le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting ou Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) qui inclut une centaine de pays. Il consiste en l’élaboration et la mise en œuvre d’une quinzaine de recommandations validées par le G20 en 2015 qui reposent sur 3 piliers : cohérence des activités transnationales avec les lois domestiques, renforcement des règles comptables et fiscales internationales et amélioration de la transparence.

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