Comment se fabrique un taux d’intérêt

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Qui n’a pas sursauté à la réception de son relevé de compte en voyant le taux des intérêts débiteurs sur un « petit découvert » de trois jours ou à la lecture d’une offre préalable de prêt immobilier à 15 ans précédant l’achat d’une résidence principale ?

Comment expliquer 7 à 14 % dans un cas, 1 à 1,5 % dans l’autre ?

Jeter un petit coup d’œil dans le laboratoire du banquier permet de voir comment il mesure les ingrédients de son prix de revient et mitonne son « taux clientèle » exprimé par le TAEG (Taux Annuel Effectif Global).

Les ressources du prêteur

L’argent qu’il prête n’est pas le sien. Il l’obtient auprès :

  • des déposants à qui il peut verser un intérêt (le dépôt peut provenir des crédits accordés),

  • de ses confrères excédentaires en trésorerie,

  • des institutionnels et entreprises également excédentaires, via le marché interbancaire,

  • des capitaux propres dont il dispose (argent apporté par les actionnaires et les bénéfices réinvestis),

  • des emprunts qu’il émet sur les marchés financiers,

  • de la Banque Centrale Européenne (qui prête de l’argent – à taux 0 parfois – ou qui échange son argent contre des actifs du prêteur).

Il dispose ainsi de ressources, dont les montants, la provenance, le taux de rémunération et l’échéance sont très différents. Il les prête en respectant des critères rigoureux, fixés par les autorités de tutelle du secteur bancaire.

Centrale de gestion du risque

Il intervient comme une véritable centrale de gestion du risque puisqu’il s’expose à :

  • devoir rendre l’argent des déposants, institutionnels et investisseurs divers, avant d’avoir été remboursé par son client emprunteur (à qui il arrive même de ne jamais le rembourser)

  • être surpris par l’évolution divergente du taux d’intérêt qu’il verse au déposant par rapport à celui qu’il reçoit de l’emprunteur : ce dernier revient volontiers renégocier à la baisse le taux de son emprunt immobilier, jamais à la hausse…

  • faire coïncider les montants et échéances des dépôts avec ceux des crédits, anticiper l’évolution respective des taux longs et des taux courts, trouver des ressources dans la même devise que celle des crédits… est le rôle de la « gestion actif-passif » (Asset Liability Management en anglais).

Les mystères de la recette du Chef

À la différence d’une entreprise industrielle ou commerciale, dont la rentabilité des ventes est rapidement connue, celle d’une banque n’est certaine que beaucoup plus tard, après l’échéance des crédits préalablement accordés.

Le talent du « chef » réside dans le bon dosage des sucres rapides (les découverts et autres crédits de trésorerie) avec les sucres lents qui financent par exemple les acquisitions de résidence principale. Il veille à ce que chaque client ne souffre ni d’inanition (crédit trop rationné) ni d’indigestion (crédit trop facilement accordé à celui qui ne le transformerait pas bien en énergie créatrice de richesse).

Toute erreur de dosage conduirait tôt ou tard à de regrettables accidents de santé qui altèreraient aussi celle de la banque.

Dans cette délicate préparation, il lui faut quantifier tous les éléments, souvent qualitatifs, de manière à proposer un taux acceptable par le client tout en dégageant une marge après couverture de tous les risques connus ou prévisibles.

Sur la base des expériences passées et des prévisions des économistes, chaque secteur d’activité, chaque forme de crédit se voit attribuer une marge pour couvrir le risque, plus importante lorsque le crédit est sans garantie. Cette marge est modulée client par client puis ajoutée au coût du financement pour obtenir le taux proposé.

Le cas des crédits immobiliers

Dans le cas de prêts immobiliers d’acquisition d’une résidence principale (souvent de 10 à 20 ans), la banque calcule son coût de financement par rapport à un cocktail de ressources à moyen terme (5/7 ans), par exemple les plans d’épargne-logement et à long terme dont la référence est couramment celle du taux des emprunts d’État à long terme, très bas depuis deux ans.

Elle y ajoute sa marge et estime le coût du risque, c’est à dire le pourcentage des crédits qui ne seront pas remboursés à bonne date du fait de la défaillance de l’emprunteur. Cela dit :

  • les montants unitaires sont élevés (un faible pourcentage sur de gros montants peut rapporter plus qu’un pourcentage élevé sur de faibles montants)

  • la concurrence est très forte

  • les incidents de remboursement sont peu fréquents car l’accord initial est étudié avec soin, voire avec sévérité

  • les pertes définitives sont beaucoup plus faibles (que pour les crédits à la consommation et crédits aux entreprises) car la banque dispose d’une garantie sur le bien financé (hypothèque) ou d’une caution fournie par une société de caution mutuelle

  • l’assurance décès-invalidité est quasi systématique : elle renforce la sécurité du prêteur et lui offre une marge complémentaire.

    10 commentaires sur “Comment se fabrique un taux d’intérêt”
    1. Bonjour,

      Lorsque qu’une banque prête, soit il s’agit d’une banque commerciale qui a le droit de gérer des comptes à vue et dans ce cas elle peut créer de la monnaie en créditant le compte de son client, soit il s’agit d’un établissement de crédit spécialisé qui doit emprunter l’argent avant de le prêter.
      Pour la banque commerciale, il faut prendre en compte le taux de refinancement de la banque centrale pour déterminer le taux d’intérêt des crédits accordés à court terme, car effectivement elle peut être amenée à demander à celle-ci des liquidités en raison des fuites des dépôts vers d’autres banques.
      Pour l’établissement spécialisé, ou pour les prêts à moyen/long terme, ce sont les conditions d’emprunt auprès des autres banques ou des marchés financiers qui vont déterminer le taux d’intérêt qu’elle proposera à ses clients.
      Par ailleurs, la banque commerciale peut prêter les fonds disponibles sur les comptes à vue quand ceux-ci ont été alimentés par les déposants eux-mêmes.

      Meilleures salutations.

      L’Equipe de Lafinancepourtous.com

      1. Bonjour,

        Un site fantastique, bravo !

        Une question si vous permettez.

        Vous écrivez : « Par ailleurs, la banque commerciale peut prêter les fonds disponibles sur les comptes à vue quand ceux-ci ont été alimentés par les déposants eux-mêmes. »

        Dans ce cas, pour une banque commerciale les dépôts font aussi les crédits. Autrement dit, il y a enchaînement : les crédits font les dépôts, qui font les crédits, qui font les dépôts etc … crédits bornés par les fuites et donc par le coût du refinancement, les réserves obligatoires etc.

        Ma question : est-on capable d’estimer la part de la création monétaire provoquée par l’octroi de crédit à partir de rien, et la part de crédits accordée par puisage dans les comptes de dépôts existants ?

        Je vous remercie.

        1. Bonjour,

          A notre connaissance, il est malheureusement impossible de déterminer quelle est la part de la création monétaire dans l’octroi de crédits des établissements bancaires. Il semblerait toutefois que le recours à de la création monétaire ex nihilo soit davantage utilisée que les dépôts existants.

          Meilleures salutations,

          L’Equipe de Lafinancepourtous.com

    2. Bonjour,

      Dans votre réponse à Christophe42000 vous avez cherché à “ faire simple ”, mais j’ai l’impression d’une certaine ambiguïté dans votre formule, celle sur le prêt de l’argent que la banque n’a pas en dépôt, et correspondant à une “ création monétaire ”.
      S’il y a création monétaire pourquoi ajouter : “ dans ce cas, elle doit l’emprunter pour pouvoir le prêter ” ?
      Les deux opérations, prêt et emprunt, ne sont-elles pas déconnectées ? c’est-à-dire : ouverture d’un crédit et création monétaire d’un côté, et de l’autre constatation d’un trou si cet argent quitte les comptes de la banque pour ceux d’une autre banque. Ce qui entraîne la nécessité de combler cette fuite par un moyen ou un autre, parmi lesquels un emprunt sur le marché interbancaire ou auprès de la banque centrale.
      Si le crédit ne fait pas les dépôts, il me semble que la création monétaire n’est pas de la création monétaire. Et qu’on est renvoyé du fait de votre formulation aux dépôts qui font les crédits. Non ?

      Par ailleurs votre exposé de la première possibilité sur le prêt “ pris sur les dépôts des autres clients ” me paraît aussi de nature à faire naître des incompréhensions : où est le manque à gagner lorsque l’argent est prêté une première fois, et rapporte des intérêts ? Comment la banque pourrait-elle compter sur les intérêts d’un placement si elle touche les intérêts d’un prêt ? Voulez-vous dire qu’un placement rapporte toujours plus qu’un prêt ? Mais alors pourquoi prêter ?

      Avec toute ma considération.

    3. Dans la liste des ressources de la banque qui prête une somme d’argent vous n’évoquez pas le fait qu’elle peut créer cet argent au lieu par exemple de l’emprunter sur les marchés. Si elle le crée vraiment pourquoi dépend t’elle des taux d’emprunt de cet argent sur les marchés financiers? Ce n’est pas clair pour moi. Merci beaucoup.

    4. Bonjour,

      Le cas évoqué dans l’article est celui d’un établissement financier non habilité à recevoir des dépôts du public de moins de deux ans de terme, donc qui ne peut créer de la monnaie et doit emprunter avant de pouvoir prêter.
      Pour les banques commerciales qui ont le droit de créer de la monnaie ex nihilo, le coût de l’argent est moindre mais il faut prendre en compte le fait que les comptes de dépôts ne sont pas rémunérés alors qu’ils engendrent des coûts administratifs (le temps passé par les employés) et que l’utilisation des chèques est gratuite en France. Les banques commerciales ayant des réseaux de succursales très denses, les coûts administratifs sont importants. Il faut aussi prendre en compte les réserves obligatoires (1 % des dépôts), le risque (de non remboursement), le coût du refinancement auprès de la BCE et la marge dans un contexte de concurrence élevé.

      Meilleures salutations.

      L’Equipe de Lafinancepourtous.com

    5. Je ne comprends pas la partie « Coût de l’argent confié par les épargnants et emprunté sur les marchés » :
      les banques créent de l’argent et prêtent de l’argent qu’elles n’ont pas besoin d’emprunter (« création monnétaire »).
      Elles n’ont besoin que de 10% de fond propre (regle Bales III)
      => la banque n’a besoin de fournir que 10% de la somme qu’elle prête.
      => le cout pour la banque de l’argent devrait donc être 10 fois moins important

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