Le scandale du Libor

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Le 27 juin 2012, la banque Barclays, 4ème établissement bancaire du Royaume Uni , 32ème au classement mondial 2012, a acquitté une amende de 360 millions d’euros pour éviter des poursuites concernant des pratiques de manipulation des cours du Libor, le taux d’intérêt de référence sur le marché interbancaire londonien. Début juillet, les 3 dirigeants de cette banque, dont le très charismatique Robert Diamond, ont démissionné.

Le scandale n’est pas éteint pour autant. L’amende et la démission marquent au contraire le début d’une affaire d’Etat multinationale. Presque toutes les banques participant à la détermination du Libor sont soupçonnées d’avoir trempé dans la manipulation en 2008. On s’interroge sur le point de savoir si les autorités de contrôle britanniques n’étaient pas au courant et si elles n’ont pas à tout le moins détourné les yeux. Si ces faits sont avérés il pourrait s’agir d’une des fraudes les plus importantes de l’histoire financière mondiale. Des poursuites pénales sont envisagées. Les plaintes des investisseurs pourraient se multiplier. Des réformes du fonctionnement du Libor et de son homologue européen l’Euribor devraient être une des conséquences de cette affaire.

Qu’est-ce que le LIBOR ?

Le Libor ou London InterBank Offered Rate (en français : « taux interbancaire offert à Londres »), est le taux d’intérêt auquel une sélection de grandes banques internationales acceptent de s’accorder mutuellement des prêts non garantis sur le marché financier londonien.

Selon la durée du prêt, il existe 150 taux Libor différents puisqu’il est calculé pour 15 durées différentes (1 jour, 1 semaine, 1 mois, 3 mois …, et jusqu’à 12 mois maximum) et pour 10 devises différentes (dollar américain, canadien, australien et néo-zélandais, yen, euro, franc suisse, livre sterling, couronne danoise et suédoise).

Comment est-il fixé ?

Chaque jour à 11 heures (heure de Londres), chacune des 16 grandes banques internationales – dont Barclays, HSBC et Royal Bank of Scotland côté britannique, l’allemande Deutsche Bank, la suisse UBS, les américaines JP Morgan, Citigroup ou encore Bank of America, et les françaises BNPP, Société Générale et Crédit Agricole – annonce indépendamment et sans négociation le niveau de taux auquel elle estime devoir emprunter auprès des autres banques du panel.

L’agence Reuters compile, pour le compte de la British Bankers’ Association (BBA), les seize estimations. Elle fait la moyenne des taux sans tenir compte des taux extrêmes. Le taux final est rendu public, avant midi par la BBA.

Pour le marché interbancaire européen, un mécanisme identique permet la fixation des taux de l’Euribor ou Euro interbank offered rate (en français : taux interbancaire offert en euro). Le panel des banques déclarantes est cependant plus large. Il comprend 57 banques européennes.

A quoi sert-il ?

Le Libor (et l’Euribor) servent de taux de référence pour de très nombreux produits financiers.

Sur les marchés financiers professionnels, le Libor est utilisé comme taux de base pour un grand nombre de produits financiers dérivés tels que futures, options et swaps.

Les banques utilisent également les taux Libor comme taux de base pour définir les taux d’intérêt sur les prêts à court terme et les comptes d’épargne.

Chaque année, ce sont au total des centaines de milliers de milliards de dollars de produits financiers qui sont adossés aux taux Libor et Euribor. Différentes sources évoquent des montants annuels allant de 350 000 à 600 000 milliards de dollars (soit dix fois le PIB mondial annuel).

En quoi ont consisté les manipulations ?

Selon ce qu’a admis la banque Barclays, il y aurait eu deux vagues de manipulations l’une en 2005 et l’autre en 2008. Ces deux épisodes seraient de nature différente. En 2005, il s’agirait d’une fraude de Barclays fournissant à la British bankers association des estimations biaisées pour générer des mouvements de taux favorables aux positions prises par les traders de la banque.

Fin 2008, le contexte est très différent. La crise a provoqué une explosion des taux proposés et de grands écarts se sont creusés par rapport à la moyenne établie. Pour remédier à ces écarts de taux, les banques se seraient concertées et auraient manipulé les taux publiés ces dernières années de manière à se maintenir dans une moyenne acceptable. Si en effet les banques parviennent à maintenir des taux Libor très bas, elles peuvent continuer à trouver des ressources à des taux avantageux. Comme l’explique Rama Cont, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des marchés financiers, « ces manipulations ne pouvaient qu’être issues d’une collusion entre banques partageant des intérêts communs » (Le Monde 10 juillet 2012).

Quelles peuvent être les conséquences de ce scandale ?

Que la détermination d’un taux aussi important ait pu être influencée par des manipulations volontaires de certaines banques est donc un fait d’une extrême gravité. Comme l’a déclaré l’économiste américain Robert Reich, « Ce serait un délit d’initié d’une ampleur gigantesque de la part des banques manipulatrices, une violation de mammouth de la confiance publique ».

The Economist le 12 juillet 2012Banksters a titré pour sa part « The Economist » le 12 juillet 2012. L’hebdomadaire libéral britannique considère que « les tentatives de truquer le LIBOR trahissent une culture rampante de malhonnêteté » de l’industrie bancaire. Dressant un parallèle avec ce qui s’est passé pour les multinationales de l’industrie du tabac dans les décennies précédentes, il prévoit que ce scandale va entrainer une vague de recours judicaires collectifs de la part d’épargnants et d’investisseurs, et qu’il va relancer les exigences de réglementation de la finance en général et du Libor en particulier.

Déjà, le Commissaire européen Michel Barnier en charge du marché intérieur des services financiers au sein de la Commission européenne qui a qualifié ces manipulations de trahison prépare un durcissement de la législation européenne sur les abus de marchés et fait examiner par ses services la possibilité de placer les indices de marché sous la tutelle des régulateurs.