Le match AMF/Alcatel : les termes du débat

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La rentrée est chaude à tous les points de vue. Côté gouvernance et rémunérations, elle est dominée par le « scandale » des indemnités versées par Alcatel Lucent à son ancien directeur général, Michel Combes, au cœur de la fusion avec Nokia et aujourd’hui parti chez Numéricable-SFR. Voyant la polémique enfler, l’AMF a décidé de publier sur son site le courrier adressé sur ce sujet à Alcatel Lucent le 31 juillet 2015, ainsi que la réponse en date du 31 août, qui ne clôt pas le débat. Rappel des épisodes précédents.

Rappel des faits

Le match AMF Alcatel

Le 30 août 2015, le JDD révèle que Michel Combes, directeur général d’Alcatel-Lucent, empochera, à l’occasion de son départ d’Alcatel Lucent, des « primes » pour un total avoisinant 14 millions d’euros. Ces primes se décomposent en :

  • Des actions de performance (attribution d’actions gratuitesliée à des critères« objectifs »reflétant l’action positive du management) qui lui seront distribuées dans les trois ans à venir, pour un montant estimé à 8 M d’euros.

  • Une clause de non concurrence pour un montant de 4,5 M€ à condition qu’il ne rejoigne pas Huawei, Ericsson ou Cisco d’ici à trois ans, sachant qu’il était de notoriété publique au moment de la signature de cette clause qu’il irait chez Numéricable/SFR.

Compte tenu de l’émotion suscitée par cette révélation, l’AMF a jugé utile de publier sur son site internet dès le 1er septembre, le courrier qu’elle avait adressé à Alcatel le 31 juillet ainsi que la réponse de cette dernière en date du 31 août.

Les observations de l’AMF

Dans son courrier du 31 juillet 2015, l’Autorité des marchés financiers adresse une série de reproches à Michel Combes :

  • Les conditions d’obtention par M. Combes des unités de performance (en l’occurrence il s’agit d’actions de performance) ont été modifiées, et les conditions de performance et de présence initiales supprimées. Ceci serait contraire aux recommandations du code Afep Medef. Ces divers avantages sont assimilés par l’AMF à une indemnité de départ, et seraient supérieurs au plafond de deux ans de rémunération.

  • Les obligations en termes de « say on pay » n’ont pas été respectées car le dernier document mis en ligne dans l’onglet « Assemblée générale » du site d’Alcatel-Lucent ne mentionnait pas les nouvelles dispositions. La société a communiqué sur cette modification de manière extrêmement discrète, dans la seule partie « Gouvernance » sans faire de communiqué.

  • Dans le JDD du 19 avril 2015, Michel Combes avait indiqué qu’il ne bénéficierait pas d’indemnités de départ et qu’il ne toucherait aucune somme au titre des unités de performance. Dès lors, il convenait de rectifier ces informations par voie de diffusion effective et intégrale.

En outre, début septembre, au moment de la mise en ligne de ce courrier sur son site, l’AMF a précisé qu’elle ignorait l’existence d’un accord de non-concurrence au moment de la rédaction de son courrier.

La réponse d’Alcatel-Lucent

Alcatel-Lucent, par la personne de son directeur financier, fait valoir six principaux arguments :

  • Compte tenu du rapprochement avec Nokia, les objectifs à atteindre devaient nécessairement être modifiés. Selon Alcatel, les conditions de performance, non seulement n’auraient pas disparu, mais auraient même été renforcées. Par ailleurs, indépendamment des critères posés, la performance de Monsieur Combes serait évidente puisque l’entreprise aurait, sous sa direction, « fait l’objet d’un redressement d’une ampleur et d’une rapidité exceptionnelles ».

  • S’agissant de la condition de présence, elle a été modifiée par le conseil, comme le permet, selon Alcatel, l’article 23.2.3 du code Afep Medef.

  • Monsieur Combes aurait été en droit de demander à ce que ses unités de performance lui soient versées dans les mêmes conditions qu’aux autres collaborateurs, c’est-à-dire au moment de l’offre publique et en numéraire. Au lieu de cela, l’intéressé a accepté les exigences du conseil d’administration (versement en trois ans sous forme d’actions conditionné au succès de l’offre).

  • Les divers éléments de rémunération dont va bénéficier Michel Combes ne constituent pas une indemnité de départ : ils ne sont pas liés à son départ de l’entreprise mais à la réussite de l’offre et ont été décidés de longue date.

  • La procédure de say on pay implique un vote consultatif a posteriori des actionnaires et concerne donc en 2015 les rémunérations 2014. Par ailleurs, lors de l’AG il y aurait eu une présentation orale des principales modifications décidées en avril.

  • Enfin, il est de pratique courante pour Alcatel Lucent depuis 2008 de publier les éléments de rémunération devant être rendus publics au titre de l’information permanente dans la partie « Gouvernance ». Rien à dire également concernant la communication dans le JDD, Michel Combes n’ayant pas reçu d’indemnité de départ (voir plus haut) et ne touchant aucune somme d’argent au titre des unités de performance.

Quel est le vainqueur du match ?

Nous nous garderons bien de donner une opinion personnelle, ou même juridique, sur les différents arguments invoqués. Contentons-nous à ce stade de faire observer que le Code Afep-Medef auquel se réfèrent, tant l’AMF qu’Alcatel-Lucent, est plutôt laxiste et laisse beaucoup de place à l’interprétation. Prenons le « say on pay » par exemple. On demande aux entreprises de justifier a posteriori leur politique de rémunération, c’est-à-dire d’expliquer à l’AG 2015 comment ont été calculées les rémunérations 2014, selon des formules forcément décidées en 2013 ou avant ! Mais d’une manière générale, et indépendamment du code Afep-Medef, une société cotée est tenue de diffuser une information précise, exacte et sincère. Comme l’a annoncé son Président le 1er septembre, l’AMF va examiner avec soin les différentes formes de la rémunération différée accordée à Monsieur Combes au regard du droit.

De fait, sans préjudice de la suite juridique qui pourra être donnée à cette affaire, les arguments avancés par Alcatel Lucent dans son courrier, bien présentés, sont souvent « tirés par les cheveux » ou partiaux. Ainsi, par exemple,  dire que les avantages accordés à Monsieur Combes ne sont pas liés à son départ alors que le conseil d’administration en a précisément modifié les conditions pour qu’il puisse en bénéficier alors qu’il quittait l’entreprise est audacieux ! L’appréciation très élogieuse de l’action de Monsieur Combes à la tête d’Alcatel n’est sans doute pas partagée par tous, eu égard à la réduction du périmètre de l’entreprise et au fait que cet ex-fleuron de l’industrie française soit désormais définitivement passé sous drapeau étranger. En faisant valoir qu’en indiquant dans le JDD du 19 avril – soit 5 jours après le conseil d’administration ayant modifié ses conditions d’octroi de ses unités de performance – ne pas toucher d’indemnité de départ ni de somme d’argent, Michel Combes a dit l’exacte vérité, Alcatel fait un usage très strict des termes « indemnités de départ » et « sommes d’argent ».

Sans attendre l’issue juridique, Michel Combes pourrait – ou non – renoncer de lui-même à une partie de ces avantages. Etant désormais à la tête de Numéricable-SFR, il n’a en tout cas pas de souci à se faire quant à son avenir professionnel proche.