La fiscalité peut-elle être juste ?

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Payer plus ou moins d’impôts ? En faveur de qui ? Et pourquoi ? La fiscalité semble juste pour certains et très souvent injuste pour d’autres, ce qui en fait un sujet de débat récurrent depuis des décennies. Un colloque de l’Union Centriste pose alors l’épineuse question de la justice fiscale.

La fiscalité peut-elle être juste ?Le 6 mai 2019, le groupe politique Union Centriste (qui rassemble au Sénat des parlementaires situés au centre et au centre-droit) a organisé un colloque au Sénat autour de la question : « La fiscalité peut-elle être juste ? »
Mais les débats ont mené à bien d’autres interrogations telles que : qu’est-ce que la justice fiscale ? La justice doit-elle se faire par l’impôt ? Comment prouver aux citoyens que la fiscalité est déjà juste, d’une certaine manière ? Des questions qui se posent dans le contexte de la fin du Grand débat et plus encore, avec le mouvement des Gilets jaunes entamé fin 2018.

La fiscalité juste du gouvernement

Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a introduit ce colloque en expliquant sa vision d’une fiscalité plus juste, c’est-à-dire acceptée et comprise par tous. Et dans cette optique, la fiscalité juste énoncée par Gérald Darmanin doit répondre à quatre critères : « simplicité, équité, pragmatisme et stabilité ».

Car l’une des choses que le Grand débat a mis en lumière, c’est que les revendications des citoyen.ne.s n’avaient parfois pas lieu d’être à cause d’un manque d’information préalable… C’est pourquoi le ministre est revenu sur deux points majeurs :

  • environ 55 % des Français.e.s ne paient pas l’impôt sur le revenu ;
  • l’affectation généralisée de l’impôt est impossible.

Le second point intervient dans les revendications concernant la taxe carbone : des citoyen.ne.s ne comprenaient pas pourquoi les recettes tirées de la taxe n’était pas entièrement dirigées dans l’investissement pour la transition écologique. Gérald Darmanin a donc pris soin de rappeler que choisir d’affecter chaque impôt à une dépense précise « marquerait la fin du financement du cœur régalien de l’Etat » (armée, police, justice).

Dans le principe d’équité qu’il évoque, il aborde aussi la pression fiscale et l’optimisation fiscale qu’il différencie de la fraude : l’optimisation permet, légalement, de payer moins d’impôts.

Théorie de la justice fiscale

La première table-ronde du colloque répond en partie à la question posée par le colloque puisque les différents universitaires présents ont leur idée de la justice fiscale, hormis le juriste fiscal, Loup Bommier, pour qui cette notion est absente de son domaine de compétences. Toutefois, si les économistes Olivier Babeau et François Facchini, et le philosophe Philippe Nemo ont des avis sur la question, force est de constater que les divergences sur le sujet sont telles que, si la fiscalité peut être juste, elle ne peut pas l’être aux yeux de tous puisque la justice est une notion subjective.

Consentement à l’impôt

Mais devons-nous nous arrêter là ? Dire que chacun a sa définition ne fait pas avancer le débat. N’y a-t-il aucun point d’accord ? Si, un principe a rassemblé les professeurs autant que le Ministre : le consentement à l’impôt. Et il semblerait que cela se soit vérifié avec le mouvement des Gilets jaunes puisque c’est bien une « contestation de l’Enfer fiscal » qui en est à l’origine, pour Olivier Babeau.

Justification de l’impôt

Pour tous, l’imposition doit être justifiée. C’est d’ailleurs dans ce sens que le philosophe présent déclare : « si on vous dit : on vous prend de l’argent parce que vous avez de l’argent », la justification n’est pas « juste ». Toutefois, les revendications des Gilets jaunes semblent aller dans ce sens, ce qui fait dire à Philippe Nemo que la société française est devenue socialiste, avec un « quintuplement de l’impôt » depuis 1914. Selon lui, même lorsque la droite est au pouvoir, le socialisme prime depuis que la redistribution est le modèle prédominant.

De la même manière, Olivier Babeau entend que les impôts sont justifiés par les services publics rendus au peuple. Mais depuis quarante ans, il semblerait que la justification s’efface pour seulement donner l’impression que les revenus appartiennent à l’Etat et qu’il peut en prendre la part qu’il souhaite sans nécessairement augmenter la qualité de ses services. Au contraire même, les déficits publics s’enchaînent années après années bien que les recettes de l’impôt soient chaque fois plus élevées…

Enfin, François Facchini insère deux questions distinctes qui découlent du thème général :

  • la fiscalité peut-elle rendre l’ordre social juste ? Il répond alors que ce n’est pas l’instrument approprié pour une meilleure justice, qu’au mieux, la fiscalité peut agir sur les inégalités économiques ;
  • la répartition de la charge des dépenses publiques peut-elle être juste ? Oui, du moment que l’impôt est consenti.

Evolution historique et comparaison géographique des systèmes fiscaux

D’un point de vue historique, les intervenants affirment que les questions de justice fiscale et de problèmes fiscaux auxquels l’Etat fait face aujourd’hui sont les mêmes depuis des décennies, Jean-Baptiste Noé date même cela de 1959, année où fut publiée le « Rapport sur les obstacles à l’expansion économique ».

Fiscalité européenne

Une question plus actuelle peut être celle d’une fiscalité commune au sein de l’Union européenne pour faire face au dumping social et fiscal. Pourtant, les intervenants ne semblent pas en faveur de cette mesure : Jean-Baptiste Noé pense que la mise en compétition des territoires pour attirer les entreprises et les personnes est vectrice de dynamisme.

Pour autant, Renaud Bourget affirme que la fiscalité n’est qu’un des nombreux avantages que peuvent rechercher les agents économiques pour s’installer dans un pays. Pour une entreprise, le choix de s’établir dans un pays peut relever de la qualité des infrastructures tandis que pour une personne cherchant à s’installer, le nombre de crèches dans une ville, la dératisation des parcs ou l’éclairage nocturne peuvent être autant de facteurs compensant l’impôt. C’est d’ailleurs pour cela que ce juriste appelle à ne pas comparer les taux d’imposition mais plutôt les dépenses effectuées. Le problème qu’il soulève néanmoins, c’est qu’en France, les impôts augmentent, au même titre que les fermetures de services publiques.

Quelle réforme fiscale pour la France ?

Pour Bénédicte Peyrol, députée de l’Allier sous les couleurs de la majorité (et seule femme invitée du colloque), avant de faire quelque réforme, il est essentiel de « faire reprendre conscience aux Français du coût des services publiques ». La députée explique à titre d’exemple que la gratuité visible des services hospitaliers cache le fait qu’une journée à l’hôpital coûte en fait 4 000 € et que c’est le système fiscal français qui permet cette « gratuité » des services.

Puis, une fois que les Français.e.s sauront où part leur argent imposé, il sera possible d’aller plus loin : « il ne faut pas avoir peur de faire des réformes majeures », même si elles doivent prendre des années, et en dépit de l’instabilité politique. Un sentiment que partage Frédéric Douet, professeur de droit fiscal, pour qui « il n’y a pas de réflexion d’ensemble sur le système fiscal ». Surtout, un point que plusieurs intervenants ont relevé : la justice fiscale ne doit pas seulement passer par l’impôt sur le revenu qui est l’impôt le plus exposé publiquement puisque directement prélevé, alors que seulement 45 % des individus le paient.