Cette nouvelle alerte souligne, pour la Cour des Comptes, l’urgence d’un redressement structurel de nos finances sociales, et une amélioration de la qualité et de l’efficacité des services.
Un dérapage financier aux et des failles de gestion
Depuis 2019, l’Objectif National de Dépenses de l’Assurance Maladie (l’Ondam, hors Covid-19) ont bondi de 56 milliards d’euros (Md€), passant de 200 Md€ à 256 Md€ en 2024. Cette année, la croissance des dépenses s’est encore accélérée, à 3,4 % par rapport à 2023. Ainsi, pour la quatrième année consécutive, l’exécution de l’Ondam s’est soldée par un dépassement, malgré des marges budgétaires et une inflation finalement inférieure aux prévisions.
Les sources du dérapage sont multiples : les deux tiers du dépassement (environ 0,9 Md€) proviennent d’un rendement plus faible des recettes atténuatives de produits de santé (remises sur le prix des médicaments, contributions financières des laboratoires…), dont l’estimation se complique au fur et à mesure de l’ampleur croissante (10,7 Md€ en 2024) et de l’assouplissement des règles de déclenchement.
Le tiers restant s’explique par une dynamique persistante de certains postes de dépenses : indemnités journalières (+ 8 %), honoraires des masseurs-kinésithérapeutes (+ 5,2 %), infirmiers (+ 4,9 %) et médecins spécialistes (+ 4,6 %). De plus, les hôpitaux publics sont en situation de grave déficit : après 1,9 Md€ en 2023, il atteint environ 2,8 Md€ en 2024, malgré une reprise de leur activité. En cumulant les dépassements de l’Ondam et les déficits des hôpitaux, le dérapage se chiffre à environ 4,3 Md€.
Plus préoccupant encore, la Cour se trouve « dans l’impossibilité de certifier les comptes de la branche famille pour l’exercice 2024 ». Cette situation témoigne de certains dysfonctionnements comptables qui pourraient remettre en question la fiabilité des données de cette branche essentielle de la protection sociale. Au-delà des montants en jeu, c’est la qualité de la gestion qui pose problème. La Cour pointe « des insuffisances d’éléments probants » et une « insuffisante capacité des dispositifs de contrôle interne à prévenir ou à détecter les erreurs d’attribution et de calcul des prestations sociales ». Ces défaillances ne sont pas anodines : elles peuvent se traduire, entre autres, par des versements indus (des versements émis par erreur) qui grèvent inutilement les comptes sociaux.
Face à ce constat alarmant, la Cour des comptes propose un ensemble de recommandations ambitieuses autour de deux axes : un redressement des comptes sociaux, qui passe en particulier par plus de transparence et de contrôle, et une amélioration de la qualité et de l’efficacité des services de sécurité sociale. Présentons ici quelques-unes des cinquante-et-une recommandations de la Cour.
Un redressement des comptes sociaux
Assurer des comptes fiables et disponibles rapidement
Pour restaurer la confiance dans la fiabilité des comptes sociaux, la Cour des comptes recommande que les tableaux d’équilibre et le bilan patrimonial de la sécurité sociale soient produits dès le 5 avril suivant l’exercice, au lieu de la fin du printemps ou de l’été. Cette échéance plus précoce permettrait de disposer plus vite d’une photographie claire de la situation financière, de corriger d’éventuelles erreurs et de mieux informer les décideurs publics.
Renforcer la transparence et la rigueur des retraitements
L’un des principaux enseignements du rapport porte sur le manque de traçabilité des retraitements opérés pour passer des comptes « bruts » aux tableaux d’équilibre officiels. La Cour invite le ministère en charge de la santé et des solidarités à formaliser chaque étape du processus : expliquer clairement pourquoi certains postes sont reclassés ou neutralisés, documenter les hypothèses retenues et rendre accessibles ces explications aux auditeurs externes. Un tel effort de transparence doit s’accompagner d’une révision des méthodes d’établissement des tableaux, afin de limiter le risque d’erreur ou d’interprétation divergente.
Mettre fin aux pratiques non conformes aux normes
La Cour insiste par ailleurs pour que disparaissent les « contractions » de produits et de charges dans les documents comptables de la sécurité sociale. Ces regroupements opérés à des fins de présentation, qui masquent des flux réels de dépenses et de recettes, sont contraires à la loi organique encadrant les lois de financement. En rétablissant une séparation stricte entre chaque poste, on y gagne non seulement en clarté mais aussi en comparabilité d’une année sur l’autre, condition essentielle pour piloter efficacement les finances sociales.
Surveiller les dépenses de santé tout au long de l’année
S’agissant des dépenses d’assurance maladie en tant que telles (l’Ondam), dont l’exécution dérape depuis plusieurs années, la Cour préconise la mise en place de mécanismes de suivi infra-annuel. Concrètement, cela pourrait prendre la forme de points de contrôle mensuels ou trimestriels, assortis de seuils d’alerte déclenchant des mesures correctrices avant la fin de l’exercice. L’objectif est d’éviter toute surprise en fin d’année, qui pèse lourdement sur le déficit des hôpitaux publics déjà fragilisés, et d’instaurer un pilotage plus réactif des dépenses.
Une amélioration de la qualité et d’efficacité des services
Prévenir les fraudes
Pour fiabiliser la constatation et le suivi des indus sur l’ensemble de la chaîne de prescription, la Cour recommande de disposer d’un système d’information unifié, capable de tracer les versements, d’alerter les gestionnaires dès l’apparition d’anomalies et de piloter automatiquement les procédures de recouvrement à chaque étape. Une telle plateforme permettra de réduire significativement les délais d’identification des paiements indus et d’harmoniser les pratiques entre les organismes. La Cour préconise de particulièrement s’attarder sur les fraudes des retraites versées à l’étranger.
Réguler l’intérim paramédical
Pour prévenir les dérives de l’intérim paramédical et mieux maîtriser son coût pour les finances publiques, le rapport formule plusieurs recommandations : rendre obligatoires les contrôles des situations de cumuls d’emplois dans la fonction publique hospitalière, clarifier le régime juridique des contrats de vacataires, instituer un plafonnement global des rémunérations des intérimaires paramédicaux, encadrer strictement les contrats d’allocation d’études, et prohiber l’exercice professionnel en établissement sous le statut de micro-entrepreneur pour le personnel paramédical.
Repenser les fonctions supports
Pour renforcer l’efficience des fonctions support hospitalières, la Cour recommande d’imposer une méthode commune aux hôpitaux publics et privés de calcul du coût des unités d’œuvre des principales fonctions support. Afin de tirer parti des synergies, elle préconise également de mettre en place un suivi systématique des mutualisations de ces fonctions entre établissements, permettant d’identifier et de diffuser les bonnes pratiques. Enfin, pour stimuler l’innovation et soutenir la transformation numérique, les appels à projets financés dans le cadre du plan « numérique en santé » doivent être ouverts aux solutions dédiées aux fonctions support.
Réformer le dispositif de pensions d’invalidité
Pour mieux maîtriser les dépenses et favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires, la Cour des comptes préconise une réforme coordonnée du dispositif d’invalidité. D’abord, elle recommande de limiter la durée de versement des pensions de première catégorie à une période déterminée et renouvelable, modulée selon l’âge et l’évolution de l’état de santé des assurés, afin d’inciter à la réévaluation périodique des situations. La fréquence des réexamens doit être renforcée : un système d’alerte déclenché dès qu’un assuré déclare une reprise d’activité et une mobilisation accrue des infirmiers du service médical permettront de dépister rapidement les sorties d’invalidité et d’ajuster le versement des prestations. La Cour recommande également la convocation obligatoire à une visite de préreprise pour tout salarié absent plus de 30 jours.
Développer le modèle d’officines
Pour accompagner la mutation du modèle officinal et garantir l’accès aux soins de proximité, la Cour propose de redéfinir d’abord les « territoires fragiles » en identifiant spécifiquement les officines dont la présence est essentielle à l’approvisionnement en médicaments. Sur le plan financier, elle préconise de refonder la rémunération des pharmaciens sur l’acte de dispensation au patient plutôt que sur le volume de boîtes vendues, afin de valoriser la qualité du conseil et des services rendus. Enfin, pour renforcer la gouvernance du réseau, la Cour recommande de réviser le statut des pharmaciens-adjoints, et de soumettre tout acte contractuel d’installation à l’agrément préalable du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, garantissant ainsi le maintien d’une offre loyalement ordonnée et équilibrée sur l’ensemble du territoire.