Les entretiens de l’AMF

la finance pour tous

Le jeudi 15 novembre se déroulaient les entretiens de l’AMF en partenariat avec la Banque de France. Autour de deux tables rondes, se sont retrouvées plusieurs personnalités du monde bancaire et financier pour débattre sur deux sujets d’actualité : le Shadow banking et la séparation des activités bancaires. 

Table ronde sur le « shadow banking« 

Gérard Rameix, Président de l’AMF, a introduit le débat en posant la problématique de la régulation du « shadow banking » (ou finance de l’ombre) dont le poids est évalué à 25 à 30 % du total des actifs gérés par l’ensemble du système financier mondial soit environ 46 000 milliards d’euros et la moitié des actifs des banques (cf. commission européenne – conférence « vers une meilleure régulation du système bancaire parallèle » avec la participation de Michel Barnier). Cette finance de l’ombre contient, selon lui, trois risques :

  • Risque de déplacement illégitime d’activités bancaires hors du système classique.  

  • Risque de contournement des législations mises en place

  • Développement d’activités à risque dont le cadre sera mal défini.

1) Saïd el Khadraoui, député européen, rapporteur sur le shadow banking au sein de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON), du Parlement européen, était le premier à répondre.Après avoir rappelé, l’ensemble des travaux au niveau européen, notamment  « le livre vert sur le système bancaire parallèle », présenté par la Commission européenne, Saïd el Khadraoui a insisté sur la crainte d’un risque systémique. Pour lui, ce secteur est opaque et l’inter-connectivité entre le système bancaire classique et le celui de l’ombre est importante. Le shadow banking offre aux banques une alternative pour se refinancer. Mais il semble indispensable d’améliorer la transparence de ce secteur pour savoir quelles sont les entités présentes sur ce marché et les activités pratiquées. Il a réaffirmé la nécessité de  mettre en place un certain nombre de recommandations ou réglementations.

2) David Wright, Secrétaire général d’IOSCO (Organisation Internationale des Commissions de Valeur), est intervenu ensuite pour réaffirmer qu’il est nécessaire d’avoir une évaluation précise de ce secteur non seulement en statique mais aussi en se souciant de définir les périmètres sur lesquelles ces activités se développent. Il s’est inquiété sur l’approvisionnement des collatéraux par les marchés.

3) Thierry Philipponat, secrétaire général de Finance Watch prend la relève : Il rappelle la masse des sommes en jeu : le marché des repurchase-agreements ou REPOs est estimé à 10 000 milliards de dollars. Or les prêts sécurisés amplifient les tendances, il faut donc que les autorités monétaires aient les outils nécessaires pour contrecarrer ces effets pro-cycliques. Il est nécessaire aussi, selon lui, que ces autorités aient une évaluation claire des entités qui évoluent sur le système bancaire parallèle.

Le Repo ou repurchase Agreement (pension livrée) correspond à une transaction, un échange entre deux parties, de titres (collateral) contre un volume équivalent, en valeur, de liquide (cash).Le vendeur de titres a besoin de liquidité sur une période assez courte (court terme de 1 mois à 1 an maximum).Il se met en lien avec une banque ou autre entité qui accepte de prendre en pension les titres qu’il lui propose. A échéance, le vendeur rachète ses titres (à la valeur vendue) et verse aussi un intérêt qui correspond à la rémunération du REPO (vente suivi de rachat).Il y a remboursement de la prise en pension (reverse repo). Avantages : Pour le vendeur de titre, il peut obtenir du liquide à un coût plus faible que s’il avait fait un emprunt, qu’il n’était pas sûr d’obtenir. Pour l’acheteur de titres, le risque est relativement maitrisé car l’acheteur a évalué les risques associés aux titres proposés. Si le vendeur ne peut racheter ses titres et donc rembourser ce qu’il doit à l’acheteur, celui-ci en devient pleinement propriétaire.

4) Baudouin Prot, président de BNP Paribas, à l’invitation de Mr Rameix, est intervenu. Mr Prot a surtout insisté sur les conséquences des accords de Bâle III et il lance un avertissement sévère quant aux capacités des banques à résister à la concurrence mondiale. Inquiétudes d’autant plus grandes que les Américains ont décidé de reporter dans le temps l’application des accords de Bâle III.

5) Yves Perrier, Directeur Général d’Amundi, a ensuite pris la parole pour réaffirmer la nécessité de réguler les activités hors système bancaire classique. Il souligne les risques que les banques américaines présentent, tout particulièrement, avec l’utilisation des produits non régulés tels que les CDOs.

6) David Wright (OICV) reconnait que le rôle des marchés financiers est de plus en plus important dans le financement de l’économie (processus de désintermédiation financière). Pour lui, il est nécessaire de réguler ces pans du marché qui échappent pour le moment à tout contrôle mais il faut avoir une réponse globale plutôt que sectorielle. D. Wright fait cependant remarquer que les décisions en matière de régulation au niveau mondial n’ont pas de « Haute Autorité »  pour en vérifier les applications. Il avoue implicitement son sentiment d’impuissance face aux initiatives de certains pays qui s’affranchissent de toutes contraintes.

Le débat s’est poursuivi autour de la place des fonds monétaires, des activités de titrisation

Yves Perrier a donné une évaluation de la masse des Sicav monétaires de l’ordre de 300 milliards d’euros détenues essentiellement par les institutionnels et les grandes entreprises. Ces Sicav jouent un grand rôle en matière de liquidité notamment dans la trésorerie des entreprises.

Se pose surtout la question des fonds à valeur liquidative constante

Ces fonds pour le moment n’existent pas en France, mais ils peuvent être vendus via des fonds domiciliés au Luxembourg ou en Irlande. Ces fonds sont d’une valeur de 458 milliards d’euros (37 % du poids des fonds européens).Le principe des fonds à valeur liquidative constante est le suivant : ce sont des fonds monétaires qui émettent des titres de valeur constante garantie ; ces fonds s’engagent à ce qu’il n’y ait aucun risque de perte de valeur du capital. Détenir une action d’un de ces fonds c’est comme détenir de la monnaie rémunérée ou quasi monnaie, liquide et qui s’accompagne d’une rémunération (Versement d’un dividende).Ces fonds investisse essentiellement dans des titres adossés à des crédits hypothécaires ou des titres de court terme des entreprises.

Voir l’étude de Xavier Ragot « les banques centrales dans la tempête, pour un nouveau mandat de stabilité financière »

Le cas d’école étant le fonds Primary Reserve détenu par Lehman Brothers et dont la valeur liquidative n’a pu être soutenue lors de la crise des subprimes

David Wright insiste sur la fragilité  de ces fonds  en cas d’accident du marché avec le risque de désengagement massif qui peut être fait simultanément par un certain nombre d’entités (runs ou phénomènes grégaires).

Enfin en matière de titrisation il est nécessaire de distinguer les formes désirables et les autres. Il faut notamment limiter le nombre de fois où un produit financier peut être titrisé, améliorer la transparence, donner une bonne évaluation des actifs sous-jacents et enfin standardiser les produits. En matière d’information, il faut accompagner le client. Enfin il faut compter sur le savoir-faire des banques qui peuvent donner une bonne évaluation de la situation financière de leurs entreprises- clientes.

Baudouin Prot a repris la parole pour souligner le fait que la titrisation est morte en Europe alors qu’elle continue de fonctionner aux USA. Or pour sortir d’un système bancaire intermédié où les banques se refinancent auprès des banques centrales, il faut encourager le développement de la titrisation. Mais, ironique, il annonce «  nous sommes en train de finaliser le label PCS nous ne ferons pas de titrisation de CDO (Collateralised Debt Obligation) ou d’autres produits. Nous ne voulons pas seulement faire notre métier pour que nos clients soient heureux mais pour que l’économie française se porte bien ». Mr Rameix confirme qu’aujourd’hui, l’un des grands enjeux est de proposer aux entreprises des formules de financement de leur activité, stables et simples.

Pour les autres techniques de financement, notamment les REPOs, il n’est pas nécessaire de mettre en place d’autres techniques de régulation, nous dit Yves Perrier. Pour lui, il est préférable de contrôler les pratiques des sociétés de gestion en matière de maitrise du risque et vérifier la qualité des collatéraux.

La conclusion de cette première partie de matinée est revenue à Jonathan Faull, directeur général de la direction « marché intérieur et service » de la Commission européenne. Il a introduit le sujet en rappelant que l’annonce des Etats-Unis de reporter dans le temps l’application des accords de Bâle III ne pouvait être une raison pour abandonner la régulation en Europe.

Pour restaurer la confiance vis-à-vis des marchés financiers et plus largement du système bancaire, Jonathan Faull a rappelé les objectifs que se fixe la Commission européenne en matière de supervision bancaire, première étape vers l’Union bancaire européenne.

Table ronde sur la séparation des activités bancaires

Animée par Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, la deuxième table ronde avait pour thème la séparation des activités bancaires

1) Christian Noyer a introduit le débat par l’observation suivante : la crise financière a permis d’évaluer la robustesse des institutions financières, d’observer des phénomènes de dislocation des marchés et enfin d’observer un lien très étroit entre le risque bancaire et le risque souverain.

En réponse à la crise de 2008, la communauté internationale a renforcé la réglementation avec de nouvelles normes de solvabilité et des règles spécifiques pour les banques systémiques. Des réformes de fond ont été entreprises pour redéfinir les règles de compensation des produits dérivés afin d’éviter de se retrouver dans la situation de certaines banques comme Lehmann Brothers.Enfin est né le projet européen d’Union bancaire, destiné à éviter ce qui se passe aujourd’hui, c’est-à-dire des taux de refinancement différents selon les Etats alors que la Banque centrale fixe un taux d’intérêt par définition unique puisqu’il y a une seule monnaie.

Dans ce contexte, Mr Noyer a posé la question : faut-il en plus explorer la piste de la séparation des banques ? Doit-on limiter la garantie implicite des banques qui sont à la fois banques d’investissement et de détail par la garantie des dépôts ?

Il a repris le calendrier des réformes concernant la restructuration des banques : le Dodd-Frank Act de juillet 2010 aux Etats-Unis, le rapport Vickers en Grande Bretagne avec la séparation des banques de détail et des banques d’affaires dont l’application est prévue pour 2019, et en Europe, le rapport Liikanen du 2 octobre 2010, du nom du gouverneur de la Banque de Finlande. Rapport qui prévoit une séparation des activités pour compte propre sur les titres et produits dérivés des activités classiques des banques. Enfin, en France le projet de réforme  bancaire  dont Pierre Moscovici, ministre de l’Economie et des Finances est venu présenter les orientations.

Mr Noyer a proposé de centrer le débat autour des questions suivantes : Existe-t-il un modèle bancaire optimal ? Quelles conséquences risquent d’encourir les banques si les structures bancaires changent ? Le risque de développement du Shadow banking augmentera-t-il si certaines activités bancaires sont trop réglementées ? Quel calendrier pour les réformes ? Les accords de Bâle III auront-ils des conséquences sur les bilans bancaires ?

2) Olivier Pastré, professeur d’économie à l’université de Paris VIII, a introduit la réflexion par un rappel du contexte dans lequel le Glass-Steagall Act avait été mis en place aux Etats-Unis.

De cette époque, Mr Pastré a tiré trois enseignements :

  • Les banques spécialisées sont fragiles

  • La liquidité bancaire est un  problème majeur. Le métier de la banque est un métier de transformation. Bâle III, et ses obligations accrues de fonds propres, ne fait-il pas peser le risque d’un « credit Crunch » ?

  • La concurrence règlementaire existe : En 1929, la crise économique et financière des USA a permis le développement de la place financière londonienne.

3) Erkki Liikanen, gouverneur de la banque centrale de Finlande, auteur du rapport qui porte son nom, (demandé par le commissaire européen chargé des Services financiers, Michel Barnier), a rappelé que l’objectif du groupe de travail, animé par ses soins, était de redéfinir les conditions dans lesquelles le système bancaire serait performant. C’est dans cette perspective qu’a été définie une séparation juridique des activités bancaires classiques pour le compte des clients, des activités  pour compte propre.

Son rapport recommande ainsi que les activités de trading ou de tenue de marché pour compte propre, bien que parfaitement légales, soient séparées de la banque de détail qui pourrait comprendre, outre les activités classiques de tenue de compte, prêts… les engagements de bonne fin et les activités de couverture quand elles sont faites pour le compte des clients.  Il défend cette solution au nom de l’équilibre : le maintien de groupes sous forme de holdings permet le maintien d’un guichet unique, très utile. De plus, une séparation totale serait, selon lui, contraire à la tradition européenne et condamnerait le modèle de la banque universelle qui a montré qu’il fonctionnait plutôt bien.

4) Athanasios Orphanides, ancien gouverneur général de la banque centrale de Chypre, a pris la suite et a insisté sur le rôle du régulateur. Mr Orphanides a présenté le rapport Volcker qui, comme le rapport Liikanen, admet que les banques de dépôts puissent faire de l’animation de marché (market making) et de l’arbitrage (hedging) mais, à la différence du rapport Liikanen, n’autorise pas les filiales.

5) Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, ne voulant pas déflorer les annonces qui seraient faites ultérieurement par le ministre de l’économie et des finances, a rappelé qu’il était important de séparer les activités utiles au fonctionnement de l’économie réelle et celles relevant d’activités spéculatives. Quelles que soient les motivations de chacun (réduction des risques, protection des déposants), la conclusion est la même : mettre fin aux activités qui n’ont aucun intérêt économique. En France, un processus de consultation a été mis en route par le gouvernement. Se sont retrouvés, le Corefris, les banques, les représentants de la Place de Paris, les représentants des clients et les syndicats bancaires. Cinq grandes lignes se sont dégagées :

  • La banque universelle est une institution adaptée pour le financement de l’économie réelle ;

  • Mais il faut renforcer l’encadrement prudentiel des activités de marché ;

  • Il faut donc définir des frontières entre les différentes activités du secteur bancaire, pour déterminer celles qui sont utiles de celles qui ne le sont pas ;

  • Il faut renforcer la transparence et la surveillance des activités de marché ;

  • Cette réforme doit être mise en lien avec une réflexion sur la résolution des crises bancaires.

6) Frédéric Oudéa, président directeur général de la Société Générale, a pris la suite de l’échange en exprimant son inquiétude sur l’excès de réglementation et les effets de Bâle III. Il a indiqué que le défi de la zone euro est celui de la croissance. Et que pour cela il conviendrait plutôt de ne pas ajouter trop de nouvelles contraintes en matière de réglementation bancaire. Ces mesures affaiblissent les banques universelles alors que, selon lui, elles ont été les plus solides dans la crise.

Pour Mr Oudéa, Bâle III a accéléré la transition vers un modèle de financement anglo-saxon. Cette transition nécessite une augmentation des liquidités afin d’éviter les risques d’assèchement des marchés. Les banques universelles sont les mieux placées pour effectuer cette transition à condition de ne pas être « assommées par les multitudes de réformes qui feront d’elles des « canards à la tête coupée », lesquels finiront par ne plus pouvoir courir ». Comment les banques françaises pourront-elles continuer d’être compétitives mondialement alors qu’en même temps, les banques américaines ne vont pas supporter les mêmes contraintes réglementaires puisque la FED a annoncé le report dans le temps de l’application des accords de Bâle III ? Pour Frédéric Oudéa, cela relève de « la tentation suicidaire », il refuse de jouer le jeu ! 

7) La table-ronde s’est conclue avec le discours du ministre de l’Economie et des Finances. Pierre Moscovici a présenté les grandes lignes de la prochaine loi de régulation bancaire. Il a rappelé que cette loi est en cohérence avec les promesses de campagne de François Hollande quant à la séparation des activités des banques entre celles orientées vers le financement de l’investissement et de l’emploi et celles à objet spéculatif.  « Il y aura réforme et non retouche cosmétique ! ». Si le  modèle des banques universelles a prouvé sa capacité de résistance pendant la crise, le ministre a souligné cependant que l’évaluation des risques n’a pas été bonne, et que la supervision n’a pas suffisamment tenu compte des risques systémiques, privilégiant plutôt un suivi individuel.

Trois objectifs complémentaires sont poursuivis : séparer les activités non utiles, améliorer la capacité des pouvoirs publics à intervenir en évitant des coûts supplémentaires pour les contribuables, donner aux pouvoirs publics des pouvoirs de réglementation.

  • Séparer les activités utiles de celles spéculatives : c’est-à-dire engager une réforme structurelle des banques en constituant des filiales dédiées aux activités de marché avec des exigences prudentielles sévères et en interdisant carrément certaines activités (trading à haute fréquence) ou opérations de spéculation sur les dérivées de matière premières agricoles).

  • Cette réorganisation du système bancaire ne porte pas atteinte aux activités classiques des banques et aux liens qu’elles ont avec les entreprises.

  • Créer un régime de résolution des crises bancaires directement inspiré de la directive européenne avec un plan dans chaque banque, l’ACP étant l’autorité de résolution avec des pouvoirs renforcés mais les banques elles-mêmes devant payer pour leurs erreurs.

  • Renforcer la surveillance avec la création d’une  autorité macro prudentielle chargée de la veille des risques systémiques.