Les objectifs du législateur européen
Limiter la spéculation sur les dettes souveraines
Depuis la crise de la dette au sein de la zone euro, les agences de notations ont souvent été accusées par les dirigeants politiques européens d’aggraver la situation financière de certains Etats, déjà fragilisés par la crise, notamment la Grèce. Sur ce point, le texte prévoit que les agences ne pourront modifier les notations non sollicitées des Etats que trois fois par an à des dates communiquées à l’avance.
Responsabiliser les agences de notation
Afin de responsabiliser les agences de notation, le législateur a mis en place un régime européen de responsabilité civile pour faute intentionnelle ou négligence grave. Autrement dit, toute entité (une entreprise ou un Etat) qui s’estimerait victime d’une erreur de notation, pourrait demander réparation voir obtenir des dommages et intérêts.
Jusqu’à présent, certains observateurs doutaient des réelles répercussions que pourraient avoir certaines plaintes contre les agences de notation. En effet, le droit européen prévoit que le plaignant ou la victime doit prouver l’existence d’une faute, d’un préjudice ou d’un lien de causalité. Or, difficile de prouver le préjudice causé par ces agences qui, aux Etats-Unis par exemple, ont pour habitude d’évoquer le premier amendement de la Constitution, à savoir la liberté d’expression. En France, ce sont souvent les banques qui sont montrées du doigt, notamment Dexia dans le contexte des prêts toxiques accordés aux collectivités territoriales. Cette nouvelle législation européenne inverse la charge de la preuve. Désormais, c’est l’agence qui devra prouver qu’elle n’a pas commis de faute et non au plaignant de démontrer l’inverse.
Lutter contre les conflits d’intérêt
Au lendemain de la crise, les agences de notation ont souvent été accusées de négligences à en juger par la dégradation soudaine de certaines entreprises, celles là mêmes jugées saines quelques jours auparavant. En cause, les conflits d’intérêts auxquelles certaines agences s’exposaient en étant directement rémunérées par leurs clients… Afin de prévenir ce type de situation, les investisseurs ne pourront plus détenir plus de 5 % du capital de deux agences différentes. Sur le même principe, une agence de notation ne pourra pas noter une entité dont elle détiendrait plus de 10 % de son capital.
Des agences dans la tourmente…
Le 5 novembre dernier, l’agence de notation Standard&Poor’s a été condamnée par la justice australienne pour notation « trompeuse » et devra dédommager 13 collectivités locales qui avaient acquis des titres CPDO (constant proportion debt obligation) en 2006, ces mêmes titres qui avaient fait défaut au lendemain de la crise entrainant une perte nette de 16 millions de dollars australiens pour ces collectivités. Selon la justice australienne, les informations sur lesquelles S&P se basait pour justifier la note AAA attribuée à ces titres surnommés « Rembrandt » étaient en partie « inexactes ». Depuis, des plaintes similaires pourraient être déposées aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. C’est déjà le cas en Italie où le parquet de Trani a demandé le renvoi en justice de plusieurs dirigeants et analystes opérationnels de deux agences de notation (S&P et Fitch) pour « manipulation de marché ». En cause, la dégradation de la note de la Péninsule à des fins spéculatives effectuée en janvier 2012.
Si les condamnations se multiplient, l’existence même des agences de notation pourrait être remise en question comme l’explique l’économiste Norbert Gaillard : « dans son rapport sur la crise financière d’avril 2011, le Sénat américain avait déjà fustigé les méthodes de travail des agences de notation […]. Des analystes de ces agences affirment qu’ils ne croyaient pas eux-mêmes dans les notes qu’ils attribuaient […]. L’avenir de ces agences s’annonce assez sombre. Si de grosses plaintes devaient se muer en condamnation, le secteur pourrait tout simplement faire faillite. Pour rappel, les agences de notation pèsent 2 milliards de chiffre d’affaires. Une amende de 500 millions de dollars, par exemple, ne constituerait qu’une goutte d’eau pour Goldman Sachs. Mais pour Moody’s, cela représenterait la moitié de ses profits… ».(Entretien avec La Tribune, 07/11/2012)
… qui continuent de prospérer
Si le commissaire européen au marché intérieur et aux services se félicite d’un tel accord qui pourrait considérablement réduire « le risque d’une autre crise financière avec toutes les conséquences qu’elles pourraient avoir sur l’économie réelle », d’autres en doutent. Certes, les agences de notation seront davantage encadrées, mais cette nouvelle législation reste uniquement applicable sur le territoire européen… « Après la mise en place de cette nouvelle directive on pourrait au pire assister à des fermetures de bureaux en Europe et à des retraits de notes d’émetteurs européens. Ailleurs, en Asie et dans les pays émergents, leur rôle n’est pas remis en cause ». Par ailleurs, contraindre les agences de notation à publier leurs nouvelles notations à des dates préalablement annoncées n’aurait qu’un faible impact. D’une part « cela concerne les pays qui n’ont pas sollicités une notation soit un quart de l’Union Européenne ». D’autre part, « la dégradation (de la notation, ndlr) de la France et des Etats-Unis n’a eu aucun impact sur les marchés ». (N. Gaillard, Les Echos, 29/11/2012).
Loin de se soucier de ces tourmentes judiciaires, les agences de notation poursuivent leurs activités à en juger par les dégradations de notes publiées ces derniers mois, dont celle de la France en novembre dernier par l’agence Moody’s, huit mois après celle de S&P. Ces agences, pour certaines vieilles depuis plus d’un siècle, ont donc vraisemblablement encore quelques belles années devant elles.