L’initiative « monnaie pleine »

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Le 10 juin, les Suisses ont voté sur une initiative populaire pour décider si la création monétaire devait être du seul ressort de la banque centrale suisse, privant ainsi les banques commerciales de leur pouvoir de création monétaire.
L’initiative Vollgeld (« monnaie pleine » en français) a finalement été rejetée par 75,7 % des votants mais a permis de discuter des mécanismes de la création monétaire et de son objectif.

Les mécanismes actuels de création monétaire

La création monétaire est actuellement la conséquence des crédits accordés par les banques commerciales aux agents économiques. Lorsqu’une banque accorde un crédit, elle crée de la monnaie ex nihilo. Elle inscrit à son actif une créance (ce que l’agent doit lui rembourser) et à son passif elle ouvre un compte à l’agent où est placé l’argent prêté. 

Cette création de monnaie par jeu d’écriture est la principale forme de création monétaire et la banque centrale n’y joue aucun rôle direct. Cette création de monnaie est limitée par les ratios de couverture qu’impose la banque centrale – les crédits doivent être couverts par une certaine proportion de fonds propres – et par le besoin de refinancement des banques.

Certes, à côté de cette monnaie scripturale existe une monnaie fiduciaire (billets et pièces) qui elle est en théorie une dette directement exigible auprès de la banque centrale, alors que la monnaie scripturale est une dette de l’agent sur sa banque en particulier. Néanmoins, cette monnaie fiduciaire – lorsqu’on la réclame au guichet d’une banque – n’est que la concrétisation d’une monnaie scripturale. La conversion en monnaie fiduciaire permet à la monnaie scripturale de circuler mais ce n’est pas une nouvelle création de monnaie.
Les banques commerciales ont donc une quasi complète liberté de création monétaire.

La Vollgeld ou monnaie pleine

L’initiative suisse

L’initiative « monnaie pleine »La votation suisse vise à transformer les banques commerciales en simples intermédiaires, en les contraignant à n’accorder que des crédits intégralement couverts par des prêts de la banque centrale.
Il s’agit donc d’inverser complètement la logique actuelle : aujourd’hui les banques émettent des crédits, puis vont se refinancer auprès de la banque centrale, dont l’émission de monnaie « suit » l’activité économique réelle. Au contraire, le projet suisse proposait que la Banque Centrale émette a priori de la monnaie.
L’initiative suisse est apparue en réaction à la crise financière de 2008. En retirant aux banques commerciales la possibilité de créer de la monnaie, il s’agissait d’éviter que cet argent librement créé ne vienne alimenter des bulles spéculatives et la sphère financière. Les autorités monétaires auraient repris le contrôle de l’émission de crédits, en acceptant ou refusant d’accorder aux banques commerciales la monnaie nécessaire à leurs crédits. Il s’agit de faire en sorte que la création monétaire aille vers la sphère de l’économie réelle plutôt que de nourrir la spéculation.

Une idée récurrente après les crises

Le concept de « monnaie pleine » est une vieille idée, avancée déjà par de nombreux économistes libéraux. Comme l’initiative suisse, elle avait été particulièrement discutée après une crise, celle de 1929. Pendant la Grande Dépression, Irving Fisher et Henry Simons ont imaginent le « Plan de Chicago », qui propose de supprimer le pouvoir de création monétaire aux banques commerciales. Cette mesure est notamment défendue par les partisans de la théorie quantitative de la monnaie pour qui le contrôle de la quantité de monnaie en circulation détermine l’inflation. Le contrôle exclusif de la banque centrale sur la création de monnaie permettrait de contrôler l’inflation et d’assurer la stabilité des prix.

La « monnaie pleine », une solution optimale ?

Tout d’abord, les banques commerciales ne disposent pas d’un pouvoir de création monétaire illimité et incontrôlé. Si les banques commerciales créent de la monnaie librement, la banque centrale encadre a minima cette création à travers d’abord les ratios de couverture obligatoires et ensuite par le fait que les échanges interbancaires se font en monnaie banque centrale (c’est la banque centrale qui refinance les banques).
Surtout, la création monétaire par les banques commerciales est loin d’être déconnectée de l’activité économique réelle. La quantité de crédits qu’accordent les banques, et partant le montant de la création monétaire, dépend de la quantité de crédits demandée par les agents économiques. La création monétaire est aujourd’hui calquée sur l’activité économique. La banque centrale, elle, ne connait pas les besoins en monnaie de l’économie réelle et serait donc mal placée pour savoir quelle quantité de monnaie émettre.

Quoi qu’il en soit, l’initiative « monnaie pleine » aura eu le mérite de porter le débat sur la place publique et de rappeler les mécanismes de la création monétaire.