L’exclusion bancaire

la finance pour tous

L exclusion bancaire

Titre : L’exclusion bancaire

Georges Gloukoviezoff est économiste et sociologue. Actuellement chercheur indépendant, il est spécialiste des questions d’exclusion financière des particuliers. Il est membre du conseil de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Il a notamment été associé à différents travaux européens sur le surendettement et sur l’inclusion financière.

Le livre de Georges Gloukoviezoff sur « l’exclusion bancaire » est le travail d’un chercheur « citoyen» qui a élaboré une grille de lecture cohérente, à contre courant des points de vue dominants. Critique des remèdes à l’exclusion sociale généralement préconisés, il présente ce que devraient être selon lui des voies alternatives plus efficaces.

Il ne s’agit pas d’un ouvrage de vulgarisation. Georges Gloukoviezoff mêle débats théoriques sur la monnaie, sur la financiarisation de la vie sociale et sur la relation bancaire, analyses économiques et compte rendus d’enquêtes sociologiques. Au delà des acteurs professionnels de la banque et des acteurs sociaux et politiques qui interviennent de façons diverses sur cette importante question sociale et dont il nourrira certainement les réflexions, le livre devrait intéresser les enseignants d’économie et de sciences sociales et les étudiants qui se destinent aux métiers de la banque.

Un dysfonctionnement social et un processus

Selon Georges Gloukoviezoff, si l’on veut élaborer des réponses qui traitent de façon efficace les graves difficultés bancaires vécues par une partie de la population, on ne peut s’en tenir à une définition restrictive de l’exclusion bancaire selon laquelle sont exclus ceux et seulement ceux qui ne disposent d’aucun produit bancaire. Une telle définition « ne dit rien » sur les personnes qui ont un compte bancaire mais pas de chéquier ou de carte bancaire, ou sur celles qui sont en situation de surendettement en ayant eu accès à un ou plus souvent plusieurs crédits. Le risque si l’on s’en tient là, explique Georges Gloukoviezoff est de « traiter l’exclusion » par des mesures qui pourraient aggraver les choses dans d’autres dimensions du problème. Par exemple vouloir accroitre l’accès au crédit de personnes aujourd’hui exclues de ce service bancaire en supprimant le taux d’usure pourrait à terme produire du surendettement…Georges Gloukoviezoff propose une définition alternative du problème qui met l’accent sur trois points :

  • Il faut, selon lui, définir l’exclusion bancaire comme un phénomène caractérisé par le lien entre les difficultés bancaires rencontrées par une partie de la population et leurs conséquences sociales et ceci alors même que le recours à tout un ensemble de produits bancaires est indispensable pour mener une vie normale.

  • Il faut prendre en considération non pas simplement le non accès ou les difficultés d’accès aux produits bancaires mais également les difficultés qui surviennent dans l’usage de ceux-ci.

  • Il faut considérer qu’il existe plusieurs degrés d’intensité dans l’exclusion bancaire et considérer celle-ci comme un processus dans lequel on passe progressivement d’une phase dans laquelle les conditions d’accès et d’utilisation des produits bancaires se révèlent inappropriées entrainant par exemple des surcoûts à une phase d’intensité plus forte dans laquelle le statut des personnes dans leur relation avec le « banquier » est mis en cause. Enfin l’intensité maximale est atteinte avec l’exclusion au sens étroit du terme et l’invalidation sociale des personnes concernées.

Entre nécessité sociale et rentabilité

S’agissant des causes, Georges Gloukoviezoff met l’accent sur la tension existant entre, d’un côté, la nécessité pour l’ensemble de la population de recourir aux produits bancaires pour mener une vie sociale normale et, de l’autre côté, le fait que ces produits sont « distribués » par des établissements soumis à une contrainte de rentabilité dont l’emprise est croissante. L’analyse de l’auteur se concentre ici sur l’impact de cette contrainte sur la qualité de la relation de services bancaires et notamment sur la pratique de la segmentation qui vise à rentabiliser au mieux chaque catégorie de la clientèle. Moins les clients sont jugés commercialement intéressants et moins il y a un « copilotage » de qualité entre le « banquier » et le client afin de faire les choix bancaires pertinents. Une partie de la population se voit proposer une prestation inappropriée avec le risque d’enclencher un processus d’exclusion bancaire que l’auteur qualifie de « pathologie sociale » de la financiarisation de la vie sociale.

Régulation solidaire

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux remèdes. Georges Kloukoviezoff considère que les dispositifs qui n’améliorent pas suffisamment et durablement la qualité de la relation bancaire ont une portée limitée et dans certains cas ils peuvent même avoir des effets induits négatifs. C’est selon lui le cas des fichiers positifs ou du système de droit au compte. Il critique également l’éducation financière qui est, selon lui, considérée, de manière croissante, comme la pierre angulaire de la lutte contre l’exclusion bancaire tant au plan national qu’européen. Selon lui, l’éducation financière ignore que « les mauvaises décisions » des personnes qui subissent un processus d’exclusion bancaire « découlent surtout d’une situation trop complexe pour être analysée facilement, d’un contexte émotionnel perturbant la mise en œuvre des compétences et d’une fréquente absence d’alternatives ».

La critique nous parait inappropriée au moins s’agissant de la France, pays pour lequel on ne peut pas dire que l’idée prédominante est que l’éducation financière va être un remède efficace à l’exclusion bancaire en lieu et place de l’amélioration et du renforcement de la régulation bancaire et de la protection des consommateurs. On y souffre beaucoup plus d’une insuffisance de développement et de programmes appropriés plutôt que d’un trop plein.

Georges Gloukoviezoff considère que l’essentiel de l’amélioration de la relation bancaire doit se situer du côté du « banquier ». La place du conseil bancaire est, dit il, primordiale. Il fonde ses espoirs sur des expérimentations et des structures telles que les points passerelles mises en place par le Crédit agricole, les Parcours confiance mises en place un peu sur le même modèle par les Caisses d’épargne ou sur le microcrédit social. Ils installent explique-t-il un copilotage de meilleure qualité des dispositifs techniques et des prestations bancaires mieux adaptées. Notons par parenthèse que ces dispositifs incluent en général des actions d’éducation financière et que la finance pour tous est partenaire de la Fédération Nationale du Crédit Agricole précisément en liaison avec l’action des Points passerelle.

Il reste que, selon Georges Gloukoviezoff, pour aussi prometteuses qu’elles soient, ces initiatives n’auront d’effet réel et durable sur le processus d’exclusion bancaire qu’en ne restant pas marginales et en devenant au contraire des pratiques de droit commun. L’auteur ne croit pas que l’on puisse se reposer sur la seule volonté individuelle des établissements bancaires. Il faut, dit il, « agir sur la régulation du secteur ». Les contours d’une telle régulation qu’il qualifie de « solidaire » sont, selon lui, déjà formulés dans le rapport élaboré en décembre 2007 par la mission sur la modernisation de la distribution du livret A et des circuits de financement du logement social présidée par Michel Camdessus (cf.pages 71 à 74 du rapport). Mais constate-t-il ce n’est pas cette voie qui a été choisie par la loi de modernisation de 2008. L’accessibilité y est restreinte au seul problème du droit au compte.

Georges Gloukoviezoff Le lien social – PUFSeptembre 2010, 370 pages, 26 € (Ouvrage publié avec le concours de la Caisse des Dépôts/Institut CDC pour la recherche)

 

0 commentaire

Commenter