EMIR : les transactions de dérivés de gré à gré bientôt régulées

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Contrairement aux produits dérivés échangés sur les marchés organisés, les produits dérivés de gré à gré (ou dérivés OTC, pour "over the counter") présentent comme caractéristique majeure le fait de s'effectuer en dehors de tout cadre réglementé et généralement par l'intermédiaire d'une banque.

En raison de l’opacité qui les entoure et du rôle joué par les dérivés de crédit notamment les CDS, dans la diffusion des actifs immobiliers « pourris » américains dans tout le système financier mondial, ces produits dérivés de gré à gré ont été désignés comme ayant été à l’origine de la contagion de la crise des subprimes en 2008.

C’est la raison pour laquelle les dirigeants des pays du G20 se sont engagés en septembre 2009 à mettre en place des réglementations destinées à sécuriser les échanges de ces produits et à en améliorer la transparence.

Aux États-Unis, la mise en œuvre en 2013 des dispositions prévues par le Dodd-Franck Act adopté en 2010, répond à cette exigence.

La réglementation « EMIR » (acronyme anglo-saxon de European Market Infrastructure Regulation), adoptée par le Parlement européen et le Conseil européen le 4 juillet 2012  et entrée en vigueur le 15 mars 2013, poursuit ce même objectif.

La réglementation EMIR vise ainsi à réguler les marchés des produits dérivés de gré à gré en imposant aux intervenants (ou contreparties) différentes obligations destinées à sécuriser les échanges et à garantir la transparence de ceux-ci.

Sécurisation des échanges sur les marchés des produits dérivés de gré à gré

L’objectif de sécurisation des échanges effectués sur les marchés des produits dérivés de gré à gré se matérialisera, à partir de la mi-mars 2014, par une obligation de passer par l’intermédiaire d’une chambre de compensation pour tous les contrats passés par des contreparties financières (établissements de crédit, assureurs et réassureurs, entreprises d’investissement, OPCM, essentiellement) ou pour les contrats passés par des contreparties non financières dont la valeur notionnelle est supérieure à 1 milliard d’euros (contrats dérivés de crédit ou d’action), ou à 3 milliards d’euros (contrats de taux d’intérêt, de change de matières premières ou tout autre contrat). L’intérêt de la réglementation EMIR est que la chambre de compensation garantira non seulement la bonne fin des opérations mais aussi le sérieux des engagements des contreparties, à travers notamment l’évaluation et la conservation du collatéral et les appels de marge en cas de variation à la baisse de la valeur de ce dernier. Ainsi, le risque systémique devrait pouvoir être limité car si un intervenant fait défaut, sa contrepartie recevra le collatéral revalorisé des appels de marge éventuels.

En outre, les contreparties non financières dont les contrats dérivés de gré à gré se situent en deçà du seuil de compensation défini par la réglementation devront néanmoins appliquer des techniques d’atténuation des risques liés à ces contrats (confirmation rapide des caractéristiques des contrats entre les parties, procédures de gestion des différends et d’échanges de garanties rapides, affectation d’un montant de capital approprié et proportionné aux risques non couverts).

Garantir la transparence des marchés des produits dérivés de gré à gré

Afin de renforcer la transparence des transactions réalisées sur les produits dérivés de gré à gré, la réglementation EMIR impose une obligation de déclaration rapide (à J+1) de tous les contrats ou modifications de contrat de dérivés (qu’elles soient d’ailleurs cotées ou de gré à gré) à un référentiel central agréé par l’ESMA à compter du 12 février 2014.

A partir de cette date, tous les contrats en cours, y compris ceux négociés précédemment,  devront lui être déclarés dans un délai de trois mois. En outre, les contrats échus à cette date mais qui étaient en cours au 16 août 2012 devront aussi être déclarés, mais dans un délai de trois ans.

L’ensemble de ces informations devraient permettre aux autorités de surveillance d’avoir une meilleure connaissance des montants échangés sur le marché des produits dérivés de gré à gré. -En 2012, la BRI estimait le montant total de ces produits à plus de 25 000 milliards de dollars en valeur de marché et à près de 4000 milliards de dollars le montant de ces contrats non couverts par des  garanties. Elles devraient également permettre de détecter suffisamment tôt les dépendances financières et les risques pour la stabilité du système financier.

Les difficultés de la régulation mondiale des produits dérivés de gré à gré

La mise en place des réglementations EMIR et Dodd-Franck soulève plusieurs questions qui montrent qu’une  régulation efficace des produits dérivés n’est pas aussi aisée à mettre en œuvre.

Absence  d’uniformité des systèmes de compensation au niveau mondial

La réglementation EMIR entre en concurrence avec les diverses autres réglementations mises en œuvre dans les différentes places financières mondiales. Ainsi, les règles applicables aux Etats-Unis sont-elles partiellement différentes. Cette absence de coordination internationale se révèle problématique pour les intervenants sur le marché des dérivés de gré à gré qui a acquis une dimension globale.  C’est sans doute la raison pour laquelle  le régulateur américain (la Commodity Futures Trading Commission) a publié récemment deux textes étendant le champ d’application des règles américaines à toute transaction dans laquelle une société américaine est impliquée, donc y compris hors du territoire des Etats-Unis. Cette décision a suscité l’inquiétude  de la Commission européenne qui y voit un empiétement sur ses prérogatives et une mise en concurrence avec ses propres règles sur la compensation des dérivés de gré à gré entre deux contreparties non ressortissantes de l’Union européenne. En effet, ces règles prévoient que ce type de transactions seront soumises à la réglementation EMIR si elles sont effectuées via une filiale située dans l’Union européenne ou si l’une des contreparties fait porter un risque à une institution financière de l’Union européenne (par exemple si cette dernière accorde une garantie à la contrepartie non européenne).

Concentration du risque systémique sur les chambres de compensation

Le principe même de la compensation sur les transactions de dérivés revient à transférer le risque de contrepartie (c’est à dire le risque de défaut de la partie débitrice) à la chambre de compensation puisque le rôle de celle-ci est de servir d’intermédiaire des contreparties et de se porter garante de la bonne fin des opérations. De fait, la réglementation EMIR permettra de réduire les risques de contrepartie mais en les transférant et les concentrant sur les chambres de compensation. C’est la raison pour laquelle EMIR impose à celles-ci des règles prudentielles destinées à les protéger contre les risques de contrepartie, de liquidité, de marché et le risque opérationnel.

Risque d’assèchement du collatéral de qualité

Dans la mesure où les chambres de compensation vont concentrer les risques de contrepartie, elles devront s’assurer qu’elles disposent de suffisamment de collatéral pour couvrir leurs expositions. Ceci devrait se traduire par une hausse du collatéral exigé puisqu’on estime à environ 4 000 milliards de dollars le montant des contrats de gré à gré non couverts par des sûretés dans le monde. Toutefois, EMIR -tout comme le Dodd-Franck Act- exige que ce collatéral soit « hautement liquide », c’est à dire immédiatement mobilisable (dépôts en euro ou en devise) ou répondant à différents critères de qualité et facilement cessible (instrument financier bénéficiant d’une des meilleures notations des agences de rating, coté en continu sur les marchés et dont le nombre de titres est suffisamment élevé pour pouvoir être vendu sans délais et à faible coût de transaction). Par ailleurs, la réglementation Bâle III relative au risque de liquidité exigera aussi des banques européennes qu’elles détiennent, dès 2014, des titres de qualité pour couvrir leurs passifs.

Au total, la demande de collatéral de qualité devrait augmenter sensiblement, alors que selon une étude du Crédit Suisse datant de 2012, le nombre de titres qualifiés de « sans risque » a fortement diminué depuis 2007 en raison du déclassement de certains actifs, comme les titrisations de crédits hypothécaires ou les obligations souveraines de plusieurs Etats européens. Cette tendance à la raréfaction d’actifs financiers de qualité s’est également renforcée avec le développement des prêts interbancaires assortis de garanties à la suite du déclenchement de la crise financière de 2008, alors que les prêts en blanc étaient davantage la norme sur le marché monétaire au préalable, et des politiques de fourniture de liquidités des banques centrales en échange d’actifs de qualité (comme le programme LTRO mis en place par la BCE en 2011 et 2012), qui ont été particulièrement massives.

Toutefois, il reste difficile de savoir si les exigences des réglementations EMIR et Dodd-Franck sont véritablement susceptibles de provoquer une pénurie de collatéral de qualité. En effet, même si les chambres de compensation vont conserver les titres reçus en garantie alors qu’auparavant les banques qui servaient d’intermédiaire entre les contreparties les réutilisaient, les positions auprès des chambres de compensation pourront se compenser titre par titre (ce que l’on dénomme par le terme de « netting » des positions). Ainsi, l’exigence de collatéral ne concernera pas la totalité des montants des contrats de dérivés de gré à gré actuellement non couverts par des sûretés, mais une fraction de ceux-ci. De fait, une étude de la banque centrale des Pays-Bas publiée en 2012  évalue à 375 milliards d’euros les besoins supplémentaires en collatéral sur la zone euro. En outre, toujours selon cette même étude, même si la demande d’actifs liquides de haute qualité s’accroît plus rapidement que l’offre de tels actifs, le stock de produits disponibles répondant à cette exigence demeurerait actuellement suffisant pour y faire face.