Le prix Nobel d’économie 2021 décerné à David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens

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L’Académie royale des sciences de Suède a désigné, lundi 11 octobre, David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens comme lauréats du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. D. Card a été récompensé pour ses travaux dans le champ de l’économie du travail, tandis que J. Angrist et G. Imbens l’ont été pour leur contribution à l’analyse des relations causales.

Qui sont les trois lauréats du prix Nobel d’économie ?

Le prix Nobel d’économie 2021 a été décerné par l’Académie royale des sciences de Suède aux économistes David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens. Ils succèdent ainsi à Robert Wilson et Paul Milgrom, deux spécialistes de la théorie des enchères, récompensés l’année dernière.

Le « prix Nobel d’économie » désigne, en réalité, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.

Régulièrement pressenti pour remporter ce prix, David Card est un économiste canadien, spécialiste de l’économie du travail. Il enseigne actuellement à l’université de Californie à Berkeley.

Joshua Angrist est un économiste israélo-américain et est professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Cambridge.

Enfin, Guido Imbens est un économiste néerlandais et américain et enseigne à l’université de Stanford.

J. Angrist et G. Imbens ont développé des méthodes statistiques novatrices, aujourd’hui appliquées à de nombreux champs de la science économique : économie du travail, économie de l’éducation, etc.

Un des points communs aux travaux de ces trois économistes est le recours à des « expériences naturelles » ou « quasi-naturelles ». Ces dernières désignent des situations fortuites dans lesquelles un groupe d’individus est  soumis à un « traitement » (une mesure de politique économique, un choc exogène, etc.) et comparé à un autre groupe, possédant des caractéristiques proches mais non soumis à ce traitement.

La différence entre les deux groupes – l’un étant le groupe « traité », l’autre le « groupe de contrôle » – permet de tester une hypothèse et ainsi de mettre en évidence des relations causales.

L’augmentation du salaire minimum ne détruit pas l’emploi

David Card a, justement, été l’un des premiers à avoir recours aux expériences naturelles en économie. Avec Alan Krueger (décédé en 2019), il utilise en effet, dans un article de 1994 au retentissement considérable (et toujours débattu depuis), le fait que le salaire minimum augmente dans le New Jersey, alors qu’il reste constant dans l’État voisin de Pennsylvanie. Puisque ces deux États possèdent des caractéristiques économiques et sociales relativement proches, il s’agit d’un terrain propice à l’exploration des liens entre salaire minimum et niveau d’emploi. Card et Krueger étudient, plus précisément, l’évolution de l’emploi dans 410 restaurants de fast food, un secteur où les salaires sont traditionnellement bas. En opposition totale avec ce que prédit alors la théorie « classique » du marché du travail, Card et Krueger montrent alors que l’augmentation du salaire minimum dans le New Jersey n’a pas eu un effet négatif sur l’emploi.

Dans une autre étude célèbre, David Card montre que l’immigration, même importante, ne provoque pas nécessairement une augmentation du chômage ou une baisse des revenus. Il utilise pour cet article l’exode de Mariel comme expérience naturelle. Entre avril et octobre 1980, près de 125 000 Cubains sont expulsés de Cuba vers les États-Unis, qui décident d’accorder l’asile politique aux émigrés. La ville de Miami accueille à elle seule près de la moitié de ces réfugiés. Or, en comparant l’évolution des conditions économiques dans quatre autres grandes villes, non touchées par cette immigration, Card montre que cet afflux ne s’est traduit ni par une augmentation du chômage, ni par une baisse des salaires à Miami à moyen et long termes.

L’émergence de nouvelles méthodes économétriques

Avant d’être appliqués à de nombreux domaines de la science économique, les travaux de J. Angrist et de G. Imbens ont consisté à développer de nouvelles méthodes économétriques permettant de mettre en évidence des effets causaux, notamment dans le cadre d’expériences naturelles.

Recours à des « expériences naturelles », un exemple simple

Prenons un exemple simple, issu du discours d’annonce du prix par l’Académie royale des sciences de Suède : supposons, tout d’abord, qu’une entreprise cherche à améliorer la santé de ses employés en leur offrant un vélo afin qu’ils puissent l’utiliser dans les trajets domicile-travail.

Supposons, ensuite, qu’une deuxième entreprise aux caractéristiques proches décide de ne pas offrir de vélo à ses employés. En comparant ces deux entreprises, il sera possible d’évaluer l’impact du vélo sur la santé des employés. Pour cela, il conviendra de distinguer, au sein de l’entreprise 1, les employés :

  • (1) qui auraient utilisé le vélo pour se rendre à leur travail, même en l’absence de cadeau de la part de leur entreprise ;
  • (2) qui se seraient mis à utiliser le vélo offert pour se rendre à leur travail, en remplacement de leur voiture ;
  • (3) qui refuseraient de se rendre à vélo au travail et continueraient d’utiliser leur voiture.

Du point de vue de la question initiale – le fait d’offrir un vélo à ses salariés permet-il d’améliorer leur santé ? –, c’est uniquement l’effet sur les individus de la deuxième catégorie – ceux qui changent leur comportement – qui est intéressant. Et contrairement à un essai clinique, les chercheurs n’ont pas la possibilité de choisir ex ante quels seront les participants à l’expérience. Angrist et Imbens ont alors développé une méthode économétrique sophistiquée, reposant sur le choix de « variables instrumentales », pour pouvoir isoler cet effet.