Le Big and Beautiful Bill
Au cœur de l’agenda législatif américain se trouve le « Big and Beautiful Bill » (littéralement, le « grand et beau projet de loi »), un projet de loi présenté par les républicains qui s’étend sur plus de mille pages.
D’un côté, il propose d’importantes baisses d’impôts : réduction du taux d’imposition des petites entreprises à 23 %, possibilités d’amortir immédiatement les dépenses de recherche et développement et de matériel, ainsi que des allègements fiscaux temporaires pour les pourboires, les heures supplémentaires et les intérêts de prêts auto.
De l’autre, il bouleverse plusieurs volets de la politique sociale. Le programme de prêts étudiants est entièrement repensé, avec la suppression de la plupart des formules actuelles de remboursement et la création de deux seules options, moins généreuses qu’aujourd’hui. L’assurance santé publique Medicaid fait l’objet de nouvelles conditions d’éligibilité strictes, notamment 80 heures mensuelles d’activité professionnelle ou de formation pour les adultes sans charge de famille. Le projet exige également un contrôle semestriel sur les bénéficiaires. Ces mesures entreraient en vigueur en 2029.
Enfin, le texte prévoit plus de 150 milliards de dollars pour le budget de la Défense, en particulier pour la construction d’un bouclier antimissile surnommé « Golden Dome » (Dôme d’or). Sont également mentionnés le renforcement des stocks d’armement, l’extension de la flotte navale et la sécurité aux frontières.
Les effets sur le marché obligataire et la note souveraine
Le coût élevé de ces mesures alimente les inquiétudes des investisseurs quant à la trajectoire des finances publiques américaines. En cumulé, les propositions de l’administration américaine creuseraient le déficit public.
Par ailleurs, l’agence de notation Moody’s, l’une des plus importantes au monde, a abaissé la note souveraine des États-Unis à la mi-mai, arguant d’un affaiblissement de la discipline budgétaire. La première économie du monde perd ainsi le fameux AAA, qui garantit une dette bon marché pour les États. Autrement dit, la dette américaine est perçue comme plus risquée, donc les investisseurs exigent des primes de risques plus fortes, ce qui fait grimper les taux d’intérêt.
Les obligations à trente ans émis par l’État américain (qui sont des titres de dette négociables), en particulier, sont passés au-dessus des 5,1 % de rendement annuel. À mesure que ces taux augmentent, les prêts immobiliers, les prêts à la consommation et les financements d’investissements des entreprises deviennent plus coûteux. En conséquence, toute l’économie américaine pourrait ralentir, ce qui ne serait pas de bon augure pour l’administration qui devra déjà lutter contre l’inflation provoquée par les conflits commerciaux.
La montée des droits de douane sur l’UE
Sur le front extérieur, l’administration américaine a menacé d’imposer des droits de douane de 50 % sur les importations en provenance de l’Union européenne. Initialement prévu pour le 1ᵉʳ juin, l’entrée en vigueur de cette mesure a finalement été reportée au 9 juillet, le temps de tenter de relancer des négociations qui restent au point mort. Répondant à des accusations de pratiques commerciales déloyales, Washington entend ainsi mettre la pression sur Bruxelles.
En effet, dans le cadre d’analyse de l’administration républicaine, le déficit de 250 milliards de dollars vis-à-vis de l’UE ne peut provenir que d’une rupture d’équité, provoquée par exemple par la TVA ou la régulation européenne.
Ce durcissement des droits de douane fait craindre le retour à une guerre commerciale transatlantique : les secteurs du luxe, de l’automobile et de l’agroalimentaire, fortement dépendants du marché américain, pourraient subir de lourdes pertes. À plus long terme, la confiance des entreprises dans la stabilité des échanges internationaux risque d’être ébranlée, ce qui pèse sur l’investissement et la croissance, tant aux États-Unis qu’en Europe.
Encore une fois, les effets de long-terme dépend de l’application effective de ces droits de douanes : ont-ils une vocation transactionnelle (temporaires, pour servir de levier pour négocier de nouveaux accords commerciaux) ou une vocation transformationnelle (permanents, pour changer durablement la relation économique entre l’Europe et les États-Unis) ?
L’administration marche sur des œufs, et se retrouve, comme déjà plusieurs fois au cours des dernières mois, entre deux chaises : il faut laisser penser aux investisseurs que les droits de douanes sont temporaires, pour que les marchés ne paniquent pas, mais laisser penser à l’UE qu’ils seront permanents si un terrain d’entente n’est pas trouvé. Une situation délicate, qui a pour l’instant plus apporté d’instabilité que de véritables bénéfices.