Nos comportements en matière d’argent sont-ils rationnels ?

la finance pour tous

D’un point de vue psychologique, l’argent est un objet qu’on pourrait qualifier d’explosif : c’est une sorte de dynamite émotionnelle. Chacun de nous entretient avec l’argent un rapport chargé de beaucoup d’affectivité et d’émotions. Nos pensées et nos actions à l’égard de l’argent restent souvent secrètes et constituent même parfois un tabou. Beaucoup de nos attitudes face à l’argent sont inconscientes. Et irrationnelles. Ce caractère irrationnel de nos comportements a donné lieu au développement d’une discipline, l’école comportementale, qui cherche à sonder le secret de nos réactions qui nous éloignent de la figure de l’homo economicus chère aux économistes classiques. 

Nous n’avons pas clairement conscience des raisons qui nous font épargner, ou parfois dépenser de manière frénétique. Ce qui guide nos comportements avec l’argent, c’est le grand bal de nos passions : notre besoin d’être reconnu, nos impulsions amoureuses, notre désir d’accumuler, notre désir de plaisir immédiat à travers l’achat de consommation, ou celui de double plaisir lorsque nous épargnons (une première fois immédiatement à travers le sentiment de sécurité que l’épargne procure, et une seconde fois ultérieurement au moment où on « cassera la tirelire » pour dépenser pour soi-même, pour réaliser un projet longtemps rêvé, ou encore pour transmettre à ses enfants).

Depuis notre enfance, beaucoup de moments-clés de notre vie sont reliés à des événements joyeux ou douloureux en relation avec l’argent : premier argent de poche reçu, parfois petits vols dans le porte-monnaie des parents, premier salaire reçu en lien avec notre travail, premier cadeau offert ou reçu dans le cadre d’un premier amour, achat d’un appartement ou d’une maison, gain au jeu, création d’une entreprise avec un ou des amis, héritage reçu au décès d’un parent, etc. Notre relation avec l’argent est donc colorée, et parfois gravement « barbouillée », voire perturbée par les émotions plus ou moins violentes que nous avons ressenties lors de ces événements.

Épargne et approche comportementale

Le fait que les épargnants ne se comportent pas de façon rationnelle se vérifie pratiquement dans tous les pays.

Au Royaume-Uni, on a pu constater que seulement 51 % des salariés s’inscrivent à des plans de retraite en entreprise qui pourtant sont financés intégralement par les employeurs, et ne coûtent rien aux salariés. Aux États-Unis, où les retraites collectives sont très faibles, la plupart des salariés n’épargnent pas suffisamment – un tiers n’épargnent même pas du tout. Les salariés qui épargnent ne le font qu’à hauteur de 6 % de leur salaire. Et quand ils épargnent, ils le font mal, investissant une part massive dans les actions de leur entreprise. Autre biais fréquent qui se retrouve aussi en France, la surestimation de son épargne et la sous-estimation de sa durée de vie, qui pousse les retraités américains à dépenser trop rapidement leur épargne, et les Français à préférer un investissement qui débouche sur un capital plutôt que sur une rente viagère. En France, d’autres constats ont été établis tels que l’absence fréquente de détention d’actions en direct ou indirectement (OPC, assurance vie en unités de compte) ou une diversification très insuffisante des placements financiers effectués. Pour bien épargner, il faut donc nous méfier un peu de nous mêmes. 

Le manque d’information et l’aversion au risque des épargnants ne suffisent sans doute pas à expliquer ces phénomènes. Les choix sont affectés par des comportements très largement partagés mis notamment en évidence par différents chercheurs, appartenant à l’école dite de « l’approche comportementale ».

Entre autres choses, nous avons une tendance insuffisante à nous projeter dans l’avenir et à planifier. Nous avons également tendance à avoir une mémoire sélective. Les pertes que nous subissons comme épargnant nous marquent plus que les gains. Autre « biais » classique, celui qui consiste à prolonger des tendances de court terme en achetant des titres financiers qui ont beaucoup monté ou en vendant ce qui a baissé ; ou encore le « biais de familiarité« , qui revient à favoriser les sociétés les plus connues avec une forte dimension affective, ou encore « le biais de confirmation« , à travers lequel les investisseurs retiennent uniquement les informations qui corroborent leurs décisions en faisant abstraction des données allant à leur encontre. Cette école de pensée a été reconnue en 2002 avec l’attribution du prix Nobel d’économie à Daniel Kahneman, qui fut un pionnier en la matière.

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