Canicule : les effets des vagues de chaleur sur la productivité du travail

la finance pour tous

Les récentes vagues de chaleur, au-delà d’affecter profondément notre bien-être et notre santé, ont un impact conséquent sur notre travail et sur notre productivité. De nombreux articles de recherche et rapports ont tenté d’étudier ce lien qui, sur le long-terme, peut avoir des effets économiques importants. L’OCDE, dans un rapport de décembre dernier, ainsi que l’article de Lai et co-auteurs (2023) proposent un tour d’horizon de cette question.

Quel est l’impact biologique des températures extrêmes ?

Il existe un certain nombre de facteurs biologiques entre température et productivité du travail. Lorsque la température dépasse les 35°C, et particulièrement lorsqu’il fait humide, le corps humain ne peut plus dissiper la chaleur. Le vent peut permettre de neutraliser légèrement cet effet. De plus, l’exposition à une chaleur prolongée provoque une tension et une inflammation cardiovasculaire, de l’asthme, et aggraver les maladies respiratoires existantes.

Le froid a également un effet : il entraine des changements circulatoires et métaboliques qui dépriment le système immunitaire. L’exécution des tâches nécessitant de la force, de la vitesse et de la dextérité est rendue plus difficile.

Les fœtus et les nourrissons sont particulièrement sensibles, et les températures extrêmes peuvent altérer leur métabolisme de manière permanente.

Enfin, les effets des températures ne sont pas que physiques, mais également mentaux : baisse de l’activité électrique du cerveau, baisse de la vitesse de transmission entre neurones, perturbation des processus cérébraux (mémoire, apprentissage) … Des effets indirects sur la productivité, via l’humeur ou le bien-être, sont également à considérer.

Canicule : le lien entre température et production

De nombreuses études portent leur attention sur la relation entre température et production, à l’échelle de pays. En ordre de grandeur, on peut dire qu’une augmentation de 1°C fait diminuer la production d’environ 2 %. Les pays riches semblent un peu moins touchés que les pays pauvres, car plus à même d’investir pour s’adapter aux hausses de températures (via par exemple des climatisations). De manière générale, la relation entre température et production semble suivre une courbe en U inversé : des températures trop basses ou trop hautes font perdre de la productivité, et il existe une température optimale, mais dont la valeur précise est difficile à estimer (entre 20 et 25 degrés).

Relation entre température et production

Des études de cas très spécialisées permettent de préciser les effets.

Par exemple, en étudiant la production de travailleurs chinois dans une usine de gobelets en carton, les économistes montrent que les températures au-dessus de 35 degrés font perdre 8,5 % de productivité, et les températures en dessous de 16 font perdre 11 % de productivité.

Le froid peut parfois être donc pire que la chaleur. De nombreuses autres études existent, explorant plein de cas dans de nombreux pays différents, et les ordres de grandeurs semblent stables.

La température extrême peut faire chuter la productivité au travail, mais elle peut également faire chuter l’offre de travail : hausse de l’absentéisme, baisse du nombre d’heures effectuées…

Elle impacte également la productivité mentale : par exemple, aux États-Unis, dans le cadre d’un examen de mathématiques, chaque degré au-dessus de 21 faisait chuter les notes de 0,22 %.

Un effet très hétérogène des températures extrêmes

Par le profil de salarié

Les températures extrêmes ont des effets redistributifs. Les travailleurs plus pauvres souffrent en général plus des températures extrêmes, car ils sont plus exposés. L’effet par genre est contesté, il n’est pas bien clair que les femmes ou les hommes soient plus affectés que l’autre genre aux températures extrêmes. Par contre, certaines ethnies, noires ou hispaniques aux États-Unis par exemple, semblent plus exposées, là-encore par leur métier, ou leur lieu d’habitation.

Par la taille de l’entreprise

On observe également une hétérogénéité entre les entreprises en fonction de leur taille. Les petites entreprises sont les plus durement touchées que les moyennes ou les grandes. En effet, les petites entreprises n’ont pas la capacité d’investir dans des infrastructures adéquates, ont une plus faible flexibilité dans la gestion de leur main-d’œuvre, et ont une capacité limitée à mettre en œuvre des formations ou des nouvelles organisations du travail.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les plus grandes entreprises (plus de 250 employés) connaissent une augmentation de leur productivité pendant les années de stress thermique, potentiellement induite par les opportunités liées à la sous-performance des concurrents plus petits. 

Canicule et productivité

Par secteur d’activité

Les effets sont très hétérogènes par secteurs. Par exemple, les estimations de l’OCDE montrent que les secteurs de l’hébergement et de la restauration sont particulièrement touchés, potentiellement à cause d’une baisse de la demande. En revanche, le secteur des services est peu sensible à ces épisodes de fortes températures, ce qui est cohérent avec la nature du travail, souvent en intérieur, et donc avec la climatisation. Curieusement, plusieurs études semblent indiquer que le secteur agricole semble peu touché, car très intense en capital, et moins en travail, que d’autres secteurs.

Comment s’adapter aux températures extrêmes ?

Il existe un certain nombre d’indices dans la capacité d’adaptation du corps humain aux températures extrêmes. Une étude sur la performance des archers professionnels chinois montre que ceux qui s’entraînent dans des conditions de températures élevées peuvent neutraliser 70 % des impacts des vagues de chaleur sur leur performance. Cela étant, l’OCDE précise que ces adaptations ont des limites : au-delà de 40 °C, chaque degré supplémentaire a des impacts plus forts, et plus difficilement soutenables.

De nombreuses solutions externes peuvent donc être proposées. Les climatiseurs, les radiateurs, ou les lampes à LED sont particulièrement efficaces pour contrer les températures extrêmes. L’OCDE met cependant sur la table d’autres mesures d’infrastructures, organisationnelles, ou économiques, pour faire face aux épisodes de stress thermique. On peut notamment citer les toitures végétales, les adaptations des horaires de travail, des évolutions d’urbanisme, voire la migration saisonnière pour certains travailleurs.

L’impact de la récente vague de chaleur

Selon une étude d’Allianz Research, la récente vague de chaleur aura des effets notoires sur le PIB des pays européens. La France serait relativement épargnée, avec une baisse de 0,3 points de PIB, soit environ 9 milliards d’euros. L’Italie ou l’Espagne, pays particulièrement touchés par les canicules, pourraient perdre respectivement 1,2 et 1,4 points de PIB. Si ces vagues de chaleur devenaient régulières voire s’intensifiaient, les effets économiques pourraient donc être conséquents. Les effets de rattrapage post-canicule resteraient, malheureusement, limités. 

Corrélation n’est pas causalité – L’instant maths