Une nouvelle crise financière est-elle possible ?

la finance pour tous

Cette interview a été réalisée en 2016. Les propos tenus doivent donc être considérés en se plaçant dans le contexte de l’époque.

Dans son ouvrage La folie des banques centrales co-écrit avec Marie-Paule Virard, Patrick Artus, alors chef économiste de Natixis, nous expliquait quelles pourraient être les conséquences des politiques monétaires menées par les banquiers centraux.

Patrick Artus décrypte pour nous les mécanismes, susceptibles de déclencher une nouvelle crise financière qui pourrait être plus violente que les précédentes.

N’est-il pas étrange de parler de folie pour les banques centrales ?

On a vraiment voulu appeler ce livre La folie des banques centrales car nous pensons que les banques centrales font courir un véritable danger à l’économie.

Normalement et surtout depuis la dernière crise financière, les banques centrales ont deux objectifs :

  • un objectif macroéconomique : empêcher qu’il y ait de l’inflation et ramener celle-ci vers un objectif qui est partout d’à peu près 2 % ;

  • un objectif de stabilité financière : veiller à ce qu’il n’y ait pas de hausse trop rapide du crédit, des crédits immobiliers ou des cours boursiers, de déficit extérieur élevé, d’endettement trop important…tout ce qui pourrait amener à une crise financière.

Notre thèse est que les banques centrales n’ont en réalité pas du tout intégré ce deuxième objectif, la plupart des banques centrales de l’OCDE s’intéressent exclusivement à la stabilité des prix et à l’inflation. 

Or, l’inflation a beaucoup baissé et est maintenant très en dessous de 2 % et toutes les banques centrales ont mené des politiques extraordinairement expansionnistes pour ramener l’inflation à 2 %, oubliant la stabilité financière.

Ces politiques de quantitative easing sont simplement des politiques de création de monnaie (NDLR : il s’agit de monnaie « banque centrale » qui s’échange entre banques) : les banques centrales achètent des obligations sur les marchés financiers et payent en créant de la monnaie. On met donc de la monnaie en circulation qui se promène d’une classe d’actifs à une autre, pour des montants de plus en plus importants.

Ceci crée une énorme instabilité financière ; tous les jours les capitaux vont sur les marchés financiers des pays émergents puis sortent, les capitaux vont s’investir en actions puis sortent, ce qui se traduit par une augmentation considérable des cours boursiers puis par un effondrement des cours.

Cette création monétaire a créé une instabilité financière majeure qui devient contreproductive car, confrontés à cette variabilité très forte du prix des actifs, les investisseurs à la fin sont perturbés et ne vont plus investir dans des actifs dont les prix sont trop volatils.

Or, un des objectifs du quantitative easing est de faciliter le financement de l’économie et non de faire monter les prix.

Par ailleurs, les banques centrales pensent que si elles achètent les obligations des États, les autres investisseurs vont se reporter sur des actifs financiers plus risqués (comme des actions, des obligations d’entreprises). Mais comme les prix de ces actifs financiers plus risqués sont devenus eux aussi très volatils, cela décourage les investisseurs qui achètent alors des actifs financiers sans risque…

On est dans une situation aujourd’hui où les investisseurs ont été découragés  d’investir en actions et obligations d’entreprises. Ils reviennent vers des actifs refuges, ceux-là même qui sont achetés par la Banque centrale. C’est l’opposé de ce que l’on aurait souhaité avoir.

Pour conclure, dans un environnement macroéconomique où l’inflation est  faible, il faut que les banques centrales s’interrogent sur leurs objectifs.  La faiblesse de l’inflation s’explique par le fonctionnement du marché du travail, la baisse de la croissance mondiale,  la baisse des prix des matières premières… que les politiques monétaires ne peuvent évidemment pas corriger.

Les évolutions récentes en Europe sont très claires : on a de plus en plus de création monétaire. Mais cette monnaie (il s’agit de monnaie « banque centrale » qui s’échange entre institutions financières et non de monnaie au sens habituel de monnaie détenue par des opérateurs économiques – M1, M2, M3) NDLR) crée une énorme instabilité financière avec des conséquences très négatives sur l’économie réelle sans pour autant avoir de succès quant à  l’objectif d’inflation.

Le bilan de cette politique est donc extrêmement négatif. 

Les politiques monétaires expansionnistes : un échec incontestable ?

La déception face à ces politiques monétaires expansionnistes est très forte dans la zone euro et au Japon, notamment à cause de leurs faibles effets sur les économies réelles.

Pour l’expliquer, revenons à la question centrale : quels sont les canaux de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle ?

Le canal le plus traditionnel est le canal du crédit bancaire.

Lorsqu’on baisse les taux d’intérêt et que l’on donne de la liquidité aux banques, celles-ci prêtent davantage. Ce canal n’existe pratiquement plus car on l’a tellement utilisé, depuis les années 1990, que les taux d’endettement des entreprises et des ménages sont extrêmement élevés.

Le deuxième canal de transmission est le canal de la richesse.

Quand on crée de la monnaie, les investisseurs achètent des actifs financiers ou immobiliers, ce qui fait monter les prix de ces actifs. Cette augmentation de la richesse (effet de richesse) pousse les ménages à consommer davantage et les entreprises à investir davantage.

Ces effets de richesse ont été visibles aux États-Unis et au Royaume-Uni. Un des facteurs, qui a fait rebondir ces économies, ce sont ces effets de richesse sur les actions et sur l’immobilier au Royaume-Uni qui ont poussé la consommation des ménages, contribuant à la reprise économique.

Dans la zone euro, on n’a jamais vu de tels effets de richesse, même lorsque les cours des actifs montent. Une des raisons tient à notre système de retraites publiques par répartition alors que les anglo-saxons ont des retraites organisées par des fonds de pensions. Or, si les fonds de pension investissent en actions, quand les cours boursiers montent, la valeur des retraites augmente ce qui soutient la consommation.

Le troisième effet de transmission est le canal du risque.

Comme les banques centrales achètent des actifs peu risqués, les autres investisseurs sont obligés d’acheter des actifs risqués. C’est bien pour le financement de l’économie car cela fait baisser les primes de risque. Mais comme on l’a vu tout à l’heure, les politiques de quantitative easing ont créé une énorme variabilité des prix de ces actifs risqués. Les investisseurs sortent alors des investissements à risques pour revenir à des investissements sans risques. Donc le canal du risque a marché mais ne marche plus du tout. 

Il reste le canal du taux de change.

Déclenché à la fois dans la zone euro et au Japon, c’est le seul qui marche.

Quand vous créez de la monnaie, une partie de cette monnaie s’investit à l’étranger en devises ce qui fait baisser votre change. On a eu donc une dépréciation de l’euro et une dépréciation du yen qui ont eu des effets positifs. Mais ce sont des effets positifs « une fois pour toutes » car, une fois la monnaie dépréciée, ces effets s’épuisent progressivement.

On a eu au Japon un effet positif sur les exportations, lié la baisse du yen qui aujourd’hui commence à disparaitre, comme dans la zone euro. On ne peut pas déprécier sa monnaie tout le temps. On a bien eu un effet du canal du change mais celui-ci est en train de disparaitre progressivement.

Le bilan est extraordinairement faible, aucun des canaux de transmission ne fonctionne vraiment.

Comme ce bilan macroéconomique est faible, la Banque centrale européenne et la Banque du Japon continuent à augmenter la taille de leurs politiques. Mais si l’on sait très bien faire une politique de quantitative easing, on ne sait pas en sortir.

Car si vous en sortez, cela provoque une remontée très forte des taux d’intérêt avec des risques majeurs pour tous les agents économiques endettés qui paieront leurs dettes plus cher. Tous les investisseurs qui ont acheté des obligations avec des taux d’intérêt bas vont faire d’énormes moins-values en capital (pensez aux assureurs-vie en Europe ou aux banques japonaises). On crée donc une énorme irréversibilité de ces politiques quand on les utilise longtemps car on n’ose pas assumer les effets de la remontée des taux que ces politiques feraient apparaitre.

Pour conclure, on a fait beaucoup de création monétaire avec un effet très déstabilisant sur les marchés financiers, beaucoup de volatilité, et une efficacité macroéconomique en Europe et au Japon extraordinairement faible. La difficulté, une fois que l’on a commencé, est de savoir en sortir.  

L’inefficacité des politiques monétaires condamne-t-elle tout retour à la croissance ?

Les gouvernements et les banques centrales auraient dû penser que ces politiques monétaires sont avant tout des politiques contra-cycliques.

Une politique budgétaire ou monétaire expansionniste doit être utilisée sur des périodes courtes pour lisser le cycle économique. Ce ne sont pas des politiques structurelles, on ne peut pas se reposer sur des déficits publics ou de la création monétaire pour « fabriquer » de la croissance à moyen terme.

Le cas américain est très significatif. On a commencé aux États-Unis le quantitative easing fin 2008, puis on l’a arrêté fin 2014. Mais on ne l’a pas inversé car la liquidité créée est toujours là, les taux d’intérêt sont toujours extraordinairement bas et aujourd’hui l’économie américaine ralentit. La politique monétaire est restée extraordinairement expansionniste, alors même que l’économie était en croissance depuis 2010.

Et on a fait la même erreur avec les politiques budgétaires. On n’a pas osé resserrer les politiques budgétaires si bien que l’on a des niveaux de dette publique qui découragent toute politique budgétaire.

Il faut comprendre que l’on s’est mal servi de ces politiques. C’est une de nos critiques les plus importantes ; les États et les banques centrales ont utilisé un principe de précaution, en ne voulant rien « resserrer », pour ne pas contrarier la reprise économique.

Mais dans ces cas-là, on ne sort jamais de ces politiques expansionnistes. La prochaine fois qu’on a besoin de les utiliser, elles ne sont plus efficaces.

Voyez le cas américain.  On a tous les signes aujourd’hui d’une économie ralentie, avec des taux d’intérêt de la réserve fédérale à 0,5 % et une dette publique à 100 % du PIB. C’est peut-être un simple cycle, et non une grande crise comme en 2009, mais on devrait être capable de faire des déficits publics et de baisser le taux d’intérêt sauf qu’on ne s’est pas redonné de marges de manœuvre. On n’a plus aucune marge manœuvre, aussi bien  pour les politiques monétaires que budgétaires, devant le ralentissement de l’économie.

Qu’est-ce que l’on peut faire ?

Dans la zone euro, les gains de productivité sont de 0,5 % par an, ce qui est un blocage « monstrueux » de la croissance, surtout dans une situation de vieillissement démographique.

Il reste les politiques pour essayer d’avoir plus de gains de productivité en améliorant les systèmes d’éducation, en ayant davantage d’entreprises qui innovent, en ayant davantage d’investissements dans la modernisation du capital. La zone euro a beaucoup moins investi en nouvelles technologies dans les entreprises qu’aux États-Unis. On a des politiques structurelles à mener pour moderniser l’économie et avoir davantage de croissance.

Mais sur les politiques contra-cycliques de lutte contre le ralentissement économique, on n’a plus aucun moyen d’action.

Je reviens sur mon analyse de l’irréversibilité. On fait des politiques de création de monnaie, on n’ose pas en sortir car quand on a eu des taux d’intérêt très bas très longtemps, on n’ose pas faire remonter les taux.

Au moment où on devrait être capable de faire des politiques expansionnistes, on ne peut pas les faire. On a créé une complète irréversibilité de ces politiques expansionnistes, donc on s’est durablement privé d’une capacité d’intervention contra-cyclique dans les pays de l’OCDE.

On a une situation dans laquelle on aura des cycles économiques beaucoup plus violents que dans le passé. C’est une des critiques majeures de ce qu’ont fait les Banques Centrales et les États qui  n’ont pas pensé à récréer les marges de manœuvre dont on aura besoin. 

    2 commentaires sur “Une nouvelle crise financière est-elle possible ?”
    1. Un article publié en 2016, qui ne peut PAS etre mise à jour sans dénaturer le fond du propos, qui de fait chronoloquement est devenu faux. En effet, en 7 ans depuis cet interview et une crise mondiale imprévue (non financière), les banques centrales ont fait le job. Prévoir qu’on aura des cycles économiques beaucoup plus violents est du niveau fac d’éco 1ère année. Celui qui dira quand et comment, c’est à dire prévoir les conditions immédiates de façon a les prévenir, aura le prix nobel.

    2. Une « these » , sans doute, mais dont l’exposé est plus lumineux pour l’auteur que pour le lecteur qu’il est censé éclairer: qu’est ce qu’acheter des obligations ? Comment exactement cela crée t-il de la monnaie? etc. Des points presentés comme cruciaux mais abordés sans être vraiment explicités.. l’auteur illustre finalement assez bien cela même qu’il prétend dénoncer: la difficulté des acteurs de l’économie financière à sortir de leur bulle… À moins que…(« ce qui se conçoit bien … »)

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