Le secteur automobile européen en grande difficulté

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Rien ne va plus pour le secteur automobile, pourtant l’un des derniers secteurs industriels sur le vieux continent. La démission de Carlos Tavares de Stellantis, et les chiffres toujours plus catastrophiques annoncés par les constructeurs ont de quoi faire frémir. Mais comment expliquer ce déclin si soudain ? Quelles en sont les causes ? Existe-t-il des solutions pour renverser la tendance ?

L’industrie automobile en déclin

La plupart des marques sont touchées par cette dynamique alarmante. Volkswagen enregistre -4,2 % de ses ventes sur un an, Porsche -9,6 %, Audi -11,3 % et Stellantis (Peugeot, Citroën, Opel, Fiat…) -14 %. La marque au losange – Renault – semble presque miraculée, avec une légère baisse de 0,6 %.

Même les véhicules électriques sont en recul, avec une baisse de 11 % cette année. Les cours de bourse suivent logiquement cette pente baissière : le cours de Stellantis s’est effondré de plus de moitié par rapport à son pic de mars dernier.

L’empire européen aux 2 000 milliards d’euros de chiffres d’affaires est donc au bord de la rupture. Employant directement et indirectement presque 14 millions de personnes, l’automobile permet à l’UE de générer près de 100 milliards de surplus commercial par an. C’est donc l’un des cœurs de l’industrie européenne qui est touchée par cette crise.

Part de marché des constructeurs de voitures particulières

Pourquoi les ventes des constructeurs européens chutent-elles ?

Automobile : une stratégie haut de gamme non payante

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette dynamique. L’une d’entre elles réside dans la stratégie des constructeurs, qui ont misé sur le haut de gamme afin d’accroître leurs marges, notamment dans le domaine de l’électrique. Cette approche s’est avérée être un calcul à court terme. En effet, malgré les progrès techniques sur les batteries, ceux-ci n’ont pas été exploités pour réduire le coût des véhicules, mais au contraire pour fabriquer des modèles plus grands, mieux équipés et donc plus onéreux. En conséquence, le prix des véhicules neufs n’a jamais été aussi élevé. Les normes de sécurité, de plus en plus exigeantes, contraignent également les constructeurs à intégrer de l’électronique coûteuse.

L’équipement automobile des ménages : un resserrement des débouchés

En France et en Europe, les débouchés pour les constructeurs semblent de plus en plus étroits.

D’un côté, la voiture est désormais presque omniprésente chez les ménages en ayant besoin. La vente de nouveaux véhicules est donc ralentie, le taux de remplacement d’une voiture étant faible. À cette atonie s’ajoute depuis quelques années l’inflation, accroissant les difficultés financières de nombreux ménages, et les poussant à conserver leurs véhicules plus longtemps ou à se tourner vers le marché de l’occasion.

D’un autre côté, une partie de plus en plus importante de la population, en particulier les jeunes urbains, se désintéresse de la voiture. Ceux-ci privilégient les transports en commun, le vélo, ou encore la location ponctuelle de véhicules (par exemple pour les vacances).

Une transition vers l’électrique à marche forcée et mal anticipée

Au-delà des erreurs de stratégie et du manque d’anticipation des constructeurs, les pouvoirs publics portent également une part de responsabilité. L’échéance de la fin de la production de véhicules thermiques d’ici à 2035, votée par le Parlement européen, est redoutée par l’ensemble du secteur, qui n’était pas préparé à une mutation si rapide.

Les craintes de fermetures d’usines en Europe se font de plus en plus vives, et de nombreux constructeurs envisagent des délocalisations pour rester compétitifs face à une concurrence chinoise très agressive. Selon la fédération des constructeurs automobiles allemands (VDA), un sous-traitant sur trois en Allemagne envisage de délocaliser sa production (soit près de 270 000 emplois). Volkswagen anticipe la fermeture potentielle de 3 usines sur 10 en Allemagne dans les prochaines années si aucune amélioration n’est trouvée. Un retour sur l’objectif de 2035 semble cependant peu probable au vu des investissements déjà engagés (plus de 150 milliards d’euros).

Par ailleurs, le seuil autorisé de CO2 par véhicule et par kilomètre va passer de 95 à 81 grammes en 2025, alors que de nombreux constructeurs peinent à vendre suffisamment de modèles électriques pour faire baisser leurs émissions moyennes. Des amendes lourdes (2 milliards d’euros pour Renault, 8 milliards pour Volkswagen) sont déjà anticipées. Les constructeurs anticipent donc de réduire volontairement leur production de véhicules thermiques pour respecter ce nouveau seuil, ce qui entraînerait une destruction d’emplois.

En France, l’État a réduit depuis plus d’un an ses aides à l’acquisition de véhicules électriques, ce qui complique encore l’accès des ménages les plus modestes à ces technologies.

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Pression concurrentielle de la Chine et protectionnisme américain

La concurrence chinoise est au centre des débats depuis plusieurs années. Après des années de transformation de son outil industriel, la Chine dispose aujourd’hui d’un large éventail de véhicules électriques performants et moins onéreux que leurs homologues européens. Les coûts de l’énergie, de la main-d’œuvre et de la fabrication de composants électroniques et de batteries y sont plus faibles. L’Europe a dans le même temps laissé s’échapper de nombreux savoir-faire vers l’Asie, et n’est plus en mesure de produire à grande échelle l’électronique ou les batteries sur son propre sol.

Le marché américain, essentiel pour les marques allemandes, pourrait également devenir inaccessible, en particulier en cas de retour d’une politique protectionniste (par exemple sous une administration Trump). L’horizon international est donc peu favorable pour les exportations du secteur automobile européen.

Quelles solutions pour l’industrie automobile ?

L’Europe ne pourra vraisemblablement pas surmonter son retard en quelques années seulement. Il est possible que cela exige au moins une décennie et des soutiens publics significatifs afin de renforcer durablement l’industrie automobile. À ce titre, la construction de nouvelles usines de batteries sur le Vieux Continent et la mise en place de procédés industriels plus performants pourraient contribuer à atténuer l’impact des coûts de main-d’œuvre. De même, la relocalisation de certaines étapes de production, notamment pour les composants électroniques stratégiques, pourrait s’avérer bénéfique.

La question des droits de douane sur les importations chinoises reste un sujet sensible pour l’Union Européenne, de tradition très libérale. Ils offriraient sans doute un peu de répit aux constructeurs locaux pour réorienter leur production et leur stratégie. Cependant, en plus des impacts négatifs pour le consommateur, des droits de douanes pourraient susciter des réactions adverses à l’international. Ils pourraient donc constituer une amorce à une guerre commerciale, déjà commencée par les États-Unis.

Sur le plan des stratégies industrielles, il apparaît que les constructeurs gagneraient à diversifier leur offre en proposant des véhicules électriques de formats plus modestes et à des tarifs plus abordables. Ces approches, visant par exemple des modèles entre 10 000 et 15 000 euros avec des équipements standards, pourraient toucher un public plus large et répondre à une demande émergente.

Enfin, la création de pôles industriels dédiés aux véhicules électriques, inspirés du modèle de coopération mis en œuvre par Airbus, pourrait aider l’Europe à renforcer sa base industrielle. En centralisant l’assemblage et en optimisant la sous-traitance, les constructeurs européens pourraient, au mieux, gagner en réactivité et en indépendance. Cette orientation pourrait contribuer à une industrie automobile plus résiliente, innovante et moins sensible aux importations de composants critiques.