Quelle politique monétaire ?

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Cet article et l’ensemble de ceux composant ce dossier consacré à la crise des subprimes ont été rédigés entre 2008 et 2010. Ils doivent être considérés en se plaçant dans le contexte de l’époque.

La FED n’hésite pas à baisser ses taux directeurs. La BCE semble plus réticente. D’où viennent ces différences ? Qui a tort ? Qui a raison ?

En août 2007, les Banques centrales des États-Unis (FED), d’Europe (BCE) et d’Asie, ont procédé à des injections massives de liquidités sur le marché interbancaire pour prendre la place des banques qui ne voulaient plus se prêter de l’argent entre elles.

Elles ont joué en urgence un rôle de « prêteur en dernier ressort » pour éviter le déclenchement d’une crise bancaire et financière généralisée. Les montants injectés ont été considérables : 330 milliards de $, soit plus qu’après le 11 septembre 2001. D’autres injections de même nature mais de montants plus limités ont eu lieu à l’automne. Il s’agit de prêts à court ou même très court terme.

A partir de septembre, la FED a mené une politique active de baisse de son principal taux d’intérêt directeur. En un peu plus d’un trimestre ce taux est passé de 5,2 % en septembre 2007 à 3 % fin janvier 2008. De son côté la BCE a laissé son principal taux directeur inchangé à 4 %.

Pourquoi de telles différences de politique monétaire ?

Parce que les deux banques centrales n’ont pas la même appréciation de la situation économique. Aux États-Unis, la FED ouvre les vannes du crédit devant le ralentissement de la croissance, l’impact de la crise immobilière et financière, les risques de récession. Elle considère que le risque d’inflation passe au second rang.

Au contraire, la BCE considère que le risque concernant le ralentissement de l’activité n’est pas si élevé qu’aux États-Unis ; la demande à la fois intérieure et extérieure devrait continuer de soutenir la croissance.

La BCE considère que les fondamentaux économiques de la zone euro demeurent solides et que l’économie de la zone euro ne présente pas de déséquilibres majeurs: la rentabilité des entreprises est élevée. Grâce à l’amélioration des conditions économiques et à la modération salariale, l’emploi et le taux d’activité ont augmenté de façon significative et le taux de chômage est revenu à des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis vingt-cinq ans. La croissance de la consommation et de l’investissement devrait par conséquent continuer de contribuer positivement à l’expansion économique.

En revanche, côté inflation, la BCE estime qu’il continue à y avoir un risque de hausse des prix à moyen terme, dans un contexte de croissance très vigoureuse de la monnaie et du crédit. Elle dit rester vigilante, notamment vis-à-vis des évolutions de salaires, alors même que les hausses de prix à la consommation ont été jusqu’ici surtout dues aux prix de l’énergie et des produits alimentaires.

Mais pas tant de différence que ça !

Au fond, les taux d’intérêt pratiqués par la BCE ne sont pas si restrictifs compte tenu de la hausse enregistrée de l’inflation : l’indice des prix à la consommation de la zone euro s’est envolé pour se situer largement au-dessus de l’objectif de la BCE d’une inflation légèrement inférieure à 2%. L’inflation en janvier a progressé en rythme annuel au rythme record de 3,2%. Dans un tel contexte, la BCE aurait sans doute augmenté son taux directeur si la crise des subprimes n’était pas intervenue.

En outre, si la croissance continue à ralentir, il n’est pas certain que la BCE ne soit pas amenée à baisser ses taux directeurs. Les prévisions de croissance ont été réajustées en baisse par la Commission européenne en février 2008 (de 2, 2 % à 1, 8 %).

L’injection massive de liquidités par le biais d’une politique de taux d’intérêt faibles est-elle efficace et appropriée?

Certains doutent de sa réelle efficacité.

Selon le nouveau directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, la politique monétaire demeure la première ligne de défense. Mais son efficacité risque d’être limitée : « Il se peut qu’elle ne réussisse pas à stimuler l’investissement et la consommation aussi vite qu’elle le fait d’ordinaire ». Les banques qui ont subi de lourdes pertes en capital, pourraient utiliser la baisse des taux des Banques centrales avant tout pour consolider leurs bilans et non pas pour répercuter cette baisse dans leur conditions de crédit (Financial Times, 4 février 2008).

Une crainte différente est exprimée par certains économistes (Patrick Artus, Chef économiste à Natixis, Charles Wyplosz professeur à l’Institut d’études internationales de Genève par exemple).

Ils considèrent que l’injection massive de liquidités et le maintien de bas taux d’intérêt risquent de provoquer la formation d’une nouvelle bulle et de la crise suivante. Les liquidités sont un terreau favorable et même une condition pour la formation de l’euphorie et d’une mauvaise perception des risques caractéristique des bulles en formation. « Il faut arrêter ce cycle où la réaction aux crises déclenche la crise suivante avant qu’il soit trop tard, ce qui signifie avant que les politiques monétaires expansionnistes aient perdu la capacité d’éviter qu’une crise financière ne dégénère en déflation » affirme ainsi Patrick Artus.

Dans ces conditions, selon ces économistes, les banques centrales et en particulier la Fed devraient plutôt accepter une récession tout en évitant une crise bancaire.Accepter une récession n’est cependant pas une décision évidente. Car elle risque de générer des réactions en chaine négatives et non la restauration souhaitée de l’équilibre des échanges extérieurs et de l’épargne des ménages américains.

Il reste que les innovations financières semblent avoir donné aux marchés financiers un pouvoir de création de liquidités que les banques centrales ont beaucoup de mal à garder sous contrôle. Pour les banques centrales, agir en amont de la formation des bulles est certainement plus facile à dire qu’à faire. Mais la question est posée.

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