Shutdown à Washington : quand l’État fédéral s’arrête

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Depuis le 1er octobre 2025, les États‑Unis connaissent un arrêt partiel des activités de l’État fédéral, faute de lois de finances votées pour l’exercice budgétaire 2026. Les administrations « essentielles » continuent de fonctionner, mais près d’un million d’agents sont mis en congé sans solde (le furlough), tandis que d’autres travaillent sans être payés jusqu’au déblocage. Les arbitrages politiques portent notamment sur les dépenses de santé auprès des plus précaires.

Qu’est‑ce qu’un shutdown ?

Un shutdown est la conséquence mécanique d’une impasse budgétaire au Congrès. Aux États‑Unis, le budget fédéral est voté en douze lois de crédits sectorielles. Tant que ces lois, ou à défaut un financement transitoire (Continuing Resolution), ne sont pas adoptées par les deux chambres et promulguées, l’Antideficiency Act interdit aux agences de dépenser des fonds non autorisés. Elles doivent alors suspendre toutes les activités jugées « non essentielles ».

Les fonctions de sécurité nationale, le contrôle aérien, une partie de la justice fédérale et des prestations dites « obligatoires » (par exemple Medicare et Social Security) se poursuivent, mais avec des retards possibles, des équipes réduites et une charge accrue. Les parcs nationaux, une partie des musées, la délivrance de permis, de prêts ou de subventions, ainsi que la publication d’une large part des statistiques officielles, sont interrompus ou ralentis jusqu’à la fin de l’impasse.

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Pourquoi un tel évènement ? ST1

Le déclencheur du shutdown est institutionnel, mais la cause est politique. Le Congrès n’a pas adopté à temps les crédits pour 2026 ni un financement relais consensuel.

Dans l’épisode en cours, s’agrègent des désaccords sur les plafonds de dépenses, l’extension de l’Obamacare (dont le coût est de plusieurs centaines de milliards de dollars sur dix ans), certaines aides internationales et la conception même du périmètre de l’État fédéral.

Des shutdown se sont produits à de multiples reprises depuis la fin des années 1970, mais la plupart durent quelques jours. Deux épisodes récents servent de repères : octobre 2013 (16 jours) et l’hiver 2018‑2019 (35 jours, un record).

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Ces premiers jours de blocage ont-ils déjà des conséquences ?

Dans ces tout premiers jours, les effets les plus tangibles se concentrent sur les ménages engagés par l’État fédéral et sur certains services publics. Le programme WIC d’aide alimentaire aux femmes et jeunes enfants, qui dépend de crédits annuels, est typiquement exposé à des ruptures temporaires si l’impasse dure, de même que des activités d’agences sanitaires et scientifiques. La fermeture perturbe aussi la publication de données économiques clés. Par exemple, le Bureau of Labor Statistics, qui publie les chiffres de l’emploi chaque mois, a mis en suspend toute nouvelle publication jusqu’à nouvel ordre. Cela ajoute donc à l’incertitude déjà très palpable du blocage, de nombreux analystes anticipant des tensions sur le marché du travail.

Quelles perspectives de déblocage dans les prochaines semaines et mois aux USA ?

En théorie, trois voies de sortie existent. La première est l’adoption d’une résolution temporaire de financement, souvent de quelques semaines, qui rouvre les services le temps de finaliser des crédits annuels. La deuxième est la négociation d’un paquet budgétaire plus large, combinant niveaux de dépenses, éventuelles coupes ciblées et compromis programmatique. La troisième, moins fréquente, consiste à faire passer des crédits agence par agence.

L’histoire récente suggère que la pression politique croît avec la durée, à mesure que s’accumulent les retards administratifs, que les parcs et musées ferment, que des aides sont interrompues et que la publication des statistiques économiques est gelée. Dans l’épisode actuel, les positions des deux camps demeurent éloignées, mais le coût politique d’une fermeture prolongée incite souvent à un accord transitoire avant un compromis plus complet.

Que dit la littérature sur les conséquences macroéconomiques d’un shutdown ?

La recherche et l’évaluation publique convergent sur trois messages. D’abord, l’impact agrégé dépend bien entendu de la durée, avec des effets de seuil. Les chiffrages de référence montrent qu’une courte fermeture laisse des traces modestes sur le PIB trimestriel, souvent rattrapées ensuite, alors qu’une fermeture prolongée entraîne des pertes non récupérées. Après l’épisode 2018‑2019, le Congressional Budget Office a estimé un manque à gagner total d’environ 11 milliards de dollars, dont 3 milliards « perdus » définitivement, reflet d’activités privées annulées, de commandes non reconstituées et de dépenses des ménages durablement ajournées.

Ensuite, les effets passent par plusieurs canaux. Sur l’offre, l’arrêt d’une partie des administrations réduit immédiatement la production de services publics et retarde des décisions administratives clés (permis, prêts garantis, passation de marchés), avec des retombées sur la chaîne privée. Sur la demande, la mise en congé de centaines de milliers d’agents pèse sur la consommation courante jusqu’au versement des arriérés de paie. Sur l’information, la suspension de nombreuses statistiques officielles peut conduire ménages, entreprises et banques centrales à temporiser. Les estimations pour 2013 faisaient ressortir une baisse annualisée d’environ 0,25 point de PIB au dernier trimestre due à l’épisode, et une « perte » d’environ 120 000 emplois privés sur la première moitié d’octobre, liée au choc d’incertitude et aux retards administratifs.

Plusieurs équipes d’analyse économique estiment aujourd’hui qu’une semaine de fermeture retire de l’ordre de 0,1 à 0,2 point de croissance annualisée, avec des fourchettes plus élevées si l’hypothèse d’une fermeture s’éternisant un mois ou plus devait se matérialiser. À court terme, la publication différée de statistiques majeures complique le calibrage de la politique monétaire, ce qui est particulièrement handicapant pour la Federal Reserve, actuellement tiraillée dans sa prise de décision, et mise sous pression constante de l’exécutif.

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En somme, un shutdown relève moins d’un effondrement instantané que d’une érosion progressive de l’économie américaine. S’il venait à durer, la perte d’activité privée s’accumulerait, l’incertitude prendrait racine, et la plus grande économie du monde engrangerait des pertes irrécupérables.