Le marché mondial de l’art a approximativement la taille du marché des jeux vidéo (consoles et jeux), il s’agit donc d’un secteur qui a son importance. Au niveau mondial, ce marché emploie plus de 3 millions de personnes.
Le marché de l’art, en phase avec le reste de l’économie mondiale
Le marché est estimé à 65 Mds de $ en 2023 par UBS et l’institut Arts Economics. Il est en recul de 4 % par rapport à l’année précédente. En termes de volume, cela correspond à 39,4 millions de transactions. Dès lors, une œuvre d’art est vendue en moyenne au tarif de 1 650 dollars.
Marché de l’art : des transactions à haut montant
Il faut nuancer la valeur moyenne de 1 650 dollars, car le marché de l’art révèle des disparités très fortes. Ainsi, dans le cadre des enchères, les transactions de moins de 5 000 dollars représentent 70 % du volume, mais seulement 2 % de la valeur. D’un autre côté, les transactions de plus de 1 million de dollars représentent moins de 0,5 % du volume mais 55 % de la valeur.
C’est d’ailleurs le segment des ventes supérieures au million de dollars qui progresse le plus rapidement sur longue période. Sur la période 2013-2023, la valeur des ventes d’art haut de gamme aux enchères a diminué de seulement 1 %, alors que le marché de l’art évalué à moins de 50 000 $ s’est contracté de 27 %.
Fluctuation du marché de l’art
Le marché de l’art est étroitement lié à l’évolution macroéconomique mondiale. A titre d’exemple, citons les années 2009 et 2012, affectées respectivement par la crise des subprimes et la crise des dettes souveraines. Entre 2014 et 2016, le marché a reculé en raison de l’incertitude qui pesait sur l’avenir de l’économie mondiale. Une baisse très prononcée a également eu lieu en 2020, année de la crise sanitaire. En valeur, les transactions dans le marché de l’art ont reculé de 22 % entre 2019 et 2020. L’achat d’une œuvre d’art n’étant pas « vital », il est très sensible à l’environnement global.
Le trafic d’art
Une partie considérable du marché serait clandestine. Selon un rapport de l’UNESCO publié en 2020, le trafic d’œuvres d’art est devenu le troisième plus important au monde après celui de la drogue et des armes, générant un chiffre d’affaires annuel estimé à 16 Mds de $ (soit 22 % du marché total) qui s’ajouterait aux montants mentionnés plus haut.
L’art serait aujourd’hui le premier canal de recyclage de l’argent sale : une toile laisse moins de traces qu’une montagne d’argent, on peut la déplacer facilement et c’est un investissement relativement sûr…
De manière générale, le marché de l’art est caractérisé par un manque de transparence considérable, qui est à l’origine de nombreux transactions frauduleuses.
Le scandale le plus récent date de 2022, lorsque le commerce illégal entrepris par Inigo Philbrick a été découvert. Son stratagème consistait (entre autres) à vendre plus de 100 % d’une œuvre d’art à plusieurs investisseurs, à utiliser certaines œuvres comme garantie sans l’accord de leurs co-propriétaires et à augmenter la valeur de certaines pièces en falsifiant des documents… Le tout aurait coûté 86 millions de dollars à ses victimes.
La domination américaine du marché de l’art
Le marché de l’art est dominé par les États-Unis qui représentent 42 % des ventes au total. Viennent ensuite la Chine (19 %) et le Royaume-Uni (17 %).
Au cours des dix dernières années, la Chine s’est imposée comme un acteur de premier plan (sa part n’était que de 8 % en 2016). Cette progression s’est faite au détriment du Royaume-Uni, qui pourrait voir sa position encore plus affaiblie en raison du Brexit.
En ce qui concerne les circuits, il en existe deux : les galeries d’art (56 %) et les enchères (44 %). La part des enchères tend à augmenter dans les périodes fastes car les acheteurs deviennent plus nombreux.
Le marché de l’art est dominé par l’art contemporain, c’est-à-dire la production artistique de 1945 à nos jours. Cette section représente à elle seule 55 % du marché en 2023. Néanmoins, l’enchère la plus élevée en 2023 a concerné le tableau « Femme à la Montre » (1932) de Pablo Picasso. Elle a été adjugée pour un montant de 139 millions de dollars au cours d’une enchère à New York.
Que disent les économistes sur les œuvres d’art ?
Au XVIème siècle, Jean Bodin affirme que le marché des œuvres d’art est essentiellement tiré par la demande, avec en filigrane une quête de reconnaissance sociale (effet de mode, exaltation de soi dans les portraits). Jean Bodin estime néanmoins que l’art est économiquement inutile et cette pensée sera dominante au cours des siècles suivants, notamment chez les économistes classiques (dont Adam Smith). Au niveau de son fonctionnement, le marché est perçu comme identique aux autres avec une offre, une demande et un prix d’équilibre.
Au XXème siècle, Keynes provoque un changement de paradigme en affirmant que l’art est un domaine à part qui nécessite un traitement spécial de la part de l’Etat. Grand esthète, Keynes fut le premier président du British Arts Council, crée en 1946 (organisme qui distribue les subventions de l’Etat à la culture). Ceci a eu pour effet de libérer la pensée économique sur le sujet à partir de la seconde moitié du XXème siècle. A ce titre, nous pouvons citer la contribution de Gary Becker, qui a approché la consommation d’œuvres d’art sous le prisme de son concept d’ « addiction rationnelle » (plus on consomme de l’art, plus on en retire de l’utilité).
Le marché de l’art en France
La France occupe la quatrième position du classement mondial avec un marché représentant 7 % du total mondial. Mais la France est loin de son heure de gloire car elle représentait 60 % du marché dans les années 1960 ! Pour comprendre ce déclin, il faut tenir compte de l’histoire et des spécificités du marché hexagonal. En effet, la France a beaucoup souffert de son système, caractérisé par le monopole des enchères par un corps de métier, les commissaires-priseurs.
Un commissaire-priseur est un officier ministériel (nommé par arrêté du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice) qui, après avoir estimé des objets mobiliers, procède à leur vente publique et les adjuge au dernier enchérisseur.
Ce corps, crée en 1556, a perdu l’exclusivité des enchères suite à la loi du 10 juillet 2000, qui a ouvert le marché à la compétition des acteurs internationaux (notamment les Britanniques Christie’s et Sotheby’s). Mais cela faisait déjà plusieurs décennies que les commissaires-priseurs français avaient été doublés par Christie’s et Sotheby’s, qui ont internationalisé leur activité en ouvrant des filiales aux quatre coins de la planète. Ceci leur a permis de capter les meilleures offres et de les diriger vers les meilleures demandes, là où les acteurs français étaient bornés dans une logique purement domestique…
Les commissaires-priseurs français auraient pu prendre le virage du futur en 1964, quand on leur a proposé le rachat de la principale maison d’enchère américaine (Parke-Bernet). Mais ils ne sont pas parvenus à se mettre d’accord entre eux, et la maison a finalement été achetée par… Sotheby’s.
La France pâtit également de sa politique fiscale, avec notamment :
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une taxe sur les importations d’objets d’art (5,5 %)
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un droit de suite (prélèvement opéré au profit des artistes vivants ou de leurs ayants droit pouvant aller jusqu’à 4 %)
Qui sont les grands collectionneurs dans le monde ?
Les Nord-américains représentent la moitié des 200 premiers collectionneurs au monde. D’après un sondage réalisé par UBS et l’institut Arts Economics en 2016, voici le portrait-robot d’un grand collectionneur :
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Fortune supérieure à 1 million de dollar (hors immobilier et actifs professionnels / soit 1,5 % de la population des Etats-Unis)
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Homme (72 %)
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Plus de 50 ans
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Propriétaire de son entreprise
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Résidence en zone urbaine
Pourquoi achète-t-on une œuvre d’art ?
Le sondage a révélé un ordre de préférences spécifique au moment d’acheter une œuvre d’art.
Classement |
Motivation |
1 |
Décoration Fins esthétiques |
2 |
Amélioration de son image |
3 |
Investissement financier |
4 |
Relations sociales liées au réseau de collectionneurs |
5 |
Compulsion, passion ou addiction à la collection |
6 |
Préservation de traditions familiales |
7 |
Philantropie, soutien des artistes et de la culture |
La motivation principale n’est pas financière. Les acheteurs sont poussés à l’achat en premier lieu pour des raisons purement esthétiques et décoratives. L’investissement financier figure néanmoins à la troisième position, suivi par l’aspect social associé au monde de l’art et le besoin que certains perçoivent d’acheter des œuvres. Cela fait écho à la théorie de Gary Becker : plus on consomme de l’art, plus on en retire de l’utilité, et il peut être rationnel d’être collectionneur d’art à grande échelle, de manière parfois addictive.
Les arguments invoqués par Jean Bodin au XVIème siècle restent valables puisqu’on retrouve trois motivations sociales (parmi les raisons d’achat !
Où sont les grand collectionneurs d’art ?
Les grands collectionneurs se situent là où les fortunes sont concentrées.
Les États-Unis occupent la première place avec 51 %, suivie par l’Europe à 31 %. Néanmoins, ces chiffres ne tiennent pas compte du trafic illégal.
En 2016, les carabiniers napolitains ont découvert deux toiles de Vincent Van Gogh (estimées à 106 millions de dollars) qui gisaient au fond d’une habitation anonyme près de Naples, appartenant à un parrain de la Camorra (mafia napolitaine) !
Cette répartition suit de très près celle de la richesse au niveau mondial. A titre d’exemple, 36,20 % des personnes avec une fortune supérieure à 30 millions de dollars résident aux États-Unis en 2023.
Article très intéressant pour comprendre le poids du marché de l’art en rapport à la finance et la richesse des pays. Merci.