L’économie pour toutes

la finance pour tous

Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste, maître de conférences à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et Marianne Rubinstein, économiste, maître de conférences à l’université Paris VII-Denis-Diderot présentent leur livre « l’économie pour toutes ». 

 

Cette interview a été réalisée en 2014.

Pourquoi écrire un livre d’économie pour les femmes ? 

Comme l’explique Jézabel Couppey-Soubeyran, ce livre a été écrit pour les femmes parce que celles-ci se tiennent à distance des questions économiques, comme en témoignent les enquêtes sur la culture économique et financière des Français. Les femmes, plus souvent que les hommes, ont beaucoup de difficultés à comprendre l’information économique qu’elles jugent inaudible et incompréhensible. On constate que les femmes s’en remettent plus souvent à leurs conseillers, à leurs banquiers ou à leur entourage pour prendre des décisions économiques

Marianne Rubinstein confirme que toutes deux, économistes et universitaires, en ont eu assez de revêtir « un costume gris » pour parler d’économie. Les économistes s’expriment, selon elle, trop souvent dans une langue technique, se positionnant comme des experts qui d’emblée renvoient l’autre à son sentiment d’incompétence.

Les deux auteures font une référence à Virginia Wolf qui, dans « une chambre à soi » explique qu’au 19ème siècle, les femmes n’ont eu à leur disposition pour écrire des romans qu’une phrase masculine. Selon elle, Jane Austen s’est libérée de cette phrase pour en trouver une plus naturelle, qui lui convenait mieux.

Marianne Rubinstein fait un parallèle avec la phrase économique, masculine par excellence, qu’elle qualifie de phrase « en costume gris » ennuyeuse, jargonneuse, sans style ni rythme parce qu’elle fonde son pouvoir sur sa technicité, sa scientificité supposée. Les auteures ont pris la liberté de la laisser tomber, en utilisant une phrase qui rend davantage compte de leur propre vision de l’économie. 

Féminiser l’économie, c’est la dévaloriser ?

Marianne Rubinstein souligne qu’il y a peu de risque de dévalorisation tant la profession reste très majoritairement masculine. L’analyse des prix Nobel d’économie montre qu’une seule femme a obtenu ce prix Nobel, Elinor Olstrom, en 2009 (*). Un autre constat : l’université française en économie compte bien 38 % de femmes, maîtres de conférences mais seulement 18 % de femmes professeures.

(* E. Duflo, lauréate en 2019, a été la deuxième femme à recevoir le prix Nobel d’économie).

La situation est, selon un rapport de l’Economic American Association, cité par Jézabel Couppey-Soubeyran, encore pire aux États-Unis : 28 % de femmes sont professeures assistantes, l’équivalent des maîtres de conférences en France et seulement 12 % sont professeurs titulaires.

En quoi une parole féminine est-elle différente ?

 

Marianne Rubinstein pense que cette parole féminine pourrait gagner en clarté parce qu’elle n’aurait plus besoin de fonder sa légitimité sur une scientificité supposée. L’économie veut oublier qu’elle est une science sociale pour prétendre au statut de science dure ; il existe une véritable dérive techniciste dans notre discipline et une fascination pour les modèles mathématiques qui, trop souvent, « n’accouchent que d’une souris« , apportant peu de réponses aux problèmes du monde.

Thomas Piketty le dit très bien dans « Le Capital au XXIe siècle » quand il écrit: « les économistes ne sont pas sortis de leurs passions infantiles pour les mathématiques et les spéculations purement théoriques et souvent très idéologiques, au détriment de la recherche historique et du rapprochement avec les autres sciences sociales ».

Jézabel Couppey-Soubeyran souligne que cette dérive techniciste explique aussi que la clarté n’est plus quelque chose de valorisé dans la discipline.

Outre cette phrase féminine qui nous permet de créer une connivence avec la lectrice, il y a quelque chose de beaucoup plus palpable dans notre démarche, ce sont les « chapeaux » qui, dans chacun de nos chapitres, constituent nos points d’entrée dans les sujets traités.

Ces chapeaux interpellent la lectrice, l’invitent à entrer dans le sujet.

Nous formulons les questions que l’on se pose toutes, et face auxquelles les femmes se sentent souvent démunies. Par exemple, en matière de logements : dois-je acheter ou louer ? En ce qui concerne la banque, un sujet cher à la Finance pour tous : mon banquier gère-t-il bien mon argent ? Comment concilier travail et vie de famille? A quoi sert l’Europe? Est-ce que je vais devoir travailler plus longtemps avant de prendre ma retraite ?

Cette démarche a, selon Marianne Rubinstein, consisté à élargir l’angle de vue pour cerner la dimension globale du problème. Au-delà de savoir si l’on doit acheter ou louer son logement, on a montré que l’évolution des prix de l’immobilier avait un très fort impact sur la montée des inégalités de patrimoine et sur la compétitivité des entreprises.

Au-delà de savoir si mon banquier gère bien ou non mon argent, il y a bien sûr la contribution des banques à l’instabilité financière et les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur l’économie. C’est ce passage micro/macro, qui est une des spécificités de notre discipline économique, que l’on a essayé d’accomplir de manière progressive, pour que les femmes puissent mieux s’approprier le sens de notre discipline.

Comment traduire l’économie en « girlish » ? S’il y a si peu de livres d’économie pour les femmes, c’est parce que l’on parle de la boîte à outils de l’économiste. L’économie a été faite par les hommes et pour les hommes alors même que les femmes gèrent en permanence des questions micro-économiques. D’ailleurs, les entreprises de microcrédit prêtent plus volontiers aux femmes qu’aux hommes donc elles connaissent bien la microéconomie.

Jézabel Couppey-Soubeyran termine en soulignant que ce livre est la première tentative pour écrire l’ économie en « girlish », sans pour autant vider le concept économique de sa substance. Avec la volonté d’amener à sa compréhension autrement et de le partager.

L economie pour toutes Un livre pour les femmes que les hommes feraient bien de lire aussi, éditions La Découverte, 2014              

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