21 décembre 1972 : le mariage entre dans le champ économique

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Dans un article finalisé en décembre 1972, Gary Becker, futur lauréat du Prix Nobel d’économie, analyse le mariage en tant que phénomène économique comme « les autres  ». Cette approche, fortement critiquée depuis, a notamment été accusée de constituer une forme d’impérialisme économique.

Le champ de l’économie selon G. Becker

L’économiste américain Gary Becker (1930-2014), lauréat du Prix Nobel d’économie en 1992, est connu pour avoir analysé, à l’aide des outils de l’analyse économique, des domaines jusque-là considérés comme ne faisant pas partie du champ économique : les phénomènes de discrimination raciale, la criminalité, les déterminants de l’accumulation de capital humain, du taux de fécondité, etc. Plus précisément, selon G. Becker :

« Toute question qui pose un problème d’allocation de ressources et de choix dans le cadre d’une situation de rareté caractérisée par l’affrontement de finalités concurrentes relève de l’économie et peut être traitée par l’analyse économique » (G. Becker, L’approche économique du comportement humain)

Selon G. Becker, étudier le mariage comme un phénomène économique est donc tout à fait pertinent. Les opportunités de mariage sont limitées et rares. De plus, le choix des individus est libre. Il est, enfin, guidé par une certaine rationalité : se marier est une décision suffisamment importante dans la vie d’une personne pour que celle-ci y réfléchisse à deux fois. Les économistes auraient donc tort de ne pas analyser le mariage avec leurs outils traditionnels.

Présentation de la théorie beckerienne du mariage

Finalisé le 21 décembre 1972, l’article « A Theory of Marriage : Part I » paraît dans la prestigieuse revue américaine Journal of Political Economy. G. Becker y développe une modélisation du « marché du mariage ». Pour lui, les individus sont rationnels et capables d’identifier leurs préférences propres. Dans ce contexte, ils décident de se marier si le mariage leur permet d’atteindre un niveau de satisfaction – les microéconomistes diraient « utilité » – supérieur à celui qu’ils obtiendraient en restant célibataire. Être marié, ou vivre en couple, permet, en effet, dans la perspective beckerienne, aux individus de bénéficier du temps et de la production de biens non marchands de leur conjoint.

Les individus entrent alors en concurrence pour trouver un conjoint et font valoir leurs caractéristiques et qualités propres : capacité à participer à la production domestique du ménage, à produire un cadre de vie plus agréable, à procréer, etc.

Selon les spécifications retenues, de nombreuses conclusions peuvent être tirées du modèle développé par G. Becker. Il peut, par exemple, expliquer pourquoi les célébrités se séparent, en moyenne, plus souvent. Elles ont, en effet, des revenus plus fluctuants que le reste de la population, ce qui incite leurs partenaires à réviser de manière plus fréquente leur engagement. G. Becker justifie également l’existence de la polygamie. Cette dernière permet, en effet, aux individus d’accéder à la production de plus de biens domestiques.

Prolongeant la théorie beckerienne du mariage, l’économiste américain Ray C. Fair développe un modèle expliquant l’infidélité à partir de l’hypothèse, classique en microéconomie, de préférence des individus pour la variété.

Critiques et postérité de la théorie beckerienne du mariage

La théorie du mariage de G. Becker a été fortement critiquée, que ce soit par des économistes ou plus largement par des représentants des autres sciences sociales. Certains économistes ont, tout d’abord, reproché à G. Becker d’utiliser des modèles complexes pour parvenir à des résultats généraux loin d’être révolutionnaires. Ainsi, l’une des prédictions du modèle de G. Becker est que les femmes célibataires ont une probabilité plus forte de participer activement au marché du travail que les femmes mariées, car leurs ménages ne bénéficient pas, par définition, du revenu d’un conjoint…

Plus globalement, de nombreux penseurs d’autres sciences sociales, comme la sociologie et les sciences politiques, ont vu dans les travaux de G. Becker et de ceux produits dans sa lignée, une forme « d’impérialisme économique », c’est-à-dire une extension de l’économie au-delà de ses frontières traditionnelles. Par exemple, dans le cadre de la théorie du mariage, des sociologues ont fait remarquer que G. Becker tend à oublier le rôle joué par des aspects importants non économiques, comme l’amour, les contraintes ou encore les sentiments.

Malgré ces critiques, les travaux de G. Becker ont eu une influence non négligeable tant en économie que dans d’autres sciences sociales, comme l’a souligné l’Académie royale des sciences de Suède lors de la remise du Prix Nobel d’économie en 1992. Ses méthodes sont, en effet, devenues classiques en économie et certains de ses concepts ont traversé les frontières de la seule discipline économique.

 

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