Rémunération des dirigeants : parcours du « say on pay » en France

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Le vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants, ou règle du say on pay, autrefois consultatif, est devenu contraignant avec la mise en application dès 2017 de la loi Sapin II « relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ». Pourquoi l’exécutif a-t-il légiféré dans ce domaine et quels ont été les changements principaux par rapport au système précédent ?

Le say on pay est un vote à l’occasion de l’Assemblée Générale d’une entreprise cotée afin de valider la rémunération de ses principaux dirigeants. Ce dispositif existe en France depuis 2013, mais c’est le Royaume-Uni qui en est le pionnier au niveau mondial avec une application dès 2002.

Retour sur le dispositif précédent : le code AFEP-MEDEF

La version 2013 du code AFEP (Association Française des Entreprises Privées)-MEDEF (Mouvement des Entreprises de France) introduit pour la première fois en France un say on pay consultatif. La plupart des entreprises du CAC 40 souscrivent à ce code de conduite destiné aux entreprises cotées en Bourse (seul le groupe Arcelor Mittal n’est pas signataire). Aussi, le salaire des principaux dirigeants est soumis au vote des actionnaires depuis la saison 2014 des Assemblées Générales.

Publicis a appliqué le say on pay dès son Assemblée Générale de 2013, soit avant même la publication du nouveau code AFEP-MEDEF. Le groupe a ainsi fait figure de « bon élève » en comparaison avec les autres sociétés du CAC 40. Il faut, néanmoins, souligner qu’en 2012 la rémunération de 16 millions d’€ du PDG Maurice Lévy avait fait polémique. En soumettant au vote une enveloppe de 4,8 millions d’€ l’année suivante, le groupe soignait aussi son image…

Dans la majorité des cas, les actionnaires ont voté « oui » avec une large majorité aux salaires des dirigeants (taux moyen d’approbation de 89 % en 2016, après 87 % en 2015).

Depuis la loi NRE de 2001, les patrons des entreprises cotées sont tenus de révéler toutes les rémunérations dont ils bénéficient : salaires fixes, bonus, retraites chapeaux, stock-options. Les défenseurs de cette loi souhaitaient que les petits actionnaires puissent en quelque sorte pointer du doigt les abus et forcer ainsi les dirigeants à faire preuve de mesure, surtout  lorsque les performances ne sont pas au rendez-vous. De fait, les rémunérations des patrons français ont augmenté sensiblement ces dernières années ; les dirigeants veulent s’aligner sur les standards des patrons américains, ou a minima ne veulent pas percevoir une rémunération inférieure à la moyenne de leurs pairs.

L’affaire Renault met le feu aux poudres

Dès la première année, des signes de réprobation sont apparus avec des rémunérations qui ont recueilli une part considérable de votes négatifs. Ainsi, le PDG de Renault, Carlos Ghosn, n’a recueilli des votes favorables qu’à hauteur de 64 % en 2014, puis de 58 % en 2015. De même pour Danone et son Président du Conseil d’Administration, Franck Riboud, avec un taux d’approbation de seulement 54 % en 2014.

Un tournant est franchi le 29 avril 2016. Au cours de l’Assemblée Générale de Renault, les actionnaires se prononcent à 54 % contre la rémunération de Carlos Ghosn (15 millions d’€ au total avec Nissan). Parmi les actionnaires ayant voté non, l’État français, qui détient 26 % des droits de vote. C’est dans ce contexte, et dans la réaction maladroite du constructeur, que vont naître les germes du futur say on pay contraignant.

Les actionnaires n’arrivent pas à se faire entendre

Dans la foulée du vote négatif, le conseil d’administration de Renault a maintenu la rémunération de Carlos Ghosn en la justifiant par « la qualité des résultats de l’année 2015 » et les « deux ans d’avance sur le plan 2016 (de compétitivité) ».

Ceci a mis en exergue les limites du code AFEP-MEDEF :

  • C’est un code de conduite sans portée juridique

  • Le vote say on pay est purement consultatif

L’État a alors réagi en avançant avec un projet de loi afin rendre le vote say on pay contraignant. Dans une dernière tentative de conciliation (afin d’éviter une loi), l’AFEP-MEDEF a rédigé un nouveau code de conduite, publié le 24 novembre 2016, où le vote n’est plus « consultatif » mais « impératif » (sans être contraignant) mais c’était trop tard. En effet, la loi Sapin II « relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » était adoptée à l’Assemblée Nationale le 8 novembre 2016 et publiée au Journal Officiel le 10 décembre.

Le fonctionnement du say on pay contraignant 

La principale nouveauté introduite par la loi Sapin II réside dans le caractère contraignant du vote en Assemblée Générale pour toutes les sociétés cotées sur Euronext. Mais la création d’un autre vote sur la politique de rémunération future est aussi une nouveauté de taille par rapport au code AFEP-MEDEF. Dans le détail, les actionnaires seront amenés à voter tous les ans sur deux sujets :

La politique de rémunération future

« Les principes et les critères de détermination, de répartition et d’attribution des éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération totale et les avantages de toute nature ». Si la politique de rémunération est rejetée, c’est la politique de rémunération en vigueur qui reste valable.

Qu’entend-on par « rémunération » ?

Voici un résumé concret des rémunérations concernées : salaire fixe, salaire variable (annuel et pluriannuel), actions gratuites, parachutes dorés, jetons de présence, indemnités de non-concurrence et avantages en nature.

Le versement de la rémunération en rapport avec l’année fiscale écoulée

Si le vote est négatif, seul le salaire fixe est versé.

Calendrier de mise en application du texte

Dès la saison des Assemblées Générales 2017 (début mi-avril), les actionnaires seront amenés à voter sur la politique de rémunération future. En revanche, le vote sur la rémunération au titre de l’année écoulée ne sera applicable qu’à partir de la saison des Assemblées Générales 2018.

Certaines sociétés ont annoncé l’organisation d’un vote contraignant sur la rémunération au titre de l’exercice écoulé dès 2017. C’est notamment le cas du groupe Eiffage.

Le code de conduite AFEP-MEDEF restant valable, les votes sur les rémunérations au titre de l’année écoulée auront lieu mais avec un caractère « impératif » et non « contraignant ». Concrètement, le conseil d’administration ne pourra plus ignorer complètement un vote négatif en Assemblée Générale (cas de Renault en 2016). Suite à un rejet, le Conseil devra faire une contre-proposition de rémunération dans un délai « raisonnable » de quelques semaines et la rendre publique.

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