Odile Lakomski-Laguerre sur les crypto monnaies

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Spécialiste des crypto monnaies, Odile Lakomski-Laguerre, maître de conférences, répond à nos questions sur ces nouveaux actifs dans une interview réalisée en 2018.

Qu’est-ce qu’une crypto monnaie ?

Les crypto monnaies, telles que le bitcoin, sont des systèmes de paiement alternatifs qui servent d’unité de compte mais aussi de réserve de valeur, en suivant un protocole informatique bien spécifique.

Fondamentalement, « miner » consiste à résoudre des problèmes mathématiques complexes dont la difficulté augmente avec le nombre de « mineurs » présents sur le réseau. Cette armée d’ordinateurs a pour but d’obtenir un consensus dans le réseau, c’est-à-dire que la majorité dudit réseau est d’accord sur la validation des transactions et permet ainsi d’éviter les fraudes. 

Il existe une multitude de blockchain, telles que la blockchain bitcoin, rattachée au protocole Bitcoin, ou la blockchain Ethereum, rattachée au protocole Ethereum. La blockchain est un registre décentralisé qui fonctionne de façon autonome. Par exemple, la blockchain Bitcoin regroupe l’ensemble des transactions en bitcoin qui ont eu lieu depuis sa création. Cette blockchain est donc composée de blocs, validés toutes les dix minutes, et qui contiennent les dernières transactions à valider avant d’être effectuées.

Le fait de valider les transactions s’appelle le « minage », cela revient à allouer de la puissance de calcul pour résoudre un problème mathématique complexe et, par le biais de la cryptographie, sécuriser les transactions afin d’éviter toutes les fraudes. La blockchain bitcoin utilise le principe de « la preuve de travail » (en anglais « proof of work ») qui signifie que les ordinateurs doivent travailler (résoudre le problème mathématique). Mais d’autres blockchains n’utilisent pas forcément ce principe, il existe d’autres protocoles tels que la preuve d’enjeu par exemple.

Crypto monnaie ou Crypto actifs ?

Le bitcoin a été créé pour devenir une alternative monétaire à part entière. Il y a bien une unité de compte, il sert pour les transactions mais la question de la réserve de valeur reste controversée, considérée comme la plus importante par les courants de pensée Autrichiens.

La théorie économique met en évidence l’idée d’ambivalence de la monnaie : lorsque la monnaie est thésaurisée, c’est la fonction de la réserve de valeur qui l’emporte mais cela bloque les échanges. Dans les faits, certaines crypto monnaies sont utilisées uniquement pour de la spéculation et de l’investissement long terme, ce qui a tendance à limiter les échanges et en faire de « mauvaises » monnaies puisqu’elles sont alors thésaurisées.

C’est ce comportement qui met en évidence le terme « d’actif » plutôt que de « monnaie », on parle alors plutôt de crypto actif.

On parle également de glissement sémantique, c’est-à-dire l’utilisation massive d’un terme qui se substitue à un autre afin de ne pas tromper le grand public. Ici on préfère parler d’actif que de monnaie afin de ne pas faire ressortir la menace potentielle que ces actifs numériques peuvent représenter face aux monnaies déjà établies.

L’anonymat est-il parfait ?

Il y a de l’anonymat certes, mais il est possible de retracer un historique complet depuis la création du crypto actif. En effet, lorsqu’une transaction est faite en bitcoin par exemple, elle est complétement anonyme car elle est sous forme d’une clé et d’un pseudonyme.

L’identité n’est pas révélée mais la blockchain étant publique et transparente, il est possible d’associer les transactions aux adresses électroniques correspondantes et parfois remonter jusqu’à la personne. Ainsi, le bitcoin n’est pas le crypto actif le plus anonyme, de nouveaux ont émergé, plus anonymes, tels que le Monero par exemple.

Une valeur refuge en cas de krach ?

Certains pensent que le bitcoin pourrait servir de valeur refuge en cas de turbulences financières. Le bitcoin a en effet été créé pour ressembler à l’or, c’est sur cela que se fonde sa valeur intrinsèque.

De récent évènement nous l’ont montré, lors de la crise chypriote où la demande en bitcoin a augmenté exponentiellement durant cette période.

En revanche, il faut surveiller la volatilité qui est associée aux crypto actifs, leur valeur varie fortement et rapidement ce qui peut parfois engendrer de lourdes pertes.

Les conséquences environnementales

Le principal problème environnemental est la grosse consommation électrique que demande le processus de validation des transactions, c’est-à-dire que le minage (le fait d’allouer de la puissance de calcul au réseau) qui consomme beaucoup d’énergie.

Le succès du bitcoin a attiré de plus en plus de mineurs, la complexité des problèmes mathématiques à résoudre lors du minage a augmenté, ce qui a requis de plus en plus d’ordinateurs et de plus en plus puissants. Il était avant possible de miner avec un simple ordinateur personnel, aujourd’hui, des coopératives et des fermes de minage ont été créées. Cette démultiplication du nombre de machines entraine avec elle une augmentation de la consommation électrique.

La communauté internationale des crypto actifs se penchent de plus en plus sur des solutions alternatives et moins énergivores.

Quelle place pour l’État face à une technologie décentralisée ?

En théorie, l’État est par principe évincé de l’univers des crypto actifs.

En effet, les initiateurs de ce mouvement les « cypherpunks », se préoccupaient d’un contrôle omniprésent de l’état sur les données personnelles et privées. Ces crypto actifs ne dépendent donc pas d’une tierce partie, l’Etat est donc évincé de ce système.

En revanche, il ne faut pas oublier que les blockchains et les différents crypto actifs dépendent d’une chose : le réseau informatique au travers duquel cette technologie existe. Ces réseaux informatiques sont faits de fibre optique, de réseaux électriques, que l’État est tout à fait capable de réglementer ou de réguler. L’État est également capable de légiférer en défaveur de cette technologie pour en limiter l’usage sur son territoire (ce qui a déjà été le cas en Chine ou encore en Corée du sud).

Des exemples d’applications de la blockchain et des crypto monnaies

Pour des applications extra-monétaires, la blockchain Ethereum permet l’exécution de contrats intelligents, ce sont des contrats automatisés et autonomes qui s’exécutent lorsque toutes les conditions précontractuelles sont remplies et validées par la blockchain.  

Etant donné que la blockchain permet de vérifier, certifier, horodater un ou plusieurs évènements, elle peut s’appliquer à de très nombreux secteurs différents.

Il existe par exemple des applications dans le secteur des assurances :

  • Lors d’un retard d’avion, un contrat « intelligent » automatisé d’assurance vérifie que l’avion est bien en retard et peut indemniser instantanément et automatiquement les clients.
  • On peut imaginer un système de capteurs météorologiques, qui, lorsque certaines conditions sont remplies, permettent l’indemnisation d’agriculteurs assurés sans qu’ils ne fassent aucunes démarches.

La création d’une crypto monnaie par un État est-elle possible ?

Il existe de plus en plus de projets de crypto monnaie d’État en cours ou déjà réalisés, tel que le Petro au Venezuela. Au vu du livre blanc du petro, on peut se demander si le projet est fondé, s’il apporte réellement quelque chose, ou si c’est au contraire un effet de communication stratégique.

Le petro pourrait représenter une échappatoire par rapport au dollar (dont le Venezuela est fortement dépendant) voire, il pourrait permettre de recrédibiliser l’économie d’un État.

Une autre piste sérieuse serait de voir l’émergence d’une crypto monnaie centrale : une monnaie qui permettrait d’effectuer les transactions entre les banques commerciales – sur le marché inter bancaire – à moindre coût, mais qui viendrai petit à petit remplacer la monnaie fiduciaire que nous avons dans notre portefeuille, et ainsi faire disparaitre le cash. Ce projet pose la question de l’ouverture de compte par des particuliers auprès de la banque centrale.

Quelle place pour la France dans la course internationale à la réglementation ?

La France est dans une position qui l’amène à considérer deux points de vue différents et difficiles à concilier. D’une part, les crypto monnaies, si elles se développent, pourraient menacer l’unité de compte officielle voire concurrencer la monnaie bancaire qui est la monnaie dominante.

D’autre part, l’écosystème blockchain français se développe de plus en plus, ce secteur de l’économie innovant ne doit pas être étouffé et les autorités françaises sont assez vigilantes à ne pas rater la prochaine « révolution blockchain ».

Il s’agit ici de créer une réglementation « souple et incitative » afin de garder le contrôle sur cette technologie mais également en permettre un développement sain, sans décourager les startups innovantes qui pourraient aller dans d’autres pays si la réglementation devenait trop rigide.

Imaginons le point de vue de Schumpeter sur les crypto monnaies

Schumpeter aurait très certainement salué le caractère d’innovation du projet de Nakamoto (le créateur présumé du  Bitcoin). Il aurait également salué la rupture technologie que représente le principe de la blockchain.

Schumpeter soutenait que la monnaie ne devait pas avoir comme fonction principale la réserve de valeur. Or le bitcoin est marqué par son ambivalence, il est en effet plus utilisé comme un placement que comme un moyen de paiement, Schumpeter aurait surement souligné un problème de conception de cet actif. Une monnaie devait, selon lui, être avant tout, un moyen d’effectuer des transactions. Il fonde sa théorie monétaire uniquement sur une logique économique, sans intervention de l’État.

Schumpeter soutenait également que le capitalisme n’est pas figé et est voué à s’adapter aux mutations monétaires qui peuvent arriver. Selon lui, le capitalisme finance l’innovation par le crédit bancaire, mais l’arrivée de ces crypto monnaies peut bouleverser ce financement en créant un nouveau mode de financement (aujourd’hui appelé Offre Initiale de Jetons, ou « Initial Coin Offering »).

Si une crypto monnaie s’impose comme monnaie dominante, la question primordiale à se poser serait : peut-on imaginer un capitalisme sans crédit ? Quelle serait une société fondée sur une monnaie qui n’est pas une monnaie de crédit ?

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