JECO 2009 : La finance va-t-elle vraiment changer ?

la finance pour tous

La finance va-t-elle vraiment changer ?  Cette conférence, qui s’est déroulée en 2009 à Lyon, a permis aux intervenants d’exposer leurs points de vue sur la problématique du système financier et l’émergence de risques systémiques.

Les journées de l’économie de Lyon ont pour mission d’apporter des éclairages pédagogiques et de confronter les analyses sur les grands enjeux économiques de notre société.

La 2ème édition s’est déroulée du 12 au 14 novembre. 4 000 personnes – enseignants, lycéens, simples «  citoyens », ont pu participer à quelque 35 rencontres et débats.

Celui que nous organisions, sur le thème «  La finance va-t-elle vraiment changer ? » a fait salle comble. Sous la modération de Bernard Simler, Vice Président de l’Institut, deux représentants des régulateurs – Sylvie Matherat, Directeur à la direction de la stabilité de la banque de France, et Edouard Vieillefond secrétaire général adjoint de l’AMF, ont échangé leur point de vue avec Matthieu Pigasse Vice Président de Lazard Europe et de Catherine Lubochinsky , professeur de sciences économiques à l’université Paris II et membre du cercle des Economistes.

Mission leur a été donnée par Bernard Simler de dresser un état des lieux des réformes en cours et d’en apprécier la portée.

Changement de donne

 sylvieMatherat  jpg Sylvie Matherat expose les nombreuses réformes entreprises depuis deux ans sous la conduite du G 20 et qui seront mises en œuvre graduellement dans les années qui viennent.

A court terme il s’agit de modifier les incitations des acteurs financiers  : règles concernant les rémunérations, les normes comptables des actifs financiers, extension de la réglementation pour en supprimer  les « trous noirs ».

A moyen terme, l’ objectif est de construire un système financier plus solide :

augmentation des fonds propres des banques notamment pour les activités risquées sur les marchés, sécurisation des marchés de gré à gré notamment ceux des dérivés de crédit, action contre les dispositifs pro cycliques.

Enfin à plus long terme, il convient de mieux surveiller la formation de bulles et l’émergence de risques systémiques : mise en place d’un conseil européen des risques systémiques, renforcement de la mission de stabilité financière des banques centrales, au travers du Conseil de Stabilité financière, qui a remplacé le Forum de Stabilité Financière.

Le travail qui s’effectue quotidiennement pour mettre en place de nouvelles règles et de nouveaux dispositifs est considérable, apprécie Sylvie Matherat. Il s’effectue à l’échelle internationale, car aucune règle ne peut être efficace si elle est seulement nationale, dans une concertation systématique et avec une répartition des taches entre les institutions conseil de stabilité financière, FMI, comité de Bâle..). Au total, selon elle, ces changements sont bien de nature à changer la donne de la finance. Les exigences de capital et les réglementations généreront sans doute un coût pour les services financiers. Si cela ne sera pas de nature à éviter toutes les crises, cela devrait permettre d’en limiter l’occurrence et d’éviter que celles qui interviendront soient trop couteuses pour la collectivité.

La Finance au service de l’économie réelle

mvieillefond jpg Edouard Vieillefond présente les vues du régulateur des marchés financiers, l’AMF, dont la mission fondamentale est la protection des épargnants et de l’épargne. Il insiste sur la nécessité d’avoir une conception large de cette mission visant à superviser les acteurs, les marchés et les produits pour assurer la protection de l’épargne tout en faisant en sorte que les marchés financiers soient dynamiques, efficaces et servent l’économie réelle.

Il faut progresser selon deux axes :

1) entrer dans le champ d’une surveillance systémique de l’ensemble des entités qui constituent le marché car les risques de crise ne viennent pas seulement des bilans bancaires, mais des marchés eux-mêmes.

2) renforcer la coopération entre les régulateurs pour éviter les trous de régulation Pour la 1ère fois, les Hedge funds et les fonds de capital risque seront régulés.

Un autre enjeu majeur concerne la gouvernance. La transformation du G 20 en enceinte de discussion et de décision au niveau des chefs d’Etat constitue selon lui une avancée très importante d’autant plus qu’un système de suivi des décisions a été mis en place.

Pour le représentant de l’AMF, il faut également anticiper sur les sources potentielles de crises futures. L’AMF est ainsi préoccupée des effets de la mise en œuvre de la directive MIF qui risque d’entrainer de la fragmentation et de l’opacité dans le fonctionnement des marchés boursiers.

Ainsi Edouard Vieillefond partage avec Sylvie Matherat la conviction que les choses avancent et que l’objectif n’est pas de supprimer les crises mais de faire en sorte qu’elles soient moins fortes. Prenant l’exemple de l’organisation et de la surveillance des marchés dérivés de crédit , il considère qu’il s’agit de restaurer l’utilité sociale de la finance en luttant contre les excès, mais comme le dit une formule consacrée « il faut veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, même si celle-ci est assez sale ».

Les dimensions multiples de la crise

mPigasse jpg Pour Matthieu Pigasse, intervenant « comme citoyen et non comme banquier », il n’y a pas que la finance qui doit changer. Selon lui, la crise a des dimensions multiples, financières, politiques, morales et si l’on veut rebondir vite, les changements doivent concerner l’ensemble de ces champs.

Certes la responsabilité des banques est fortement engagée dans la crise financière. Elles ont oublié le cœur de leur métier qui est de prêter en évaluant le risque pris et de demander une rémunération en fonction de celui-ci. Mais la responsabilité des pouvoirs publics dans cette crise est elle aussi pleinement engagée. Les politiques monétaires menées notamment aux Etats-Unis ont consisté à injecter d’énormes liquidités à très bas prix (faibles taux d’intérêt) avec comme objectif de favoriser une croissance « dopée » à l’endettement et qui masquait la progression des inégalités de revenus et de patrimoine. La responsabilité des pouvoirs publics est également engagée dans l’insuffisance des normes encadrant la finance et dans le manque de contrôle du respect de celle qui existait néanmoins.

Matthieu Pigasse souligne également les dimensions idéologiques et morales de la crise: l’idéologie de l’autorégulation des marchés est en faillite. La réalité a montré que si on laisse «  les marchés s’autoréguler, ils ne s’autodisciplinent pas, ils s’autodétruisent ». La morale «  greed is good » (la cupidité est une bonne chose) édictée par Gordon Gekko dans le film Wall Street s’est imposée partout et pas seulement dans la banque. « Mais l’idée qu’on peut demander des rendements de 15 à 20 % quand la croissance est de 2 % est une folie ».

Pour autant selon lui, il faut se garder d’opposer économie réelle et économie financière. Par analogie avec une voiture, la première serait le moteur et la seconde serait l’essence. C’est un système dans son ensemble qui est en cause. On est passé d’un capitalisme managérial dans lequel l’entreprise est un centre d’activité et d’emploi à un capitalisme financier dans lequel l’entreprise est définie comme une holding détenteur d’un paquet d’actifs.

A partir de ce diagnostic, Matthieu Pigasse considère que la mutation du G 20 est certainement une bonne chose car vouloir réglementer dans un pays est de portée limitée, compte tenu de la globalisation et de l’interdépendance des marchés. Mais, selon lui, l’action du G 20 en reste jusqu’ici surtout aux déclarations d’intentions comme par exemple en ce qui concerne les paradis fiscaux. Et d’autre part des questions essentielles comme celle du protectionnisme, de l’environnement, ou des changes restent en dehors de son intervention.

Il considère de plus que réglementer ne suffira pas. Il faut réguler par des politiques puissantes et corriger les comportements. Ainsi, selon lui, il ne faut pas nécessairement se réjouir de la suppression des barrières entre banques d’investissement et banques commerciales. Avec le triomphe des banques universelles, encore accentué avec la crise, les dépôts risqueront d’être touchés par la prochaine crise.

Rien n’a changé

clubochensky jpg A la question posée «  la finance va-t-elle vraiment changer », Catherine Lubochensky répond trois fois Non.

Elle souligne que depuis les années 80, les marchés ont pris une place très importante. En 2007 les stocks d’actifs de titres financiers représentaient 420 % du PIB mondial. Les produits dérivés représentent à eux seuls 12 fois le PIB mondial. En ce sens, la déconnexion de la finance et de l’économie est effective. Les marchés sont devenus de façon prédominante des marchés de produits de gestion de risque et non des marchés de produits de financement. Pour autant le changement n’est pas tâche facile.

Catherine Lubochensky évoque ainsi plusieurs enjeux :

  • Comme toute entreprise les banques doivent faire du profit. Ce ne sont pas des entreprises philanthropiques.

  • La difficulté d’obtenir une réglementation internationale est évidente. Exemple : dans le même temps où les USA exigeaient de la banque suisse UBS la levée du secret bancaire et menaçaient la Suisse, l’Etat du Connecticut intégrait le secret bancaire dans sa législation et l’Etat du Delaware reste un paradis fiscal à l’intérieur des USA.

  • Il paraît impossible que les autorités publiques de surveillance puissent réguler produit par produit. Ils sont trop nombreux, et les innovations sont continuelles.

  • La spéculation est certes excessive, mais il faut se rappeler que même Tobin avait souligné en 1994 que sans spéculation, il n’y a pas de liquidité et pas de marché tout court

  • Le changement de comportement de la finance et des épargnants est un objectif bien difficile à atteindre si l’on veut rester dans un système où s’exerce la stimulation de la concurrence et la contrainte de la rentabilité.

  • La séparation de la banque d’investissement et de la banque commerciale est discutable si l’on considère par exemple que les banques universelles, notamment françaises ont mieux résisté à la crise.

  • Une voie efficace d’action pourrait alors être selon elle de « réguler l’effet de levier ». Cela conduirait notamment à réduire automatiquement la rentabilité financière et à limiter la spéculation. Mais elle ne tranche pas sur « la dose acceptable de régulation de l’effet de levier ».

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