Comment les hautes rémunérations ont-elles évolué ?

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Cet article est fondé sur la publication scientifique de Bertrand Garbinti, Jonathan Goupille-Lebret et Thomas Piketty : « Income inequality in France, 1900-2014 : Evidence from Distributional National Accounts (DINA) » paru en 2018. À notre connaissance, une telle étude n’a pas été reproduite.

Pour étudier l’évolution des hauts revenus, il faut tout d’abord s’intéresser à l’évolution du revenu moyen, voire à celle de l’ensemble des catégories de revenus. En effet, il s’agit dans ce cas de raisonner non pas en termes absolus mais en termes relatifs.

Pour ce faire, la plupart des études s’appuient sur une répartition en déciles voire, en centiles des revenus. En les classant par ordre croissant puis en les regroupant dans des échantillons de taille égale, on peut obtenir l’évolution du premier décile, soit des 10 % des revenus les plus faibles, des suivants et enfin des 10 % des revenus les plus élevés. En centiles, on obtient l’évolution des 0,01 % des revenus les plus faibles jusqu’à celle des 0,01 % des revenus les plus élevés.

Répartition par tranche des revenus en France (2013)

Population (+ de 20 ans) Revenus minimum de la tranche Revenus moyens de la tranche Part de la tranche dans l’ensemble des revenus
Ensemble de la Population 51 721 510 0 34 580 100,0 %
50% des revenus les plus modestes 25 860 755 0 15 500 22,4 %
40% des revenus moyens 20 688 604 27 520 38 810 44,9 %
10 % des revenus les plus élevés 5 172 151 58 070 112 830 32,6 %
1 % des revenus les plus élevés 517 201 167 090 373 330 10,8 %
0,1% des revenus les plus élevés 51 722 563 730 1 277 960 3,7 %
0,01 % des revenus les plus élevés 5 172 2 072 470 4 470 980 1,3 %
0,001 % des revenus les plus élevés 517 7 222 080 13 639 860 0,4 %

Source : Garbinti, Goupille-Lebret et Piketty (2018).

Des inégalités de revenus croissants, en particulier aux extrêmes

Le graphique ci-dessous représente l’évolution des revenus (du travail et du capital) par individu avant le paiement des impôts et le versement de prestations sociales (sauf pensions de retraite et allocations chômage)

Evolution du poids des différentes tranches dans l’ensemble des revenus  (1983-2014)

Force est de constater que la part du revenu moyen du premier groupe P0-90 (soit les neufs premiers déciles) s’est érodée de 1983 et 2014 contrairement à celle du dernier centile (P99-100) qui elle a progressé de l’ordre de 10 %. Cette évolution est d’autant plus remarquable pour les 0,1 % des ménages les plus riches (P99,9-100) dont la part du revenu a en moyenne progressé de plus de 70 % sur la même période.

Un phénomène qui n’a pas toujours existé

La crise des années 1930 puis la Seconde Guerre mondiale avaient réduit les revenus des plus aisés tandis que les politiques sociales, d’abord du Front Populaire en 1936 puis institutionnalisées pendant les 30 Glorieuses avec la mise en place de l’État-Providence, ont permis un meilleur partage de la richesse produite. La conjugaison de ces deux effets avait ramené la part des 1 % les plus riches dans le revenu national de plus de 22 % à moins de 8 % après l’arrivée au pouvoir du président socialiste François Mitterrand en 1981.

Evolution de la part des 1 % plus hauts revenus dans les revenus en France  (1900-2014)

Depuis 1983, le mouvement s’est inversé pour flirter avec les 12 % à la veille de la crise de 2008, renouant ainsi avec les niveaux d’après-guerre.

Le capital (dividendes, intérêts, loyers…) principale source de revenus des 1 % les plus riches

En France, les hautes rémunérations sont principalement composées par des sources de revenus tirés du capital (dividendes, intérêts, perception de loyers, stock- options, etc.). En 2012, elles représentent plus de 50 % des revenus des fameux 1 %, et même plus 70 % pour les 0,1 % les plus riches de la population.

Composition des revenus en France (2012)

Ce sont ces revenus du capital qui expliquent la progression des 1 % les plus riches depuis les années 1980. Alors que les employés ont dû supporter une modération salariale imposée par les crises économiques successives, un chômage de masse et une concurrence en provenance des pays émergents à faible coût de main d’œuvre, les plus aisés ont profité, pour leur part, de la libéralisation des marchés financiers et économiques. Celle-ci a avantagé la croissance des profits et donc la rémunération des actionnaires dans un contexte de désinflation plus favorable aux revenus de rente (loyer perçu, intérêts obligataires).

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