Les inégalités entre les femmes et les hommes

la finance pour tous

Cette interview a été réalisée en 2012. Certaines données doivent être replacées dans ce contexte.

Françoise Milewski est économiste à l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques). Co-créatrice du Programme de Recherche et d’Enseignement des Savoirs sur le Genre (PRESAGE), elle a réalisé de nombreuses études sur les inégalités entre les femmes et les hommes. 

Les indicateurs

Un premier indicateur des inégalités économiques entre les femmes et les hommes est l’insertion des femmes sur le marché du travail qui se mesure par le taux d’activité.

Depuis les années 1960, les femmes se sont  fortement insérées sur le marché du travail. Pour la tranche d’âge des 25-49 ans, le taux d’activité des femmes est de l’ordre de 80 %. L’écart avec celui des hommes s’est réduit. Cependant, globalement, il y a toujours 10 points de pourcentage de différence. Les femmes ont investi le marché du travail mais leur insertion n’est pas encore équivalente à celle des hommes.

Temps partiel

Deuxième indicateur, le temps de travail : « Le temps partiel est une affaire de femmes », souligne Françoise Milewski. En France, 80 % des temps partiels sont occupés par des femmes et environ un tiers des femmes travaille à temps partiel. On peut distinguer le temps partiel « contraint » c’est-à-dire imposé par les entreprises  et le temps partiel «choisi » mais celui-ci, explique-t-elle, est un choix par défaut à cause des conditions sociales.

Troisième indicateur, la ségrégation professionnelle : les femmes n’exercent pas les mêmes métiers et ne travaillent pas dans les mêmes secteurs que les hommes. Schématiquement, les hommes travaillent majoritairement dans l’industrie et le bâtiment et les femmes travaillent majoritairement dans le secteur tertiaire.

Réduction  des inégalités en panne

Tout cela a des conséquences très importantes en matière d’écart de salaire et d’écart de retraite. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes est en moyenne d’environ 25-27 %.

Cela s’explique d’abord par le temps de travail. Mais, même à durée de travail équivalente, il existe  des écarts de salaire entre les femmes et les hommes dus  aux discriminations subies par les femmes  sur le marché du travail et dans les entreprises. Celles- ci sont liées par exemple au fait que les femmes   sont considérées comme s’investissant moins dans leur emploi, qu’elles  prennent ou risquent de prendre des congés maternité voire des congés parentaux ou  des congés pour garder les enfants malades, etc.

Françoise Milewski souligne que la réduction des écarts de salaire s’est interrompue depuis le début des années 1990, avec le développement du temps partiel et la discrimination des femmes. On assiste à un accroissement des inégalités et on voit apparaître de nouvelles formes d’inégalité. 

Inégalités entre les femmes

Des différenciations parmi les femmes elles-mêmes se sont développées. Depuis les années 1960, d’un côté, les femmes qui ont investi l’éducation supérieure acquièrent des  diplômes. Même si elles sont soumises au « plafond de verre », elles obtiennent  des emplois de « bonne qualité ».

D’un autre côté, une précarité massive des femmes sur le marché du travail s’est également développée. Cette précarité est liée au temps partiel contraint, aux emplois peu qualifiés ou non qualifiés. « la précarité, en France et en Europe aujourd’hui, a un sexe » note Françoise Milewski. « Les femmes constituent  l’essentiel des temps partiels, l’essentiel des emplois peu qualifiés et donc l’essentiel des bas salaires. Les smicards sont en fait des smicardes ». 70 % des smicards sont des femmes, même si on raisonne en taux de salaire horaire.

Inégalités de pouvoir

D’autres indicateurs permettent également d’appréhender l’accès des femmes au pouvoir politique et au pouvoir économique.

Au niveau politique, les femmes sont sous-représentées dans les parlements, dans les cabinets ministériels, dans les gouvernements, etc. Le partage du pouvoir économique est également très inégalitaire. Les femmes accèdent peu aux postes de responsabilités dans les entreprises et les progrès sont particulièrement faibles dans ce domaine.

Que ce soit dans les entreprises privées ou que ce soit dans la fonction publique, seules entre 10 et 13 % de femmes accèdent véritablement au pouvoir économique. C’est le résultat d’inégalités qui interviennent dès le début de la carrière. Le parcours de carrière est différent entre un homme et une femme. Pourtant, « si on voulait nommer des femmes à des postes de responsabilité, on en trouverait » précise Françoise Milewski.

Une part des écarts de salaires est ainsi liée à l’inégalité des parcours de carrière. 

Les causes

Pour Françoise Milewski, le premier fondement des inégalités entre les femmes et les hommes, se déroule dès  la petite enfance, au travers de l’éducation, par la famille et par l’école.

Dès la petite enfance

L’image des petites filles et des petits garçons n’est pas la même : « On apprend aux petites filles à être des petites filles et on apprend aux petits garçons à être des petits garçons. Un petit garçon, ça ne pleure pas, une petite fille, ça peut pleurer et un petit garçon, c’est plus violent qu’une petite fille ». Cette éducation se retrouve ensuite dans les choix d’orientation scolaire puis professionnels. Les élèves, les familles et les conseillers d’orientation orientent plus facilement les filles vers « le soin aux autres », alors que les garçons sont orientés vers les mathématiques, la physique.

On assiste ainsi à un paradoxe : les filles réussissent mieux à l’école, mais l’orientation selon les filières reste très différenciée. Par exemple, dans les écoles d’ingénieur, il y a encore très peu de filles et leur part progresse très peu.

Des métiers diversement valorisés

Tout cela se traduit dans l’insertion professionnelle par des métiers qui sont diversement valorisés. Dès l’entrée dans la sphère professionnelle, en dehors des discriminations qui se produisent dans l’entreprise elle-même, la situation est différenciée est cela a des répercussions sur la carrière professionnelle.  

L’articulation vie privée vie professionnelle

Les relations entre la sphère professionnelle et la sphère privée, familiale constituent un autre  facteur important d’inégalités. La règle restel’inégal partage des tâches domestiques. Malgré l’insertion croissante sur le marché du travail, les inégalités dans la sphère privée se sont très peu réduites.

Les femmes font un petit peu moins de tâches domestiques mais cela est dû principalement au recours aux appareils ménagers, voire des aides pour garder les enfants ou pour le ménage. Ce n’est pas dû à la plus grande implication des hommes dans les tâches ménagères. De plus, on peut distinguer les tâches ménagères entre elles. Françoise Milewski précise : « On peut s’occuper des enfants pour faire les devoirs, faire du sport ou pour aller faire des activités. Autre chose est de s’occuper de faire tourner une machine à laver, de faire à manger tous les jours et pas simplement quand on reçoit des amis ». « Le poids des stéréotypes reste important »conclut-elle.

En vertu de quoi, les entreprises ne donnent pas de responsabilités à une femme car elles craignent qu’elles ne soient pas assez disponibles. Et de leur côté  des hommes qui voudraient individuellement prendre des congés subissent aussi le poids des stéréotypes.

Ainsi souligne Françoise Milewski, l’imbrication permanente entre la sphère professionnelle et la sphère personnelle est une caractéristique  spécifique  des inégalités entre les femmes et les hommes par rapport aux autres formes d’inégalités. S’il n’y a pas de partage au sein de l’entreprise c’est aussi parce qu’il n’y a pas de partage au sein de la famille et inversement, s’il n’y a aussi peu de partage au sein de la famille c’est parce que dans l’entreprise, les femmes sont discriminées.

Image masculine du pouvoir

Un autre facteur d’inégalités entre les femmes et les hommes relève du poids de stéréotypes : le pouvoir est considéré comme masculin. Une femme qui a un poste de pouvoir n’est plus considérée comme féminine. On dit parfois qu’elle « travaille aussi bien qu’un homme ». Ou bien on commente  la façon dont une femme de pouvoir s’habille.

Les femmes finissent par intérioriser ces contraintes. On peut assister à des phénomènes d’auto censure et d’auto éviction. Mais, selon Françoise Milewski, « ce n’est pas le phénomène majeur ». Il faut prendre en compte les phénomènes économiques et les processus de construction des inégalités et ne pas aboutir à considérer que ce sont les gens discriminés qui sont responsables eux-mêmes de leur discrimination.

Évolution des structures familiales

Les évolutions démographiques et des structures familiales  sont également à prendre en compte : l’accroissement du nombre de séparations et donc le développement du nombre de familles monoparentales, presqu’exclusivement féminines constituent une cause nouvelle  et importante des inégalités. La rupture conjugale peut faire basculer la femme qui a la charge des enfants, dans une situation de précarité, voire de pauvreté.

La pauvreté n’est plus réservée aux chômeurs. Elle touche désormais les personnes en emploi, notamment  les femmes en situation de famille monoparentale avec une charge d’enfants, ayant un temps partiel contraint, ou un niveau de bas salaire. 

Les politiques publiques 

Les politiques publiques peuvent d’abord  agir au niveau de l’éducation, explique Françoise Milewski. Dans les écoles, les enseignants et les conseillers d’orientation doivent être formés aux inégalités entre les filles et les garçons. Si les uns et les autres reproduisent des stéréotypes, ils ne le font pas forcément de façon consciente. C’est le produit de la société dans son ensemble.

Des lois contraignantes pour les entreprises

Au niveau des entreprises, des lois contraignantes sont, selon elle, nécessaires. Ainsi, constate-t-elle, la loi sur les quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises qui impose 40 % de femmes en 6 ans permet d’obtenir des résultats manifestes parce qu’elle est assortie de sanctions. En matière d’égalité de salaire, les lois s’accumulent mais les résultats se font attendre. Il faut contraindre les entreprises à agir mais la loi actuelle est limitée par ses décrets d’application.

En effet, pour apprécier les discriminations, il ne faut pas seulement prendre en compte deux personnes qui ont le même emploi, la même fonction, il faut raisonner sur des emplois de valeur égale. Cela permettra, par exemple, de comparer un emploi dans une industrie avec un emploi dans le secteur  tertiaire. De plus, le parcours de carrière doit être considéré dans sa globalité afin d’identifier les raisons de la disparité des carrières entre un homme et une femme qui ont démarré avec le même niveau de diplôme sur le même poste.

Ingérence dans la sphère privée ?

La loi  peut-elle  intervenir sur la sphère privée ?  Certes explique Françoise Milewski  ce n’est pas aux politiques publiques de dicter la répartition des taches domestiques. Mais  elles  peuvent avoir une  influence  et selon elle,  les politiques publiques actuelles manquent  avant tout de cohérence.

D’un côté, elles affirment la volonté d’une parité hommes/femmes au sein de la famille, et de l’autre côté, les mesures prises sont inadaptées. Par exemple : les congés parentaux qui  ne sont pas assez rémunérés sont essentiellement pris par des femmes. Les exemples scandinaves sont intéressants, souligne  Françoise Milewski : le congé paternité est plus long, le congé parental comporte une part non cessible, c’est-à-dire que si l’homme ne prend pas sa part du congé, elle est perdue.

Pas seulement le 8 mars

Les politiques publiques  doivent être  suivies. La question ne doit pas être abordée publiquement uniquement un jour par an  le 8 mars. Chaque  politique publique -comme par exemple la réforme des retraites – devrait intégrer la préoccupation de  l’égalité entre les femmes et les hommes  et être mesurée à l’aune de son effet sur ces inégalités.

Françoise Milewski souligne également  l’importance  que   les femmes s’organisent elles-mêmes, comme elles  le font  de plus en plus  par exemple dans les entreprises à travers des réseaux de femmes pour rendre « les inégalités visibles »  essayer de faire pression  notamment par des recours à  l’ex Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. « Il faut en parler » conclut Françoise Milewski, tout en reconnaissant que « C’est un sujet qui est un peu plus sur le devant de la scène qu’il ne l’était il y a quelques années. »

La HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) a été dissoute le 1er mai 2011. Elle est désormais remplacée par le Défenseur des droits

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