Faut-il séparer les banques de dépôt et les banques d’investissement ?

la finance pour tous

Cette interview a été réalisée en 2012. Le contenu de ce décryptage doit être considéré dans ce contexte.

La séparation des banques en banques de dépôt et banques d’investissement est une question qui est revenue sur le devant de la scène suite à la crise de 2008. Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie, livre son analyse sur ce sujet.

Les motifs

De la crise de 1929 à la crise de 2008

L’idée  de séparer les banques de dépôts et les banques d’investissement trouve son origine dans la crise des années 1930, aux États-Unis, explique Pierre-Noël Giraud.
Elle a pris la forme d’une loi adoptée en 1933, connue en France sous le nom de Glass Steagall Act. Cette loi a fait la distinction entre les établissements bancaires de dépôts (les banques commerciales) et les banques d’affaires. 
Cette idée est venue de ce que la crise des années 1930 a commencé par une crise boursière, mais qui s’est propagée à tout le système bancaire dont la paralysie a généré une très forte amplification de la crise. Les banques ont prêté de l’argent à des investisseurs qui achetaient des actions, se contentant  de prendre les actions en garantie des prêts.
Cela a amplifié le mouvement de hausse du cours des actions jusqu’à conduire au krach. Mais, une fois celui-ci intervenu, les banques  n’ont plus été remboursées des prêts qu’elles avaient accordés. Certaines ont fait faillite, entrainant la chute d’autres banques et  provoquant une véritable crise du système bancaire qui s’est abattu comme un château de cartes.
Résultat : plus personne dans l’économie ne trouvait de crédit. Le marché immobilier aussi bien que l’industrie était en panne. Même si un industriel avait un bon projet, il ne pouvait pas le financer. On a tiré comme leçon de cet épisode  que la monnaie et le crédit doivent être protégés  des fluctuations des marchés financiers.

Aujourd’hui, l’idée revient dans le débat de nouveau, la crise que nous connaissons est partie de la finance. Un certain nombre de produits financiers très sophistiqués qui avaient été fabriqués par des banques d’affaires sont apparus subitement comme risqués. On a parlé à ce sujet de produits toxiques.

Mais la crise s’est ensuite propagée à l’économie à travers les banques dont une large part est désormais constituée de banques universelles qui  détenaient notamment des actifs toxiques. Certaines banques ont commencé à faire faillite. La confiance entre les banques a disparu comme dans les années 1930. Il a fallu que les banques centrales injectent énormément de liquidités pour que les paiements interbancaires et le système de crédit continue de fonctionner. Mais le choc venu de la finance a néanmoins ralenti l’activité de crédit, ce qui a contribué à transformer la crise financière en crise économique.

Même causes mêmes effets, note Pierre-Noël Giraud. La question est  donc à nouveau posée de savoir s’il ne serait pas opportun d’établir une séparation entre ces différentes banques, puisqu’aujourd’hui les grandes banques universelles européennes font à la fois des activités de dépôts et de crédits, de la gestion de patrimoine éventuellement, de gros patrimoines, éventuellement de la gestion à risque de gros patrimoines. Et elles investissent elles-mêmes sur les marchés financiers pour leur compte propre.

Protéger les activités de crédit de l’instabilité de la finance de marché

Au total, l’idée qui sous-tend les propositions de séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement est qu’il faut éviter que ce qui se passe sur les marchés financiers contamine l’activité de crédit.

La finance de marché, insiste Pierre-Noël Giraud, est et sera toujours instable. Cela tient au fait que le prix d’un actif de marché, tel que le prix d’une action par exemple correspond à l’évaluation que l’on fait aujourd’hui de l’avenir d’une entreprise.  Si on pense  qu’elle va faire des bénéfices croissants, son prix monte. Si on pense qu’elle va  rencontrer des difficultés, son prix baisse. Un prix qui est ainsi une simple anticipation du futur peut fluctuer considérablement, si les investisseurs financiers deviennent tout d’un coup plus pessimistes ou plus optimistes. La volatilité de la finance de marché est donc inévitable.
Ce n’est pas la peine d’essayer de la réduire, mais  on peut essayer d’éviter que ces fluctuations se traduisent par des faillites de banques ou même, sans aller jusque-là, par le fait que les banques, ayant fait des pertes sur les marchés financiers, cherchent à  reconstituer des réserves  en restreignant ou en renchérissant  leurs activités de crédits.

Les Modalités

Séparation ou très grosse banque ?

Certains banquiers avancent l’argument que les interdépendances entre les activités de crédit et les activités de marché et entre les différents compartiments des activités de marché sont tellement étroites, qu’il est  devenu techniquement impossible de réaliser la séparation. A tout le moins elle pourrait avoir des effets négatifs importants que l’on a du mal à mesurer.
Il faut certes écouter les banquiers qui connaissent leur métier, affirme Pierre-Noël Giraud. Mais, selon lui, l’argument n’est pas recevable. Il incite cependant à considérer ce dossier de façon approfondie avec toute l’expertise nécessaire. Il ne s’agit pas de recopier le Glass Steagall Act mais de dégager des solutions modernes.

Face à l’argument de l’imbrication et de la complexité,  d’autres considèrent que la protection des activités bancaires contre la volatilité des activités de la finance de marché peut être obtenue par la constitution d’énormes banques dans lesquelles l’influence des  activités de marché serait  d’autant plus limitée que les banques devraient respecter des ratios prudentiels renforcés.

Au total, il y a donc deux modèles possibles :

  • la très grosse banque qui continue de prendre des risques sur les marchés et respecte des amortisseurs proportionnés
  • ou la séparation, parce qu’on ne croit pas qu’en cas de sérieux décrochages sur les marchés financiers, les banques, même très grosses, pourront s’en sortir en faisant seulement payer leurs actionnaires.

Une vraie séparation bancaire

Selon  Pierre-Noël Giraud, si on opte pour la séparation, il ne s’agit pas de se contenter d’une filialisation de la finance de marché. Si la filiale fait faillite, et si la « banque mère » apporte de l’argent à sa filiale, on n’aura rien résolu.
La séparation bancaire doit consister dans la création de deux établissements différents avec des actionnaires différents prenant des risques différents. Les banques d’affaires prennent éventuellement de très gros risques qui  peuvent produire des profits élevés mais aussi des pertes qui ne doivent être subies que par leurs actionnaires.
Comme le disait Maurice Allais, le seul prix Nobel français d’économie, il faut empêcher les banques  de spéculer avec  l’argent  qu’elles créent  comme il faut empêcher les filiales  des banques ou les fonds d’investissement de spéculer avec de l’argent prêté par les banques. On n’empêchera jamais la spéculation mais il faut que les spéculateurs spéculent avec leur argent, pas avec celui des autres.

Lehman Brothers, une banque d’affaire à l’origine de la crise  

Contre l’idée de séparation, on fait remarquer que la banque dont la faillite a déclenché la phase effective de la crise en 2008 était une banque d’affaires qui n’avait  aucun dépôt, qui ne faisait pas de crédit et qui était formellement séparée des autres établissements bancaires. La séparation ne serait donc pas protectrice.

En fait, explique Pierre-Noël Giraud, la faillite de Lehman Brothers a entrainé une contagion à l’ensemble du système parce qu’il y avait une interdépendance très étroite entre Lehman Brothers et les autres banques.
Non parce que les banques détenaient du capital de la banque  d’affaire mais parce qu’elles lui avaient accordé des prêts importants et qu’elles lui avaient acheté des instruments dérivés que la banque d’affaire avait fabriqués. Lorsque Lehman Brothers a fait faillite chaque  banque savait  ce que  Lehman lui devait mais ne savait pas ce qu’elle devait aux autres banques.
Les banques se sont donc méfiées les unes des autres. Cela a provoqué une crise générale de liquidité bancaire et le blocage des activités de crédit.
Il a fallu l’intervention des banques centrales qui ont très bien réagi en alimentant les banques en liquidités pratiquement sans conditions.

Quand on parle de séparation, conclut Pierre-Noël Giraud,  la séparation du capital des banques de dépôts et des banques d’affaires n’est pas seule en cause.
Les banques de dépôts ne doivent pas avoir le droit de prêter aux banques d’affaires. Celles-ci ne doivent pas pouvoir spéculer avec  de la monnaie créée par les banques de dépôts. Dans le système de séparation que l’on peut imaginer la faillite éventuelle d’une banque d’affaires ne doit  léser que ses actionnaires et ceux qui lui ont confié leur épargne.
Il y a des pertes mais elles ne concernent que ceux qui  ont pris des risques en toute connaissance de cause.

    8 commentaires sur “Faut-il séparer les banques de dépôt et les banques d’investissement ?”
      1. Bonjour,

        Une banque de flux est un établissement bancaire spécialisé dans le financement du commerce international et dans la gestion de trésorerie.

        Meilleures salutations,

        L’Equipe de Lafinancepourtous.com

    1. Certains disent : »Il semble qu’il faille protéger les activités de crédit de l’instabilité de la finance de marché ».
      Si l’activité de marché n’est pas profitable pour les banques, pourquoi y-vont-elles ?
      Il y a certainement des perdants et des gagnants parmi les acteurs mais est-ce un jeu à somme nulle au total ? ou bien le bilan global est un enrichissement des acteurs sur ce marché ?
      Autre question sur la titrisation qui est si j’ai bien compris, un outil de couverture du risque. Le fait de diluer le risque sur une multitude d’acteur ne diminue en rien son niveau global ? Alors quel est l’intêret ?
      Merci

      1. Bonjour,
        Pour les banques, l’activité de marché peut s’avérer particulièrement profitable. Votre citation illustre surtout le fait que cette activité génère une forte instabilité et un risque pour les banques. Le danger est que plusieurs banques subissent des pertes élevées et que le système économique dans son ensemble fasse face à ce que l’on appelle un risque systémique. C’est pourquoi, certains économistes recommandent de séparer les activités de banque de dépôt et de banque d’investissement. Par ailleurs, l’intérêt de la titrisation est de permettre une dilution du risque global associé à certains actifs financiers. Si tous les risques ne se réalisent pas en même temps, la titrisation permet, en effet, de réduire le risque global. Au contraire, lorsque plusieurs risques se réalisent simultanément et/ou qu’il est difficile d’appréhender le niveau de risque associé à chaque actif titrisé, comme lors de la crise des subprimes, la situation est tout autre.
        Meilleures salutations,
        L’Equipe de Lafinancepourtous.com

    2. Aujourd’hui, c’est une evidence, réguler la finance, taxer les transactions financières, séparer les banques d’affaires des banques de dépôts et crédit (vrai metier de la banque), médiocriser les rendements des transactions speculatives, c’est à terme ramener l’argent à sa vraie place, l’economie réelle. Dès lors, il sera possible de bâtir une économie écologique et sociale solide.

      1. Il se peut que le facteur bloquant de la séparation s’explique aussi par le point suivant : les banques systémiques trouvent un avantage à pouvoir « investir » dans les marchés financiers où des rendements importants sont possibles. L’utilité sociale de ces marchés reste à démontrer. Elle n’a fait à ce jour l’objet d’aucune explication convaincante.
        L’hypothèse selon laquelle la recherche de rendement est effectuée pour elle-même, et dans l’intérêt exclusif de l’établissement lui même (actionnaires, mandataires sociaux et salariés interessés au résultat) se pose en revanche avec une certaine insistance.
        Ce qui surprend, c’est l’incapacité des pouvoirs publics à mettre fin à la porosité entre l’activité dite « d’affaires » et l’activité commerciale traditionnelle (dépot et crédit, source-unique- de création monnaitaire).
        Car cette porosité oblige l’établissement financier à puiser dans les résultats de la branche commerciale pour éponger les pertes de la branche affaires.
        Or la branche commerciale est garantie par l’Etat à hauteur de 100 000 euros par compte au profit des déposants. De sorte que les pertes grevant trop lourdement et par ricochet la branche commerciale obligeraient le contribuable à couvrir l’incapacité de la banque à honorer les dépôts, c’est à dire la dette de la banque contractée à l’égard de ses clients (dette qui l’oblige à payer à première demande la somme « déposée » – en réalité prêtée – par le client)
        Le risque que font ainsi peser les banques systémiques (bnp, credit agricole, société générale et BP) sur l’Etat est tel que l’Etat se trouve en définitive en position de fragilité pour imposer quoi que ce soit à ces établissements, qui peuvent agiter en permanence la menace suivante : si nous coulons, vous coulez avec nous.
        La conclusion est assez déroutante : les profits réalisés sur les marchés financiers sont privatisés au bénéfice des actionnaires, mandataires sociaux et salariés intéressés au résultat.
        Les pertes, si elles prennent une ampleur catastrophiques, sont mutualisées sur la tête du contribuable.
        C’est ce qui s’est passé en 2008, plombant la dette publique, et obligeant l’Etat à réduire sa dépense publique utile (hopitaux notamment).
        Aujourd’hui, cette situation se cristallise autour d’une conséquence dramatique qui peut être ainsi résumée : la mutualisation directe des pertes constatée sur des marchés dépourvus -jusqu’à preuve contraire- d’utilité sociale, en 2008, est directement à l’origine d’une incapacité des services publics sanitaires à faire face à une urgence vitale collective.
        Il n’est pas sur que nous ayions réellement et collectivement choisi, en connaissance de cause, une telle corrélation. Pour autant elle est advenue et se manifeste avec une certaine criticité.
        Envisagée sous cet angle, la séparation des activités d’affaires et commerciales des banques systémiques n’est pas véritablement une option à débattre.
        Il s’agit d’une impérieuse et immédiate nécessité puisque la perturbation de l’économie réelle va rétroagir rapidement sur le système financier en provoquant un krach inéluctable à présent, à court terme.
        La façon dont nous épongerons les conséquences de ce krach (en les laissant à ceux qui en ont créé les conditions en poursuivant leur seul profit, ou en la mutualisant à nouveau sur les ménages et entreprises qui sont les acteurs de l’économie réelle) dessinera, selon deux schémas radicalement différents, la reprise à venir.

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