27 juillet 1910 : la condamnation d’Henri Rochette, le « Bernard Madoff français »

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Le 27 juillet 1910, Henri Rochette était condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir commis diverses fraudes financières et avoir mis en place une pyramide de Ponzi. L’affaire prend une tournure politique, qui culmine, en 1914, avec l’assassinat du directeur du Figaro par Henriette Caillaux, la femme du ministre des Finances de l’époque. Retour sur le dernier scandale de la Belle Epoque.

De l’escroquerie financière…

Fondateur d’un établissement bancaire en 1904, la Société générale du crédit minier et industriel, et de neuf sociétés, notamment minières, entre 1905 et 1909, Henri Rochette est reconnu coupable par le Tribunal correctionnel de Paris le 27 juillet 1910 d’opérations financières frauduleuses, allant de la majoration des apports à la production de bilans frauduleux en passant par la distribution de dividendes fictifs. Au fil de la création de ses sociétés, il met en effet sur pied un véritable schéma de Ponzi où les nouvelles émissions de titres servent à financer les dividendes, fictifs, versés aux premiers actionnaires.

On estime alors à près de 120 millions de francs le montant total des titres émis par les sociétés de Rochette, soit environ 0,3 % du PIB français en 1910. A titre de comparaison, les fraudes de Ponzi et de Madoff représentaient environ 0,02 % et 0,46 % du PIB américain respectivement en 1920 et 2008.

Henri Rochette « achète » la presse

Henri Rochette est « le dernier escroc de la Belle Époque et le premier des Années folles » selon les mots des historiens G. Guilleminault et Y. Singer-Lecocq. L’affaire Rochette est, en effet, annonciatrice des scandales financiers de l’entre-deux-guerres – Hanau, Stavisky ou encore Oustric –, notamment par son utilisation de la presse écrite. Rochette utilise en effet une publicité effrénée pour diffuser ses titres au sein du public, que ce soit dans ses organes de presse propres, La Finance Pratique et le Bulletin Financier de la Banque Franco-Espagnole ou bien dans d’autres journaux nationaux, profitant ainsi de « l’abominable vénalité de la presse » française.

En l’absence de tout code déontologique propre à la profession – le statut de journaliste professionnel n’est officiellement reconnu en France qu’à partir de 1935 –, de nombreux « articles » vantant les mérites de tel ou tel placement sont publiés, en contrepartie d’une rémunération, parfois substantielle. 

Par exemple, le Crédit Minier et Industriel dépense près de 500 000 francs en publicité entre le 1er janvier et le 21 mars 1908, notamment pour accompagner la souscription des actions de préférence de la société Buissons Hella, dernière née du groupe Rochette. Ce dernier chiffre représente à lui seul environ 10 % du montant attendu des souscriptions !

… au scandale politique

Rochette est arrêté le 21 mars 1908, suite à la plainte de Louis Lépine, préfet de Police, agissantsemble-t-il sur l’ordre direct de Clemenceau, président du Conseil. Afin de faire la lumière sur « les circonstances qui ont préparé, précédé, accompagné ou suivi l’arrestation du financier Rochette », une commission d’enquête parlementaire est constituée le 11 juillet 1910 avec, à sa tête, Jean Jaurès. La commission a notamment pour mission de déterminer si Clemenceau et Lépine ont cherché à déstabiliser des adversaires politiques via l’arrestation de Rochette. On croit l’affaire terminée lorsque la commission lève tout soupçon sérieux à l’égard de Clemenceau et de Lépine et que Rochette est condamné en première instance le 27 juillet 1910 à deux ans d’emprisonnement par le Tribunal correctionnel de Paris.

Toutefois, l’affaire rebondit lorsqu’une campagne de presse accuse Joseph Caillaux, alors ministre des Finances, d’être intervenu personnellement pour repousser la tenue du procès en appel de Rochette et de lui avoir ainsi permis de perpétuer ses activités délictueuses. Rochette est finalement condamné en appel en janvier 1912 à trois ans de prison. Toutefois, cela ne clôt  pas le volet politique de l’affaire qui culmine en mars 1914 avec l’assassinat de Gaston Calmette, directeur du Figaro, par Henriette Caillaux, l’épouse de Joseph Caillaux, à qui elle reproche d’avoir publié des articles sur des pressions exercées par Caillaux pour réduire la peine de Rochette.

L’épilogue de l’affaire Rochette

En 1912, Rochette parvient finalement à s’enfuir avant son incarcération avant d’être retrouvé au cours de la Première Guerre mondiale. Dans les années 1920, il est de nouveau au centre d’une affaire d’escroqueries financières. Arrêté en 1927, il se suicide en 1934 au Palais de Justice au cours de son procès en appel !

L’affaire Rochette a, néanmoins, attiré l’attention des contemporains sur le manque de régulation entourant l’émission de valeurs mobilières en France et la tenue de livres comptables. La loi de 1907 constitue un premier pas timide vers une plus grande transparence financière. Elle organise la publicité autour des émissions de titres financiers offerts au public et prévoit l’insertion d’une notice explicative dans le Bulletin des annonces légales et obligatoires.

Une autre conséquence de l’affaire Rochette est la création d’une section financière au sein du Parquet de la Seine en 1912. Il s’agit de la première institution judiciaire en France à être spécialisée dans les affaires financières. Enfin, ce scandale ouvre la voie à de premières réflexions sur la normalisation comptable qui rythmeront toute la période de l’entre-deux-guerres avant la réforme du rôle de commissaire aux comptes en 1935 et l’adoption d’un premier plan comptable en 1942 !

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