Ce que les Etats-Unis reprochent à l’organe d’appel de l’OMC

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Les reproches adressés par les États-Unis à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) ont atteint un niveau paroxysmique lors du mandat présentiel de Donald Trump. Ils s’inscrivent, pourtant, dans une longue tradition.

Depuis plusieurs années, les États-Unis bloquent le fonctionnement de l’Organe d’appel en empêchant le remplacement des juges qui y siègent, chargés d’examiner en appel les différends commerciaux entre États.

La montée en puissance de l’Organe d’Appel de l’OMC

L’organe d’appel de l’OMC (l’OA) a été créé par l’Accord de Marrakech de 1994. Dès lors que plusieurs pays sont en litige par rapport à l’application des règles de l’OMC et que le processus de consultation entre plaignant(s) et défenseur(s) a échoué, un groupe d’experts choisi par l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC (l’ORD) est constitué pour examiner la plainte.

Leur rapport est ensuite approuvé quasi-automatiquement par l’ORD. Si une des parties n’accepte pas le rapport du panel d’experts, il peut encore porter le cas en appel, où il sera revu par l’OA.
L’OA est composé de 7 juges, nommés pour 4 ans, qui doivent être au moins 3 pour étudier un cas.

Alors que l’OA est censé être sollicité exceptionnellement, en cas de désaccord grave avec les conclusions des groupes d’experts, c’est un outil de plus en plus utilisé : ainsi, en moyenne 67 % des différends ont été en appel entre 1995 et 2014. L’OA a donc une grande influence sur les relations commerciales internationales et cette influence est croissante avec la multiplication des procédures d’appel : en 2016, 90 % des rapports ont fait l’objet d’un appel (contre les 2/3 dans les années précédentes).

Dans ce contexte, les États-Unis sont le pays qui dépose le plus de plaintes auprès de l’OMC mais aussi celui contre lequel on dépose le plus de plaintes au monde. Les États-Unis sont donc particulièrement concernés par système de conciliation de l’OMC.

L’« activisme judiciaire » de l’OA

Les États-Unis critiquent ce qu’ils qualifient d’ « activisme judiciaire » de l’OA : cela consiste pour un organe judiciaire, par sa jurisprudence, à interpréter la loi et pas seulement à l’appliquer, au point de remplacer le législateur dans son rôle et de créer de nouveaux droits ou principes.
Du point de vue des États-Unis, le rôle de l’OA devrait se résumer à appliquer les règles de l’OMC et corriger les erreurs de droit commises par le groupe d’experts. Dans les faits, les États-Unis reprochent à l’OA une tendance à vouloir combler les lacunes des textes et établir un principe complémentaire là où les règles de l’OMC ne disaient rien.

Pour les États-Unis, ces omissions sont intentionnelles et indiquent que les États n’ont pas réussi à s’accorder sur ce point particulier, qui a vocation à rester non traité. En souhaitant répondre aux vides de la loi, l’OA créerait de nouveaux principes qui auraient dû être réglés par la négociation entre États directement.
Enfin, les décisions de l’OA tendent à produire des avis sur des questions de droit qui font ensuite jurisprudence plutôt qu’à étudier seulement le différend porté devant lui.

Pour les États-Unis, l’OA a permis aux pays de l’OMC de se passer de négociations (qui impliqueraient des concessions), pour réclamer à l’OA de lui concéder des avancées sur des points précis. Alors que l’OMC devrait être un organe de négociations où les États s’accordent de leur propre gré, l’OA permettrait de contourner la volonté souveraine des pays de l’OMC. L’OA s’arrogerait une sorte de droit de législateur, alors que l’OMC repose fondamentalement sur le principe de négociations et d’accord entre Etats souverains.
Preuve de cet activisme croissant de l’OA, il renverse ou modifie 85 % des décisions du panel d’experts.

Un exemple : le différend États-Unis/Chine sur les entreprises d’Etat

En 2011, un différend oppose la Chine aux États-Unis. Ceux-ci avaient établi des mesures anti-dumping contre des entreprises d’État chinoises en réaction aux subventions massives dont elles bénéficient, qui entraînent une surproduction dans certains secteurs en Chine et leur permet de submerger les marchés mondiaux avec des produits bon marché (c’est le principe du dumping).

L’article 1.1 de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC définit comme une subvention les aides apportées par tout « organisme public », sans autre précision. Les entreprises d’État chinoises étaient considérées comme des organismes publics par les États-Unis car elles étaient majoritairement contrôlées par le gouvernement chinois. La Chine a opposé à cela que ces entreprises n’étaient pas investies d’une autorité et fonction gouvernementales.

L’OA a donné raison à la Chine. Pour rendre cette décision, il s’est appuyé sur plusieurs déclarations, projets d’articles, etc. qui n’étaient pas dans les accords de l’OMC ou n’avaient finalement pas été adoptés. Dans le même temps, l’OA a établi une définition très restrictive d’ « organisme public », dont on peut arguer qu’elle n’était pas celle des rédacteurs.

Cette décision a fait jurisprudence puisqu’elle a été évoquée en 2014 pour débouter une plainte analogue de l’Union européenne contre la Chine. Désormais toute entreprise, bien que majoritairement contrôlée par l’État, ne peut être considérée comme un « organisme public » si le plaignant ne peut faire la preuve qu’elle est investie d’une autorité d’État.

Non seulement la décision de l’OA encourage la Chine à persister dans son modèle de « capitalisme d’État », quand celui-ci ne devait être qu’une étape transitoire vers le capitalisme de marché, mais elle encourage la Chine à faire preuve d’opacité en dissimulant le contrôle qu’elle exerce sur ses entreprises par des montages bancaires ou administratifs complexes.

Les griefs que les États-Unis entretiennent contre l’organe d’appel de l’OMC sont donc loin d’être absurdes. Face aux défaillances de cet organisme, le pays a néanmoins adopté une réaction unilatérale sans nuances qui menace grandement tout le système de conciliation de l’OMC.

Le blocage du renouvellement des juges de l’OA

Les juges de l’organe d’appel sont nommés à l’unanimité, ce qui a permis aux États-Unis de bloquer les trois derniers renouvellements de sièges. Cette politique de sape de l’OA ne date pas de l’élection de Donald Trump et les griefs des États-Unis contre le rôle de l’OA n’ont pas seulement à voir avec un nationalisme populiste. En effet, c’est l’administration Obama qui avait bloqué le remplacement des trois derniers départs, en 2011, 2014 et 2016.

Etant donné que l’OA doit compter 3 juges pour juger des différends, l’institution pourrait ainsi être bloquée dès décembre 2019. De plus, puisqu’un juge ne peut traiter un cas auquel son pays d’origine est partie, l’OA ne pourrait plus revoir de cas concernant les États-Unis dès septembre 2018.
Les États-Unis peuvent ainsi très rapidement paralyser complètement tout le processus de conciliation de l’OMC.
Ce blocage est préoccupant non seulement pour l’OA, mais pour le système de négociation de l’OMC dans son ensemble. En effet, dès lors qu’un pays fait appel des conclusions du rapport d’experts, celui-ci ne peut être examiné pour être adopté. Il suffirait donc à un pays de faire appel d’une décision qui ne lui est pas favorable pour bloquer l’examen du rapport et empêcher toute adoption puisque l’OA ne pourra pas délibérer.
L’OMC risque donc de rapidement faire face à une crise grave.

Une clarification nécessaire

Les griefs les plus compréhensibles et sérieux des États-Unis vis-à-vis de l’OA se rapportent à la tendance de celui-ci à combler les « ambiguïtés constructives », car prévues par les pays signataires, dans les textes de l’OMC. Celles-ci appellent un supplément de négociation et ne peuvent être résolues par un organisme judiciaire.

Cette crainte n’est pas l’apanage des États-Unis et a aussi été émise par le Mexique, l’Inde, le Chili, l’Argentine, le Pakistan, le Costa Rica, la Malaisie et la Turquie. S’il a condamné la méthode brutale de blocage des nominations de juges de l’OA, Emmanuel Macron a également reconnu les dysfonctionnements de l’OMC le 30 mai 2018 : « nous devons améliorer son fonctionnement, notamment celui de son organe d’appel. »

Pour résoudre les problèmes de l’OMC il conviendrait de clarifier par la négociation les ambiguïtés constructives des règles de commerce international, en particulier sur le sujet du dumping chinois qui préoccupe tout autant l’Union européenne que les États-Unis.
On peut regretter que la méthode des États-Unis, qui consiste à paralyser plutôt qu’à réformer, risque de jeter le bébé (l’OMC) avec l’eau du bain (les dysfonctionnements de l’OA).

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