Vers des échanges sans espèces ?

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Depuis des années, le nombre de paiements en espèces décroit. La pandémie de COVID-19 a encore accéléré la tendance. Le nombre de DAB/GAB (distributeurs et guichets automatiques) est également en régression. Quelques pays envisagent déjà de vivre sans espèces. Mais le « cash » reste l’un des moyens de paiement favoris des Français.

Les transactions en espèces

En France, en 2019, près de 60 % des achats en magasin étaient payés en espèces alors que cette part était de près de 70 % cinq ans avant.

De plus, 39 % des Français déclarent avoir réduit leur utilisation des espèces depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, pour différentes raisons :

  • le relèvement, depuis mai 2020, à 50 euros du plafond du paiement par carte sans contact ;
  • la crainte (non fondée, probablement) d’être infecté.e en manipulant pièce ou billet.
    Le Défenseur des droits a rappelé que le refus par les commerçants de paiement en espèces ne fait pas partie des mesures restrictives tolérées pour lutter contre la propagation du virus Covid-19 et qu’il reste donc illégal.

Répartition moyen de paiement en France

L’accès aux espèces

Même si l’étude 2019 de la Banque de France confirme le maintien à un très bon niveau de l’accessibilité aux billets sur le territoire, le nombre de DAB/GAB continue à reculer (près de 2 000 de moins chaque année, sur un parc en 2019 de plus de 50 000).

Pour contrer cette diminution, qui touche toutes les implantations mais qui est très sensible, tant pour les consommateurs que pour les élus en charge de l’aménagement du territoire, dans les zones rurales (et, dans une moindre mesure, périurbaines), des nouveautés (hors moyens de paiement alternatifs) se font jour :

  • le cash back : remise d’argent liquide par un commerçant de l’excédent d’un paiement par carte bancaire par rapport au coût de l’achat (gratuit ou payant – maximum : 60 €) ;
  • le paiement par une collectivité territoriale (ex : mairie) d’un loyer pour qu’un établissement bancaire (ou un groupement) installe ou ne retire par un DAB/GAB ;
  • l’installation d’un DAB/GAB par un autre opérateur, tel un transporteur de fonds (ex : Brinks qui a sélectionné, en 2019, 50 communes réparties dans 28 départements, pour une telle implantation). Malgré des frais initiaux souvent gratuits (environ 15 000 €), la collectivité paie une redevance, variable selon les volumes de retrait avec un seuil bas autour de 1 500 par mois.

Même si elle n’accueille plus de particuliers à ses guichets, la Banque de France a dans ses missions de veiller à l’accès aux espèces et, régulièrement, dans ses rapports de l’observatoire des moyens de paiement, elle rappelle l’obligation d’un maillage suffisant.

Coût de la gestion des espèces

En 2014, les coûts inhérents à la gestion de ces espèces s’élevaient à environ 50 milliards d’euros par an en zone euro, coûts principalement supportés par les commerçants et répercutés sur les consommateurs :

  • le coût du transport des espèces collectées par le commerçant vers la banque ;
  • le coût des procédures de contrôle internes pour éviter les détournements ;
  • le coût du temps du personnel consacré à la manipulation des espèces ;
  • le coût du comptage et de la préparation des fonds de caisse ;
  • le coût des erreurs.

Une autre source de coûts, plutôt à la charge des banques mais aussi répercutés sur les consommateurs, est la gestion des DAB/GAB : 35 000 € à l’achat (hors installation), auxquels s’ajoutent les frais de maintenance et ceux de fonctionnement courant (ex : approvisionnement).

Ces frais ne sont pas supportés par les banques à réseau peu étendu ni par les banques digitales. C’est pourquoi, une commission a été mise en place entre la banque gérant le DAB/GAB et celle tenant le compte de la personne qui l’utilise (0,89 € depuis début 2020). Ce qui explique aussi pourquoi la plupart des banques font payer aux porteurs de cartes certains retraits : trop nombreux, réalisés dans d’autres DAB/GAB que ceux de leur réseau (retraits dits déplacés).

Pourrait-on supprimer les espèces ?

Bien sûr, au-delà d’une acceptation par les consommateurs, il faudrait changer la loi car l’article R642-3 du Code Pénal, par exemple, interdit à un commerçant, en France, de refuser un paiement en argent liquide pour un montant inférieur à 1 000 euros. Et trouver des substituts à tous les usages des espèces dont :

  • acheter des biens et des services, bien sûr,
  • constituer une forme d’épargne de précaution, particulièrement en période d’incertitudes économiques ou de troubles politiques. Cette thésaurisation est le fait de nationaux mais existe aussi à l’international. Elle n’alimente pas les circuits économiques comme l’investissement ou la consommation mais représente plus de la moitié de l’argent liquide ;
  • permettre à ceux qui n’ont pas accès facilement aux services bancaires (ex : immigrants) de disposer de moyens de paiement, d’échanges pour vivre.

Mais, une éventuelle disparition des espèces se heurterait à de fortes réticences sociétales dont :

  • pour de nombreux consommateurs, notamment les plus économiquement fragiles, disposer d’espèces est rassurant et payer en espèces est plus signifiant pour eux qu’un paiement scriptural, trop immatériel et ne permettant pas d’appréhender ses limites (le montant disponible) ;
  • soit par idéologie, soit pour couvrir des modes de vie moins linéaires, certains considèrent que les espèces contribuent à la liberté et que le recours généralisé aux moyens de paiement scripturaux constitue un risque pour celle-ci (« flicage ») ;
  • même si ce n’est pas prouvé par les statistiques, la crainte de subir plus de fraudes ou d’arnaques avec les paiements électroniques qu’avec le cash est parfois ressentie.

Aussi, pour limiter les usages « déviants », réduire les coûts générés et du fait de l’existence d’outils de paiement de substitution, quelques États ou provinces poursuivent l’objectif de supprimer le « cash », comme la Suède, le Danemark, la Norvège, le Québec ou la Corée du Sud…

En France a été menée en 2019 une étude sur les conséquences éventuelles d’une suppression des espèces. Elle montre que la société française n’est pas prête pour un tel changement (80 % des Français disaient privilégier la monnaie sonnante et trébuchante pour les dépenses du quotidien). De plus, toute stratégie pour réduire encore la part des espèces dans les échanges devrait :

  • s’insérer dans une réflexion européenne pour ne pas s’isoler ou gérer des difficultés pour les touristes ou encore se retrouver en contradiction avec des accords européens) ;
  • prendre en compte l’impact sur les plus fragiles comme les personnes âgées, les malvoyants ou les immigrants ;
  • convaincre ceux qui utilisent le plus les espèces et, en particulier, les millions de bénéficiaires des prestations sociales qui, le jour de leur versement, s’empressent d’en retirer le montant sur les DAB/GAB ou aux guichets des banques ;
  • passer par la formation des plus fragiles économiquement à la gestion budgétaire, à l’utilisation des moyens de paiement alternatifs…
  • intégrer les risques liés aux conséquences des cyberattaques, par exemple.

La fin des espèces : Le cas de la Suède  et d’un retour en arrière imposé

Dès 2012 les banques du pays ont lancé le service de paiement instantané électronique Swish. Un large succès, puisque seulement 1 % des transactions se font encore en espèces et quatre transactions sur cinq sont ainsi réalisées de façon électronique, selon les chiffres de la banque centrale suédoise.

Certains commerces refusent carrément le cash, ce qui est tout à fait légal chez eux, même sur de petits montants. Les banques aussi refusent le liquide : dans 60 % d’entre elles, il est impossible de déposer des espèces sur son compte. Disparition du cash prévue en 2030 ! 

Mais un mouvement populaire de rébellion en faveur du cash, a fait adopter une nouvelle loi, en 2020, obligeant les banques suédoises à assurer l’approvisionnement d’un niveau suffisant de services pour obtenir de l’argent liquide. Elle prévoit que chaque Suédois, y compris s’il habite dans une zone reculée, doit pouvoir retirer de l’argent liquide à moins de 20 kms de chez lui. Voilà les banques contraintes de réinstaller des distributeurs de billets dans des villages d’où elles les avaient retirés.

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