Quelques sanctions de l’AMF

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L’AMF prononce régulièrement des sanctions administratives (par opposition aux sanctions pénales prononcées par la justice judiciaire). Découvrez ici un aperçu de quelques décisions prises par l’AMF dans des affaires médiatiques.

2022 : la société H2O et ses cofondateurs, sanction record de 93 millions d’euros

H2O est une société de gestion de portefeuille agréée pour la gestion sous mandat et la gestion collective (siège social au Royaume-Uni), détenue majoritairement par Natixis Investment Managers (siège social en France). Certains fonds relèvent du droit britannique, et d’autres du droit français.

L’affaire concerne 1 262 opérations d’investissement, réalisées sur 14 titres Tennor, et pour le compte de 7 OPCVM de droit français (sur les 8 possédés par H2O, représentant au total près de 78 % de l’encours total de la société).

 Près de 70 % de ces opérations d’investissement sont des « Buy & Sell Back » : les vendeurs se sont engagés à racheter les titres sous-jacents à la société H2O, pour une partie de leur valeur initiale, lorsqu’H2O réalisera un nouvel achat auprès d’eux d’ici quelques temps. Cela signifie :

  • d’une part, que ces titres sont peu liquides ;
  • et d’autre part, qu’une partie de la valeur des OPCVM est exposée au risque que les vendeurs ne tiennent pas leur promesse de rachat, ce qui ferait chuter leur valeur.

Cette décision est intéressante à plus d’un titre. Elle illustre en particulier l’ensemble des obligations que doivent respecter les gérants de fonds commercialisés en France, en termes de diligences à l’égard des entreprises dans lesquelles ils investissent, de gestion des risques et de liquidité des titres placés dans les portefeuilles.

À la suite d’un article paru dans le Financial Times en juin 2019, les porteurs de parts des fonds H2O ont cherché massivement à récupérer leurs avoirs, ce qui a mis en lumière le caractère illiquide des titres détenus.

Le 30 décembre 2022, la commission des sanctions prononce à l’encontre de la société H2O une sanction pécuniaire pour un montant  de 75 millions d’euros. Les deux cofondateurs sont également sanctionnés : ils doivent payer respectivement 15 millions et 3 millions d’euros. Le total des sanctions pécuniaires s’élève à 93 millions d’euros. La société et l’un des cofondateurs reçoivent un blâme, et le second cofondateur sanctionné est interdit d’exercer l’activité de gérant (directement ou par délégation) ou de dirigeant pendant une durée de cinq ans. En mars 2023, toutes les parties mises en cause ont formé des recours devant le Conseil d’État contre la décision de la commission des sanctions.

D’après le code monétaire et financier, une sanction pécuniaire à l’encontre d’une personne morale ne peut excéder 100 millions d’euros, ou le décuple du montant de l’avantage retiré du manquement s’il peut être déterminé. Les personnes physiques ne peuvent, elles, être sanctionnées au-delà de 15 millions d’euros, ou du décuple du montant de l’avantage retiré du manquement s’il peut être déterminé.

Consulter la décision de la commission des sanctions sur le site de l’AMF

2016 : la Banque Postale, sanction de 1,5 million d’euros

La commission des sanctions de l’AMF a prononcé le 21 juin 2016 une sanction pécuniaire à l’encontre de La Banque Postale pour insuffisance d’informations et conseil inadapté concernant la commercialisation d’un fonds à destination des particuliers.

En avril 2005 et en janvier 2006, La Banque Postale a commercialisé des fonds communs de placement (FCP) Progressio et Progressio 2006, investis en actions et en obligations, tout en garantissant le capital au bout de huit ans de détention. Ces fonds arrivaient à échéance les 16 janvier 2014 et 15 janvier 2015.

En 2011, la valeur de ces fonds a chuté, en conséquence de la crise de la dette en zone euro. A la fin de cette année-là, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a attiré l’attention de La Banque Postale sur l’évolution très défavorable de la valeur liquidative de ces FCP, qui ont connu une baisse de 15 % à 30 % par rapport à la valeur initiale de souscription.

Fin 2011, La Banque Postale s’était engagée à mettre en place une procédure spécifique d’information des clients demandant le rachat anticipé de leurs parts.

Pourtant, à partir de début 2012, plus de 500 clients ont souhaité sortir du fonds avant l’échéance, enregistrant des pertes totales supérieures à 500 000 euros. Selon les termes de l’AMF, les porteurs de parts étaient exposés à une perte certaine en cas de rachat par anticipation.

A la suite d’une mission de contrôle menée par l’AMF en 2014, portant sur le respect par La Banque Postale de ses obligations professionnelles dans le cadre de la gestion de ces demandes de rachat, trois griefs ont été retenus à l’encontre de l’établissement :

  • l’insuffisance des informations communiquées lors des demandes de rachat anticipé ;
  • le caractère inapproprié du conseil délivré ;
  • le manquement à l’obligation de conserver des enregistrements du service fourni.

Une insuffisance d’information et un conseil inapproprié

La commission des sanctions de l’AMF rappelle dans ses considérants que les clients des fonds Progressio et Progressio 2006 étaient des personnes physiques sans compétence particulière en matière d’investissement et ne souhaitaient pas prendre un risque de perte en capital.

Dans plus de la moitié des dossiers contrôlés, l’AMF retient que les clients « n’avaient pas été avertis du fait que la cession prématurée des parts emportait la perte du bénéfice de la garantie ni du caractère certain de la perte en capital compte tenu de la forte décote des valeurs liquidatives des fonds ni de l‘évaluation du montant de cette perte ».

Les informations communiquées ne permettaient pas aux clients de prendre leur décision de cession anticipée des parts en connaissance de cause. Pour la commission des sanctions de l’AMF, La Banque Postale n’a pas agi de manière à servir au mieux l’intérêt de ses clients.

Les recommandations de cession de parts faites par les conseillers de La Banque Postale constituaient donc des conseils inappropriés au regard de la situation des clients.

Une sanction d’1,5 million d’euros

Malgré le fait qu’aucun des clients ayant procédé au rachat anticipé des parts des fonds Progressio et Progressio 2006 n’ait effectué de réclamation, La Banque Postale est sanctionnée par l’AMF pour des « manquements d’une particulière gravité », qui témoignent d’une incapacité de l’établissement bancaire à assurer le respect de l’intérêt de ses clients.

Le collège de l’AMF, instance en charge des poursuites, avait requis un million d’euros d’amende contre La Banque Postale. La Commission des sanctions a prononcé une peine plus lourde, de 1,5 million d’euros.

Voir la décision de la commission des sanctions sur le site de l’AMF

2014 : fonds Elliott, sanction de 16 millions d’euros

La commission des sanctions de l’AMF a rendu sa décision, le 25 avril 2014, dans l’affaire concernant le fonds d’investissement Elliott, pour transmission et utilisation d’une information privilégiée. Le collège de l’Autorité des marchés financiers avait réclamé une sanction de 40 millions d’euros.

Il est reproché à Elliott Advisors (entité britannique du fonds) d’avoir transmis à la société Elliott Management (entité américaine) une information privilégiée sur l’existence de négociations en vue de la cession par le fonds d’investissement Elliott de sa participation dans le capital de la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) en 2010. Il est également reproché à Elliott Management d’avoir utilisé cette information privilégiée.

En revanche, la commission des sanctions n’a pas retenu le grief de manipulation de cours. Les achats du Fonds Elliott sur le titre APRR « n’ont pas eu d’impact sur la variation du cours du titre APRR » selon les termes de l’AMF.

La commission des sanctions a retenu qu’Elliott Management n’était pas la bénéficiaire économique des opérations. Alors que le collège de l’AMF, chargé d’instruire les poursuites, avait requis 40 millions d’euros de sanction, la commission des sanctions a prononcé deux sanctions de 8 millions d’euros chacune à l’encontre de Elliott Management et de Elliott Advisors. Le fonds d’investissement dispose d’un délai de deux mois pour faire appel de cette décision.

Lire la décision de la commission des sanctions sur le site de l’AMF

2013 : Affaire LVMH-Hermès, sanction de 8 millions d’euros

En octobre 2010, le groupe LVMH a annoncé avoir acquis 17,12 % des actions du groupe Hermès, une entreprise familiale dont 73,4 % appartient encore aux héritiers du fondateur.

Pourtant, la loi impose aux actionnaires de se dévoiler lors d’un franchissement de seuil de 5 % et de déclarer leurs intentions pour des seuils de 10 % et de 15 %. Or, LVMH ne détenait que 4,9 % des actions du sellier avant d’en détenir plus de 15 %. Une explication s’impose…

Dans les faits, le groupe LVMH a acheté des produits dérivés financiers (equity swaps) portant sur des actions Hermès par l’intermédiaire de plusieurs de ses filiales. Plutôt qu’un versement en espèces à l’échéance du contrat, le groupe LVMH a modifié la clause de livraison du swap, et a obtenu à la date des 21 et 24 octobre la livraison physique du sous-jacent, autrement dit celle des actions Hermès.

Une fois la livraison effectuée, le groupe de Bernard Arnault a donc annoncé sa montée au capital d’Hermès.

L’AMF a alors décidé d’ouvrir une enquête. Problème : lors d’une prise de participation par l’intermédiaire de certains instruments financiers tels que les equity swaps, le règlement général du gendarme boursier ne prévoyait pas à l’époque de déclaration particulière. Cette faille a récemment été comblée. Depuis 2009, le code monétaire et financier a également inclus certains produits dérivés dans le calcul des franchissements de seuil. Cependant, les dénouables en numéraire (produits financiers dont l’échéance peut s’effectuer par un versement d’espèces) n’ont pas été inclus (ordonnance du 27 août 2009).

Depuis, les deux parties « se livrent bataille ». Le groupe familial n’entend pas se laisser dissuader si facilement et a déposé plainte en juillet 2012 pour délit d’initié. De son côté, le groupe LVMH a riposté en déposant une plainte début septembre pour « chantage, dénonciation calomnieuse et concurrence illicite ».

Le 2 octobre 2012, après avoir établi la liste de ses griefs concernant ce dossier (défaut d’information au marché et dissimulation comptable de la monté au capital d’Hermès), l’AMF avait annoncé qu’une décision sur une sanction éventuelle serait prise courant 2013. Le 31 mai 2013, le collège de l’AMF, organe d’enquête et de poursuite du gendarme boursier, a requis une sanction de 10 millions d’euros contre le groupe de Bernard Arnault.

Le 25 juin 2013, la commission des sanctions a considéré que les manquements constatés étaient caractérisés. Elle a prononcé une sanction pécuniaire de 8 millions d’euros contre LVMH, soit un peu moins que le montant qui avait été requis par le collège de l’AMF. Le groupe de luxe a décidé de faire appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris. Le groupe a finalement réglé cette amende.

Entre-temps, LVMH et Hermès sont parvenus à un accord en 2014, et le groupe de Bernard Arnault est entièrement sorti du capital du sellier de la rue Saint-Honoré. Aujourd’hui, le montage financier utilisé par LVMH pour monter en secret au capital d’Hermès n’est plus possible. Depuis le 1er octobre 2012, les instruments dérivés à dénouement en espèce doivent en effet être pris en compte pour le calcul des franchissements de seuil.

Retrouvez la décision de la commission des sanctions sur le site de l’AMF

 

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